Après la création au TNB à l’automne dernier, Micha Lescot, sous la direction de Ludovic Lagarde, investit la salle éphémère de Nanterre-Amandiers, et se glisse dans la peau du ténébreux et mystérieux Charles, jeune homme en quête d’ailleurs dans le Quai Ouest de Koltés. Rencontre avec un artiste qui illumine de sa présence unique, intense les œuvres de Tchekhov, de Shakespeare ou de De Vos.
Comment est né le désir de devenir comédien ?
Micha Lescot : C’est tout simplement une histoire de famille. Quand j’étais petit, je suivais mon père, qui était acteur, sur les planches, j’assistais aux répétitions, je l’aidais parfois à apprendre son texte. Avec mon frère, David, nous passions pas mal de temps au théâtre, à voir ses spectacles mais aussi d’autres artistes. Je pense que cela a été le premier déclencheur. Ensuite, je n’étais pas très bon à l’école. Mes parents s’inquiétant, j’ai dû voir un psychiatre, qui souhaitait que je m’inscrive en psychodrame pour me remettre, en quelques sortes, sur les rails. J’avoue, qu’à l’époque, le mot m’avait une peu effrayé, mais comme il y avait plus de place, j’ai été orienté vers une autre activité extrascolaire. À 15ans, j’ai commencé à faire du théâtre dans un conservatoire d’arrondissement. J’ai été séduit par ce que j’apprenais, ce que je faisais. En première voyant que le bac s’éloigné à grand pas, j’ai souhaité tenter le concours du CNSAD. Mon père et son ami Gérard Desarthe, m’ont préparé à l’examen d’entrée, que j’ai eu du premier coup. Avec le recul, je pense que le désir de faire ce métier a toujours été là mais que je n’osais pas le formuler aussi clairement quand j’étais adolescent.
Comment choisissez-vous les pièces dans lesquelles vous jouez ?
Micha Lescot : Je suis très sensible à l’équipe artistique, plus qu’au texte, je crois. Dans les propositions que je reçois, je regarde en tout premier lieu, le metteur en scène. Quand Ludovic (Lagarde) m’a demandé, après notre collaboration sur La Collection de Pinter, si je voulais participer à son adaptation de Quai Ouest de Koltès, il n’y a eu aucune hésitation de ma part. C’était une évidence. Quand on fait ce métier, les œuvres du dramaturge français, ou celle de Pinter, sont des classiques contemporains, on les connait, souvent on les a travaillés. Ce n’est que quand on se penche dessus qu’on se rend compte à quel point, ce n’est pas si simple, qu’il faut les étudier, les disséquer, pour les comprendre. Ce sont des grands textes, mais il faut qu’ils soient éclairés par la vision d’un metteur en scène pour prendre toute leur densité, leur force. L’idée n’est pas de jouer à n’importe quel prix tel auteur, ou d’incarner tel rôle. Dans le cas de Quai Ouest, j’avoue, que secrètement j’en rêvais.
Comment se passe le travail avec Ludovic Lagarde ?
Micha Lescot : Ce qui est intéressant avec Ludovic, c’est qu’il a une équipe de gens très fidèles qui gravitent autour de lui, comme le comédien Laurent Poitrenaux, comme les techniciens qui sont à peu de chose près les mêmes que pour La Collection. Cela a quelque chose de rassurant. C’est aussi un metteur en scène très sensible à sa distribution. Je sais que quand il m’a proposé d’incarner Charles, il m’a parlé des autres comédiens avec qui il voulait travailler, comme Dominique Reymond, avec qui j’avais déjà joué dans les Chaises de Ionesco, dans une mise en scène de Luc Bondy en 2010, ou Laurent Grevill qui était de l’aventure de Tartuffe et d’Ivanov à l’Odéon. C’est un plaisir de les retrouver. Et je crois que cela fait partie de ce qui intéresse Ludovic. Il voulait pour Quai Ouest, recréer comme dans la pièce, une famille. Il aime réunir sur scène des artistes qui se connaissent et peuvent s’accorder au plateau. Il est très sensible à cela. Je trouve que cela donne une justesse au propos. En tout cas, c’est une manière de travailler, que j’apprécie.
Comment appréhende-t-on une écriture comme celle de Koltés ?
