De Bernard Sobel à Stuart Seide, en passant par Christophe Rauck, Jean-Pierre Vincent ou Joël Jouanneau, qu’elle retrouvera à la rentrée prochaine, la comédienne à la voix légèrement voilée se glisse avec aisance dans les grands rôles du répertoire tout en traçant sa route sur des chemins plus contemporains.
Un soleil pâle de fin d’hiver règne sur la capitale. Le printemps n’a pas encore réchauffé l’atmosphère. En terrasse d’un célèbre café de la Bastille, emmitouflée dans une veste de laine, Cécile Garcia Fogel déguste un café serré en nous attendant. Le visage fermé, elle observe distraitement les passants, plonge ses yeux presque noirs, dans le vide. Un léger sourire vient soudain éclairer sa figure légèrement halée. Ses pensées sont ailleurs. Il faut dire que ce début mars est particulièrement chargé pour la comédienne. Dans quelques jours au théâtre Nanterre-Amandiers, elle reprend son rôle de Valérie Solanas dans la très saisissante adaptation de La Faculté des rêves de Sara Stridsberg par Christophe Rauck. En parallèle, elle intervient aussi dans la formation au métier d’acteur.trice initiée depuis peu par ce dernier au sein de la célèbre institution francilienne dont il est le nouveau directeur.
Actrice par nécessité
Née à Valréas, village du Vaucluse, situé à quelques encablures de Montélimar, de Valence, Cécile Garcia Fogel n’avait pas spécialement vocation à devenir comédienne. Pourtant, depuis toute petite, tous les ans, chaque été, comme tous les gamins du pays, elle participe aux Nuits de l’Enclave. Une année, lors d’un stage de théâtre proposé par le Festival, tradition oblige, elle découvre le goût des textes, de la littérature. « À ce moment-là, se souvient-elle, je faisais des études d’agronomie. Je n’avais absolument pas dans l’idée de devenir comédienne, pas l’envie non plus. Je n’avais aucune conviction sur un talent quelconque. Tout est né finalement d’une nécessité de faire quelque chose de ma vie. » Dans la foulée, elle s’inscrit à des cours de théâtre à Montpellier. Rapidement, elle est découragée par ses professeurs. Battante, convaincue qu’elle est à la bonne place, elle s’acharne. À 18 ans, pleine de fougue, la persévérance chevillée au corps, elle monte à Paris, tente les concours de la Rue blanche et du Conservatoire national d’Art dramatique, qu’elle obtient tous les deux du premier coup.
Une nouvelle vie
Enfin entrée dans le saint des saints du théâtre, elle entame une formation de trois ans. Auprès de mentors comme Stuart Seide, Catherine Hiegel ou Jean-Pierre Vincent, elle apprend son métier de comédienne. « C’était tellement autre chose que ce que j’avais connu dans le sud, raconte Cécile Garcia Fogel. Je me suis tout de suite sentie soutenue, encouragée, portée. Tous à leur manière m’ont donnée confiance, m’ont permis de m’épanouir, de devenir qui je suis aujourd’hui. » Une fois sortie du cons’ en 1992, tout s’enchaîne très vite. Dirigée l’année suivante par Bernard Sobel au Théâtre de Gennevilliers dans Theepenny de Shakespeare, elle fait ses débuts en 1994 à Avignon dans la cour d’Honneur du Palais des Papes avec l’adaptation d’Henri VI par Stuart Seide.
De beaux rôles, de grands rôles
De Wedekind à Corneille en passant par Heinrich von Kleist, Ibsen, Edward Bond, Lagarce ou Friedrich von Schiller, la comédienne se glisse avec finesse dans la plupart des personnages féminins du répertoire. « J’ai eu la chance au cours de ma carrière, souligne-t-elle, d’avoir eu de beaux rôles à défendre, des personnages de femmes fortes. » Ce parcours riche, dense, Cécile Garcia Fogel, le doit, elle en est persuadée, aux belles rencontres qui ont émaillées sa vie de comédienne. Après avoir débuté aux côtés de deux grands maître du théâtre français, elle poursuit son chemin avec Joël Jouanneau, Alain Françon ou Julie Brochen. À 40 ans, alors qu’ils se connaissent depuis plus de dix ans, elle tisse avec Christophe Rauck une histoire longue, intense. « Ensemble, nous avons monté cinq spectacles, explique-t-elle, et nous préparons actuellement le sixième, Richard II de Shakespeare, qui sera présenté la saison prochaine aux Amandiers. Grâce à lui, j’ai eu la chance de pouvoir continuer à transmettre ce que j’avais appris en étant associée ces dernières années l’École du Nord, puis maintenant à l’Atelier de Nanterre-Amandiers. »
Un autre monde
