Après son passage au festival Off d’Avignon, Ay Carmela ! la pièce culte de Sinisterra, s’installe au Paradis du Lucernaire, dans une adaptation et une mise en scène remarquable de Lionel Sautet. Un hymne à la liberté qui touche toujours en plein cœur !
Chant de liberté, Ay Carmela ! était fredonné par les soldats Républicains durant la Guerre Civile espagnole. Quand, tels des frères ennemis, les rouges et les blancs menaient les uns contre les autres un combat sanglant. Chacun donnait son sens du mot liberté et dessinait l’enfer de ce que le monde allait vivre ensuite. José Sanchis Sinisterra s’est inspiré de cette époque pour écrire une très belle pièce où l’humour rivalise avec l’émotion. Cette œuvre est un hymne à la liberté, bien sûr, une histoire d’amour également, et un hommage aux artistes, ceux qui quoi qu’il arrive, continuent à arpenter le pays pour jouer sur des scènes improbables. L’auteur pose la question de la nécessité de se produire en toutes circonstances sans prendre part au monde qui gronde autour. On est des artistes nous, non ? Alors la politique on s’en tape ! On fait ce qu’on nous demande, et puis c’est tout ! se justifie Paulino à sa partenaire qui en a marre de le voir vouloir survivre sans prendre position.
Viens voir le comédien
La pièce débute sur Paulino qui revient dans le théâtre où sa vie a définitivement perdu son sens. Entre deux gorgées de tord-boyaux, il laisse ressurgir les souvenirs du temps où il était un saltimbanque, promenant un minable spectacle de music-hall à travers le pays ravagé. Artiste lyrique pathétique, pétomane, pleutre, Paulino est prêt à vendre sa chemise au diable du moment qu’il sauve sa peau. C’est ce qu’il a fait, en acceptant une représentation devant un parterre de généraux franquistes. Les vapeurs de l’alcool, son cœur brisé et sa mauvaise conscience font ressurgir le grand fantôme de sa vie qui lui fait revivre ce tragique soir, qui le hante depuis. Avec ses faux airs de Clark Gable ibère, tout en subtilité, Lionel Sautet est saisissant dans ce cabotin haut en couleur lorsqu’il brille sous les feux de la rampe et homme désemparé quand il se penche dans les décombres de son existence.
Une rebelle au grand cœur
Carmela est une Andalouse qui réfléchit avant tout avec son cœur. La tête suivra plus tard, voire jamais ! Elle perd toute retenue, en apprenant qu’il y aura dans le public des jeunes Républicains, venus du monde entier, voués au peloton d’exécution. Mais quand elle comprend qu’un des sketches qu’ils vont jouer n’a pour seul but que de les humilier, elle décide de se révolter et entame le fameux Ay Carmela. Seule la mitraille, la fera taire. L’interprétation de Caroline Fay est saisissante. Plus généreuse que volcanique, sa Carmela est une femme qui a vécu et qui porte en bandoulière les blessures de sa vie.
No pasaran !
Gommant l’aspect farce que l’on retrouve d’ordinaire dans les numéros minables qu’enchaînent Paulino et Carmela, l’adaptation de Lionel Sautet tirent la pièce plus vers le drame. Enchaînant les tableaux, dont certains sont de toute beauté, s’appuyant sur des grands airs des chants de partisans, sa très belle mise en scène, toute en clair-obscur, nous place au cœur du propos qu’est cette guerre civile qui a ravagé un peuple et sur la capacité que l’on peut avoir à la résistance et l’indignation. Son choix fonctionne très bien, car il donne une couleur à la pièce plus politique et sociale. Et c’est bouleversant !
Marie-Céline Nivière
Ay Carmela ! d’après José Sanchis Sinesterra
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Du 2 février au 20 mars 2022
Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h30
Durée 1h15
Adaptation et mise en scène de Lionel Sautet
Traduction d’Angeles Munoz
Avec Caroline Fay et Lionel Sautet
Création lumière de Raphaël Maulny
Musiques additionnelles de Marwen Kammarti et Fusta !
Costumes et accessoires de de Maïlis Martinsse.
Crédit photos © Le dandy manchot