Lisa Schuster a adapté et mis en scène, le magnifique texte de l’autrice afrikaner Antjie Krog, Mon pays, ma peau. Romane Bohringer et Diouc Koma conjuguent leurs talents dans une lecture-spectacle ciselé et, sur la scène du Lucernaire, la parole libère et réconcilie.
Ce qui est bien, entre autres, avec ce spectacle, c’est qu’il nous donne envie de se plonger et de tenter de comprendre ce qu’est ce pays, l’Afrique du Sud. Ma génération, et celle d’avant, a grandi au son des mots et des images liés à l’Apartheid. Après les événements de Soweto en 1976, nous avons été nombreux à boycotter les oranges Outspan, pour être solidaires avec le peuple noir Sud-Africain. Nous avons battu le pavé des rues parisiennes pour réclamer la libération de Nelson Mandela. L’Afrique du Sud, était issue depuis le XVIIe siècle de la colonisation, un pouvoir détenu par les blancs pour une population majoritairement noire, des lois ségrégationnistes terribles ! Impensable en ce XXe siècle, traversé par tant d’horreur !
Reconnaissance des crimes et renaissance
1991, fin de l’apartheid. 1995, Nelson Mandela devient président. Que faire alors de ce passé si lourd ? Comment aborder l’avenir ? Que faire avec les bourreaux et les victimes ? Comme après la chute du nazisme par des procès grandioses qui auraient déchiré la population sans régler le problème. D’où l’idée d’exercer une justice réparatrice pour restaurer la cohésion, avec la création de la Commission Vérité et Réconciliation, présidée par le charismatique archevêque, Desmond Tutu, décédé en décembre dernier. L’objet de cette commission concernait les crimes et les exactions politiques commis non seulement au nom du gouvernement sud-africain, mais aussi les crimes et exactions commis au nom des mouvements de libération nationale.
Être Afrikaner
Les travaux de cette commission durèrent trois ans et furent suivis, pour la radio nationale par Antjie Krog, célèbre poétesse et journaliste afrikaner. Qu’est-ce qu’être afrikaner ? Etre un descendant des colons souvent néerlandais arrivés au XVIIe siècle, et posséder une langue, l’afrikaans. Adolescente, elle s’était fait connaître, à une époque où il était impensable d’écrire ces mots, par un poème où elle disait : Voyez, je me fais un pays […] Où Noirs et Blancs, main dans la main apporteront amour et paix, dans mon beau pays. Sa place était là, être parmi ceux qui rendraient compte de ce qui allait être dit et entendu lors des auditions.
Plongée au cœur d’un civilisation
De ces reportages, de cette expérience, Antjie Krog en a tiré un livre : Country of my skull. Lisa Schuster en tire un spectacle bouleversant. Elle a su choisir les angles pour que l’universalité des propos nous touche et nous amène à bien des réflexions d’ordre général comme personnelles. Qu’est-ce qu’un pays ? Une nation ? Que signifie le mot citoyen ? Pourquoi les droits ne sont pas les mêmes pour tous ? Comment peut-on penser que quelqu’un peut être inférieur à cause de sa race, sa couleur de peau ? Est-il donc si difficile d’accepter les différences de l’autre ? Pourquoi la tolérance, même dans notre quotidien, n’est pas une attitude naturelle ? etc.
Un spectacle à part
Lisa Schuster a choisi, la lecture-spectacle. Ce qui signifie que les acteurs ont leur texte en main. Mais, très vite, on l’oublie. D’abord parce que tout ceci est intégré dans la mise en scène, qui utilise les outils de diffusion radiophoniques, et ensuite parce que les comédiens se sont appropriés les mots et les sentiments. Romane Bohringer est Antjie Krog. Elle incarne avec toute sa fougue et son talent, les doutes, les questionnements, les remises en question d’une femme qui va faire sa réconciliation personnelle et être fière d’appartenir à ce peuple Arc-en-Ciel. Dans un exercice plus périlleux, Diouc Koma interprète, Desmond Tutu bien sûr, mais surtout les citoyens sud-africains (noirs et blancs, riches et pauvres, victimes et assassins, anonymes et politiques…). Il est formidable. Le duo fonctionne à merveille. On sort du spectacle bouleversé certes, mais aussi avec le sentiment que notre regard sur le monde qui nous entoure ne sera plus tout à fait le même. Et c’est cela aussi que l’on demande à un spectacle.
Marie-Céline Nivière
Mon pays, ma peau d’après Antjie Krog
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Du 12 janvier au 27 février 2022
Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 18h
Durée 1h30
Adaptation et mise en scène Lisa Schuster
D’après Country of my skull d’Antjie Korg, traduit par Vanessa Seydoux
Avec Romane Bohringer et Diouc Koma et les vois d’Aurore Déon, Djénéba Diarra, Emmanuel Gayet, Thierry Lecomte et Lazare MinoungouCréation sonore de Bernard Vallery
Scénographie de Thibaut Fack
Création lumières de Thierry Capéran
Costumes de Marion Rebmann
Crédit photos © Xavier Cantat