Micha Lescot : Ce n’est pas simple au premier abord. Plus exactement, cela le devient à force de la travailler. Il faut entrer dans cette langue si particulière, si poétique, comprendre ce que tu as à dire. Il m’a fallu six mois pour l’apprendre, la rendre fluide, ce qui est assez énorme. Heureusement, avec les confinements, les reports, on avait du temps. Mais c’est le genre de texte dans lequel tu dois plonger sans réserve. Après, c’est une époque qui me fascinait, cette période d’émulation et d’effervescence, les Amandiers de Chéreau, de Koltés, de Peduzzi. Quand je travaillais avec Luc (Bondy), j’en avais entendu beaucoup parler. C’est un moment singulier de l’histoire de théâtre, où il était possible de se lancer dans des aventures assez folles.
Qu’est-ce que cela fait de jouer cette pièce à Nanterre, là où elle a été créée en 1986 ?
Micha Lescot : c’est très symbolique, très fort. J’en ai parlé longuement avec Richard Peduzzi, créateur de la scénographie à l’époque, qui m’a raconté que cela avait été très dur, tout le monde avait fini par s’engueuler. Même Chéreau estimait que cela n’avait pas marché, que le spectacle n’avait pas trouvé son public. Pourtant, et c’est la magie du théâtre, quand tu rencontres quelqu’un qui a eu la chance de voir la pièce, dans sa mise en scène originelle, il se souvient de tout. Cela a marqué les gens. C’est donc très beau de le refaire là-bas.
Quels sont vos projets théâtraux ?
Micha Lescot : Je vais retrouver d’ici l’automne Christophe Rauck, qui adapte Richard II de Shakespeare. Après la tournée manquée de Départ volontaire, en raison de la pandémie, j’ai plaisir à continuer notre collaboration d’autant, que c’est la première fois que j’exprime à un metteur en scène mon envie d’un rôle, d’une pièce. Cette passion pour ce texte, date de l’époque du conservatoire, où Gérard Desarthe, voulant rendre hommage à Jean Vilar dans le cadre d’un événement de l’Adami, m’avait proposé de jouer deux scènes de cette fresque historique à Avignon. Je suis content de reprendre ce texte, j’ai hâte de commencer cette nouvelle aventure dès le mois d’avril.
Comment passe-t-on de Koltès à Shakespeare ?
Micha Lescot : ce sont des langues pas si éloignées. Quand tu écoutes vraiment le texte de Quai Ouest, Il est frappant de remarquer comment Koltés convie dans son écriture d’autres grands auteurs de théâtre. Il y a des moments dans la pièce où l’on pense à Genet, à Marivaux, et bien évidement à Shakespeare.
Avez-vous des projets au cinéma, en parallèle ?
Micha Lescot : Cet été, j’ai tourné Les Amandiers, avec Valeria Bruni-Tedeschi, un long métrage qui revient justement sur les années Chéreau et Romans – que j’incarne à l’écran. C’est troublant d’ailleurs d’avoir travaillé Quai Ouest en même temps. J’ai aussi joué dans la Grande Magie de Noémie Lvovsky, une comédie musicale adaptée de la pièce de théâtre du même nom d’Eduardo de Filippo. Et cet été, je rejoins la distribution du prochain film de Maïwenn, une évocation de la vie de la Du Barry.
Propos recceuillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès
Création au TNB en Octobre 2021
Durée estimée 2h15
Tournée
Du 3 au 19 février 2022 à Nanterre-Amandiers, CDN
Mise en scène de Ludovic Lagarde assisté de Pauline Labib-Lamour
Avec Léa Luce Busato, Antoine De Foucauld, Laurent Grévill, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond, Christèle Tual, Kiswendsida Léon Zongo
Scénographie d’Antoine Vasseur
Lumières de Sébastien Michaud
Costumes de Marie La Rocca assistée De Armelle Lucas
Maquillage et coiffures de Cécile Kretschmar
Musique de Pierre-Alexandre «Yuksek» Busson
Musique additionnelle – Come Rain Or Come Shine (Harold Arlen – Johnny Mercer) Par Ray Charles
Son de David Bichindaritz
Image de Jérôme Tuncer
Crédit portrait © Jean-Louis Fernandez
Crédit photos © Gwendal Le Flem, © Thierry Depagne et © Jean-Louis Fernandez