Dans le cadre des rencontres de printemps du Méta – CDN de Poitiers Nouvelle Aquitaine, Delphine Hecquet plonge dans l’univers carcéral et invite le public au Parloir. S’inspirant notamment de l’histoire de Jacqueline Sauvage, elle porte au plateau l’histoire d’un meurtre intrinsèquement lié à des années de violence conjugales.
Un immense mur gris, froid, fait face aux spectateurs. De dos, une femme attend. Elle semble perdue dans ses pensées. De très loin, des bruits de portes métalliques qu’on ouvre, des cliquetis et une voix off nous convient à pénétrer étape par étape dans le parloir d’une prison. Rien n’est laissé au hasard, ni la sensation d’étrangeté, de dénuement, d’absence de liberté, de vie presque. Tout est dit, suggéré. Par ce prologue impassible, Delphine Hecquet nous fait entrer sans détour dans l’antre carcérale.
Un face à face vibrant
Silhouette fluette, Constance (épatante Mathilde Viseux – élève sortante de la promotion 10 de l’École du TNB), jeune fille de 19 ans, se retrouve face à sa mère (lumineuse Marie Bunel). La première est pimpante, l’autre renfermée, grise, précocement vieillie. L’une vient de l’extérieur, l’autre purge flegmatique sa peine. Cela fait quatre ans qu’elle est enfermée, qu’elle a été condamnée pour le meurtre de son mari. Par bribes, au fil d’une discussion douloureuse autant qu’éclairante et lumineuse, les deux femmes, la victime et la meurtrière, vont mettre des mots sur le drame qui les réunit dans cet endroit plus qu’impersonnel, se libérer de la chape de plomb qui pèse si lourdement sur leur relation.
L’origine du mal
Tout commence par de manière somme toute banale. Il vit à Londres, n’a plus de sous pour payer son loyer. Elle propose de l’héberger quelques temps. Il accepte. De fil en aiguille, ils tombent amoureux, se marient, fondent une famille. Aucun nuage à l’horizon, ou presque. Il a du mal à trouver un job, elle arrête ses études pour s’occuper du foyer et de leur petite fille. C’est le début de la fin. Elle est dépendante de lui, ne peut rien faire sans son accord. La première baffe tombe pour une broutille. Ce n’est pas grave. Elle sera suivie de beaucoup d’autres. Un temps, les excuses suffiront à pardonner la violence. Jusqu’au jour de trop…
Récit en creux
Avec une infinie délicatesse, Delphine Hecquet s’empare du sujet des violences conjugales et tisse un récit poignant fait d’ellipses, de silences, de confessions et de manques. Évitant l’écueil du pathos et du sensationnel, l’autrice et metteuse en scène nous entraîne sur le fil d’un rasoir au cœur de la tragédie, mettant en lumière ses ressorts. Sans jugement avec beaucoup de finesse, elle donne à voir l’enfermement psychologique, l’emprise totale d’un être sur un autre, l’impossible échappatoire. Face aux murs d’une société qui refuse de voir et d’entendre le cri de ces femmes, il n’y a pas d’autres choix que de commettre l’irréparable.
Porté par un duo de comédiennes au jeu tout en nuance, Parloir est de ces œuvres nécessaires et essentielles, d’utilité publique. Épuré de ses nappes sonores superflues, le spectacle devrait gagner en puissance. En donnant la parole à ces femmes qui se sont trop souvent tues, Delphine Hecquet signe un spectacle puissant et saisissant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Poitiers
Parloir de Delphine Hecquet
Salle de Blaiserie en partenariat avec Le Méta – CDN de Poitiers Nouvelle Aquitaine
Jusqu’au 11 mars 2022
Durée 1h15 environ
Tournée
le 29 mars à 20h30 à Espaces Pluriels, Pau
Texte et mise en scène de Delphine Hecquet assistée d’Aurélien Hamard-Padis
Avec Marie Bunel, Mathilde Viseux
Scénographie, costumes de Tim Northam
Lumières de Jérémie Papin
Création sonore de Matthieu Hennart
Musique – Matthieu Bloch (contrebasse)
Regard Chorégraphique de Thierry Thieû Niang
Crédit photos © Simon Gosselin