Au Forum Jacques Prévert, à Carros, sur les hauteurs de Nice, le Festival Trajectoires bat son plein. Pierre Caussin, initiateur du projet et depuis 2017 directeur de cette structure culturelle – Scène Conventionnée d’Intérêt National pour l’Art, l’Enfance et la Jeunesse – a de quoi être heureux. Après deux années concentrées sur le territoire communal, la manifestation prend de l’ampleur et investit l’ensemble des scènes du département. Rencontre avec un agitateur de l’art vivant.
Quelle est l’origine du Festival Trajectoires, des récits de vie ?
Pierre Caussin : Au départ, c’est un temps fort du Forum que j’ai initié en 2019, soit un peu plus d’un an après mon arrivée à la direction. J’avais à cœur de créer un événement qui permette d’une part de réunir les publics, mais aussi d’ouvrir les curiosités de chacun, de proposer des formes scéniques un peu différentes de ce que l’on a l’habitude de montrer. J’ai donc, avec l’équipe du Forum, imaginé un Focus qui mettrait en lumière des parcours de vie, des performances scéniques, où chacun, quel que soit son âge, puisse trouver un intérêt. L’idée de Trajectoires est née lorsque j’ai construit ma première saison en tant que directeur. Je trouvais qu’il manquait un moment dans l’année un peu festif où l’on puisse échanger, partager avec le public, avec les artistes, un moment resserré, où au lieu de trois à quatre spectacles par mois on passe à une moyenne de deux par semaines. Le pari est plutôt réussi, les spectateurs sont présents, soutiennent l’initiative. L’idée d’un fil rouge autour de thématiques qui agitent nos sociétés en passant par le prisme de l’intime a trouvé un écho singulier chez les habitants du bassin de vie dont dépend le Forum.
Quelles sont les grandes caractéristiques de la manifestation ?
Pierre Caussin : Ce focus permet d’avoir une programmation plus tournée vers la création contemporaine et de mêler sur un même événement des artistes émergents et des pointures du spectacle vivant. Nous avons ainsi pu accueillir en 2019 pour la première édition Jérôme Bel avec Cédric Andrieux, Mohamed El Khatib, etc. Devant la belle réception de leurs œuvres et l’engouement du public, en 2020, avant que la pandémie ne mette le spectacle vivant à l’arrêt, nous avons associé aux représentations des temps de rencontres, des débats à l’apéro. L’important était de faire du Festival un temps de convivialité, où l’on prolongeait le spectacle en mobilisant notamment la société civile autour des thématiques abordées. Très vite, on s’est rendu compte du brassage des publics. Certains venaient aux conférences et restaient pour le spectacle, d’autres faisaient l’inverse. Cela a créé une belle synergie. En créant une logique évènementielle, nous avons cassé la dynamique de saison et mobilisé – en cette période post Noël – un peu creuse – le bassin de population. Du coup, j’ai eu l’envie d’étendre le projet à d’autres structures et de proposer à mes homologues féminins et masculins de rejoindre l’aventure et devenir partenaires.
Cela fait combien de lieux ?
Pierre Caussin : En tout, nous sommes huit, ce qui correspond à quelques exceptions près à toutes les structures de diffusion du département des Alpes-Maritimes, soit quatre scènes conventionnées [le Forum Jacques Prévert, le Théâtre de Grasse, la Scène 55 et le Théâtre de la Licorne], un CDN [le Théâtre National de Nice], un lieu de fabrique culturelle [L’entre-pont, au 109, la Friche de Nice], une médiathèque, [celle de Mouans-Sartoux] qui organise notamment l’un des plus gros festival du Livre en France et enfin le Mamac, musée d’art contemporain de Nice. Avec ce maillage interdisciplinaire, nous continuons à penser le Festival comme un lieu de rencontres entre tous les champs du spectacle vivant.
Comment se passe la programmation d’un tel événement ?
Pierre Caussin : Nous ne sommes pas un collectif. Avec les directrices et directeurs des autres lieux, nous échangeons, nous discutons des spectacles que nous aimerions accueillir. Si le Forum est à l’initiative du projet, il n’intervient pas de manière financière dans le festival et auprès des partenaires. Chacun gère les spectacles qu’il diffuse. Nous avons juste amené sur le territoire des Alpes-Maritimes une dynamique fédératrice de festival. Ainsi, le Forum coordonne l’ensemble de la manifestation, prend en charge toute la communication supplémentaire, tout l’événementiel lié au festival et la place fournie aux partenaires. C’est certes un petit budget mais qui bénéficie à tout le territoire. Tout comme le Festival de danse de Cannes, nous nous appuyons sur nos partenaires, nous démultiplions les efforts et permettons un rayonnement plus important de l’offre culturelle sur le département. En ayant un billet pour un spectacle, le spectateur bénéficie de tarif préférentiel pour une autre performance. Cela permet une circulation des publics d’un lieu à l’autre, en tout cas c’est notre objectif. Ayant expérimenté ce type de démarche à Marseille, quand je m’occupais de la Biennale des écritures du réel, je suis assez convaincu par son efficacité. Nous sommes ainsi plus visibles et surtout cela permet d’optimiser la diffusion des œuvres, d’éviter l’éparpillement sur la saison.
Les récits de vie restent le fil rouge …
Pierre Caussin : oui. Je crois que c’est important de garder une ligne directrice, de ne pas s’éparpiller. Cela fait la force de la proposition, du rendez-vous annuel. Cette année, Trajectoires a à son actif 14 spectacles, dont 7 sont accueillis par le Forum. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas forcément nous diluer sur l’année. Je pense que le projet perdrait à terme de sa pertinence. Nous allons donc rester sur un temps resserré avec un nombre de partenariats tout aussi condensé. Par contre, à l’avenir, nous allons réfléchir à une circulation des œuvres sur le territoire. Peut-être créer un label, un peu dans la veine de ce que fait le Groupe des 20 en région parisienne. En tout cas, nous discutons beaucoup afin de faire évoluer Trajectoires au fil du temps.
Vous savez qu’il y a aussi en janvier Trajectoires à Nantes ?
Pierre Caussin : il y a de curieux hasard. Mais ce n’est absolument pas voulu. Quand nous avons lancé le Festival à Carros, nous n’avions pas connaissance de celui de Nantes, qui a deux ans d’antériorité sur notre projet. Ce qui est important à retenir, c’est la diversité des propositions, la dynamique, l’émulation que créent ces deux manifestations en développement. Alors qu’ils ont axé leur proposition sur la danse et la performance, nous avons choisi de parler des parcours de vie, des singularités des destinées humaines, et de nous concentrer sur des formes plus théâtrales.
Cette édition touche à sa fin. Avez-vous déjà des pistes de programmation pour l’an prochain ?
Pierre Caussin : Évidemment, on y réfléchit assez tôt. Nous avons dans les tuyaux un des derniers spectacles de Jérôme Bel, un récit chorégraphique et scénique autour de son parcours professionnel. Nous sommes aussi en contact avec Jeanne Balibar, qui travaille sur un projet autour de trois femmes scientifiques. Nous retrouverons aussi certainement Mohamed El Khatib et Nos Parents, Margaux Eskenasi qui présentait cette année Et le cœur fume encore, et aussi des artistes inconnus, des émergents. En tout cas, on ne manque ni d’idées, ni d’envies…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Trajectoires – Des récits de vie
Forum Jacques Prévert
1 Rue des Oliviers, 06510 Carros
Crédit photos © DR, © Marco Caselli Nirmal, © Nada Zgank, © Loïc Nys