À la tête de son Théâtre-Studio d’Alfortville, Christian Benedetti,a inscrit dans sa démarche artistique de monter toutes les pièces de Tchekhov. En 2020, la Covid et la fermeture des théâtres ont obligé le metteur en scène à reporter son projet, Tchekhov, 137 évanouissements. Aujourd’hui, malgré les troubles qui secouent notre époque, il peut enfin le présenter et rappeler combien l’œuvre du grand auteur demeure essentielle, contemporaine et surtout que le théâtre russe est bien vivant.
Avec son intégrale Tchekhov, qui se compose des pièces majeures, Ivanov, La mouette, Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie et Sans père (Platonov), ainsi que de celles en un acte, Christian Benedetti réveille nos appétits tchekhoviens, tant sa vision très charnelle de l’œuvre du dramaturge russe est rayonnante. On peut dire qu’il lui rentre dedans avec force, prenant une distance remarquable avec ces textes sublimes. La Mouette a été, en 2011, la première pièce à inaugurer ce cycle. Ce fut, pour ma part, un véritable choc théâtral qui nous avait enchantés, émerveillés et réjouis. Par la suite, il y eut Oncle Vania, puis Les trois Sœurs qui m’avaient mis dans le même état de joie. Benedetti nous fait entendre et voir toute la quintessence de ces textes. Son théâtre est fait de chair, de larmes, de rire, de vie. On a même le sentiment de redécouvrir cette langue, car, avec lui, aucune fausse langueur ne l’entrave.
Être au présent
Lors d’un entretien que j’avais réalisé, en 2013, pour le journal Pariscope, le metteur en scène, répondant à nos questions, avait expliqué pourquoi, avec lui, le lourd décorum slave n’existait pas. « Oui, pas de folklore ! Monter Tchekhov c’est être au présent. La question que pose l’auteur est : C’est quoi l’état de l’homme contemporain ? Et avec chaque pièce, il propose un nouvel axe de questionnement et de réponse. » Il avait ajouté alors, et cela semble toujours d’actualité : « Socialement, nous sommes au même stade qu’à l’époque de Tchekhov. Une société qui se brise. On est dans le hoquet de l’Histoire. » Il est vrai que si cet auteur du XIXe siècle nous parle toujours, c’est parce que ces pièces abordent des choses essentielles sur l’existence humaine. Comment fait-on pour vivre ? Et comment vit-on ensemble ?
Une épure ronde, radicale
Ce qui séduit le plus dans ce travail est sa facture. Benedetti installe le théâtre dans le théâtre. Il aborde toutes les œuvres avec le même principe : une troupe unique, une scénographie identique et réduite à son strict minimum. Exactement comme lorsque les comédiens commencent à répéter sur le plateau vide, avec des marques au sol, point de décor, mais juste une table, des chaises et quelques accessoires. Les lumières de la salle restent allumées pendant le spectacle. Ce procédé scénique implique le spectateur dans le spectacle. Car sans lui, point de théâtre. Ce choix permet une écoute toute particulière des œuvres présentées. Cela change également notre manière de regarder et d’écouter. Sans rien couper, jouant même les silences, Benedetti insuffle un sacré rythme à chacune des pièces. On est loin de Stanislavski ! C’est extrêmement vivant.
Un vrai parcours de troupe
Chez Tchekhov, la tragédie comme la comédie humaine sont concentrées sur les personnages et donc les comédiens. Ici, l’importance de la troupe trouve ici toute sa raison d’être et elle est magnifique ! Dans une palette de jeu allant du clair à l’obscur, tous les comédiens qui la composent sont parfaits. Bien sûr, elle a bougé ! Car en 10 ans, certains s’en sont allés, parce que décédés, comme la délicieuse Isabelle Sadoyan, ou pris par d’autres projets. On retrouve quand même un beau noyau, avec entre autres, Daniel Delabesse, Philippe Crubézy, Brigitte Barilley, Jean-Pierre Moulin, et Christian Benedetti. Pour ce dernier, il nous est difficile d’oublier son interprétation d’Astrov dans Oncle Vania. Bouillonnant de rage contenue, il nous avait fait songer à ce grand artiste russe, Vladimir Vissotsky. Quand aux nouveaux venus, connaissant le flair de cet animateur chevronné pour s’entourer, on gage, sans trop se fourvoyer, qu’ils seront à la hauteur. Partez, le cœur léger, voyager Sur la grande route de cette intégrale Tchekhov.
Marie-Céline Nivière
Tchekhov, 137 évanouissements d’après les œuvres intégrales d’Anton Tchekhov
Studio-Théâtre d’Alfortville
16 Rue Marcelin Berthelot
94140 Alfortville
À partir du 9 mars 2022
Mise en scène de Christian Benedetti assisté Brigitte Barilley et Alex Mesnil
Nouvelles traductions de Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Laurent Huon, Daria Sinichkina, Yuriy Zavalnyouk
avec Brigitte Barilley, Leslie Bouchet, Olivia Brunaux, Stéphane Caillard, Marilyne Fontaine, Vanessa Fonte, Hélène Stadnicki, Martine Vandeville, Christian Benedetti, Julien Bouanich, Baudouin-Andreï Cristoveanu, Philippe Crubézy, Daniel Delabesse, Alain Dumas, Marc Lamigeon, Alex Mesnil, Jean-Pierre Moulin.
Costumes d’Hélène Kritikos
Lumières de Dominique Fortin
Son de Jérémie Stevenin
Crédit photos © Alex Mesnil