Ayant toujours fait le choix de travailler avec des metteurs en scène, des artistes qui l’inspirait, Cécile Garcia Fogel, à 53 ans, s’interroge sur le nouveau théâtre, le manque d’audace de la nouvelle génération d’artistes à confronter les comédiens d’âges différents. « C’est très bizarre comme sensation, confie-t-elle, l’impression de ne plus être totalement en phase avec ce qui se fait actuellement au théâtre, comme si l’on perdait un peu en épaisseur, pour gagner en spectaculaire. L’image est plus importante que la façon de donner un texte. J’ai débuté ma carrière en avec Roussillon, Casarès. À mon époque, on adorait jouer avec des gens plus âgés, se nourrir de l’expérience. Ce n’est plus totalement le cas, c’est en tout cas ce que je ressens. Cela me questionne notamment dans ma manière d’enseigner. Est-ce que ce que j’ai à apporter aux artistes en devenir est finalement toujours intéressant ? »
Metteuse en scène par intermittence
Intervenant depuis plusieurs années dans des formations que ce soit à la demande notemment de Catherine Hiegel ou de Julie Brochen, Cécile Garcia Fogel a pris goût à la direction d’acteurs et d’actrices. « Je crois que cela m’a permis, explique-t-elle, de me préparer à mes propres mises en scène, d’apprendre à débloquer les nœuds, à voir là où cela coince. Je suis quelqu’un de très rigoriste. Je peux même être dure parfois pour atteindre un but, un résultat que je sais accessible. Je reviens sur le métier, sur la manière de dire un texte, un auteur pour que cela sonne juste, pour que cela devienne hyper naturel sans pour autant être banalisé. » Fort de cette expérience, elle remonte du 19 au 30 avril au Théâtre 14, Trezene Mélodies, une variation sur Phèdre de Racine qu’elle avait créé en 1996. « C’est un objet théâtral singulier, assez planant, raconte l’artiste, une sorte de rêverie musicale qui s’appuie sur un texte très référencé. Ce qui me plait dans cette œuvre c’est toute l’exploration très obsessionnelle que j’ai menée autour des alexandrins et des litanies, des rengaines que sa rythmique permet. Ainsi j’ai eu l’impression de donner vie à une tragédie musicale, quelque chose d’assez rare sur un plateau. » en entremêlant au texte originel des musicalités, des chants que Cécile Garcia Fogel a puisé dans ses voyages en Grèce, elle donne à la douleur du personnage principal, cette reine éperdue d’amour pour son beau-fils, une belle intensité mâtinée de mélancolie.
Solanas, une femme guerrière
À Nanterre-amandiers, Cécile Garcia Fogel se glisse une nouvelle fois dans la peau de Valérie Solanas, une intellectuelle féministe radicale américaine, connue pour son pamphlet SCUM Manifesto et pour avoir tenté d’assassiner Andy Warhol. « La reprise du rôle est assez dure, raconte-t-elle. C’est un sacré morceau de texte, c’est très lourd à apprendre, à répéter. Autant j’ai dû plaisir à jouer ce personnage sur scène, autant je n’en ai pas à retravailler le texte. Ce qui me plait surtout c’est la manière dont Sara Stridsberg la dépeint. Elle n’en fait pas un monstre, bien au contraire. Elle cherche à la comprendre, à analyser son regard sur l’art, sur la surconsommation, sur ce monde masculin, sur la violence qu’il véhicule. »
Retour à Shakespeare
Avant de retrouver Joël Jouanneau, la saison prochaine, Cécile Garcia Fogel continue sa collaboration avec Chistophe Rauck. Aux côtés de Micha Lescot, elle jouera donc à la rentrée dans Richard II. « C’est un vrai plaisir de travailler ce texte et de le faire en compagnie de Micha (Lescot), c’est un comédien que j’apprécie énormément mais avec qui je n’ai jamais travaillé. Le reste de la distribution est au diapason, beaucoup sont des artistes que je connais depuis longtemps. J’ai hâte de commencer les répétitions, courant avril, de voir vers où Christophe va nous emmener. »
À l’écoute du temps, de l’époque, Cécile Garcia Fogel est de tous les fronts, mais avec discrétion. Au fil des années, elle a appris à écouter son corps. Pratiquant le yoga, elle se laisse porter au gré des projets tout en restant très attachée à une exigence, une rigueur, qui fait d’elle une actrice toute en densité, toute en justesse. En traînant à Nanterre cette saison, dans le sud cet été, elle continue à porter au plateau les maux des dramaturges, à leur donner corps et chair.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La faculté des rêves de Sara Stridsberg
Mise en scène de Christophe Rauck
Création 2020 au Théâtre du Nord
Du 17 mars au 6 avril à Nanterre-amandiers.
Trézène Mélodies d’après Phèdre de Jean Racine et poèmes de Yannis Ritsos, Phèdre et Le Mur dans le miroir
Filage au Théâtre 14 en mars 2021
Du 19 au 30 avril 2022 au Théâtre 14, Hors les murs du Théâtre Nanterre-Amandiers.
crédit Portrait © Géraldine Aresteanu
Crédit photos © Pidz, © Bellamy, © OFGDA, © Simon Gosselin, © Jean-Louis Hernandez