À Nanterre-Préfecture, à deux pas du RER, Julie Desprairies investit la Terrasse – Espace d’art, un bloc de verre et de béton dédié à l’art contemporain. Inventant des formes éphémères, imaginant des rencontres improbables, l’artiste française propose des expositions vivantes faites de performances uniques, éphémères. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
1789… Et nous, de Maurice Béjart, sous la verrière du Grand Palais à Paris.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
L’atelier de pratique scénique de Marc Klein (metteur en scène au Théâtre du fil) à l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être artiste de l’éphémère ?
J’ai toujours aimé l’idée de ne rien ajouter au monde, déjà saturé d’objets, à part des souvenirs chez les spectateurs. Mes plus grands chocs esthétiques ont été sur scène.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
L’Atelier, de Jean-Claude Grumberg, dans mon cours de théâtre au Conservatoire de Malakoff quand j’étais adolescente. Je jouais – très mal – le rôle de Simone. C’est certainement ce qui m’a décidée à ne pas être sur le plateau, mais de l’autre côté !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Fase, d’Anne Teresa de Keersmaeker et la puissance de Cynthia Loemij.
Au Théâtre de la Ville, j’avais 20 ans. J’ai dansé, immobile sur mon siège, pendant tout le spectacle, j’en suis sortie épuisée et enthousiaste comme jamais. Drumming et Rain ont constitué ensuite pour moi des chefs d’œuvre indépassables, mais ça n’est pas très original !
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Dans l’ordre : Barbara Carlotti, chanteuse, qui est devenue mon amie lors d’un voyage de classe en Angleterre quand nous avions 12 ans. Vladimir Léon, réalisateur, qui partage ma vie depuis 25 ans ; Elise Ladoué, danseuse, qui écrit ma danse depuis plus de 15 ans. Beaucoup d’autres personnes comptent énormément pour moi, dans le quotidien de mon travail et ma réflexion, je les ai invités dans mon exposition Desprairies et Cie, actuellement présentée à La Terrasse, espace d’art de Nanterre.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Ma démarche située me permet de rencontrer énormément de personnes, de tout milieu et toute origine : coiffeuse, paysan, plongeur, bibliothécaire, chasseur, architecte, dealer, puéricultrice, paysagiste, agent d’entretien, jardinier, militante, promoteur, éleveuse, et dernièrement, pour mon projet d’excursion chorégraphique en forêt ardennaise, sylvothérapeute et grand maître de la confrérie de la galette à sucre et du gâteau mollet.
Tous ces contextes et ces logiques de travail et de vie me nourrissent et passionnent.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les lieux avant tout, chargés de leur histoire et des personnes qui les habitent. Et puis aussi beaucoup les œuvres, plastiques surtout, chorégraphiques souvent.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Je n’ai jamais créé pour la scène. Ma scène s’inscrit dans des lieux existants, beaucoup l’architecture au début, et depuis une dizaine d’années les milieux ruraux.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le cerveau ! Ma seule vraie compétence est d’avoir des bonnes idées pour résoudre des questions que me posent les lieux.
Vous vous êtes spécialisée dans les œuvres uniques, dans les rencontres artistiques, qu’est-ce qui vous motive, vous porte ?
Découvrir chaque fois un nouvel environnement, avec ses fonctionnements propres et sa singularité radicale.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Sébastien Daucé et l’Ensemble Correspondance ; le cinéaste Emmanuel Mouret.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Monter un opéra in situ dans une maison d’opéra. Les spectateurs circuleraient dans le bâtiment, chaque lieu (dessous de scène, foyer, escaliers, salles de répétition) seraient les décors des scènes de l’œuvre lyrique.
Avez-vous des lieux de prédispositions pour créer vos spectacles ?
Je suis sensible aux lieux chargés d’utopie. Les Gratte-ciel de Villeurbanne, La Villeneuve de Grenoble, la Ferme Tournesol au pied du Vercors sont des espaces où la vie quotidienne s’est inventée autrement, loin des conventions et des codes établis.
J’ai adoré travailler là.
Pourquoi cette volonté de ne créer que des œuvres d’art vivant unique, sans possibilité de reproduction ?
Pour le plaisir incomparable de l’art vivant : le partage à un moment donné d’une expérience collective dans un espace commun. Aussi, pour que mes créations ne soient pas des objets marchands.
Votre art est hybride, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Cela signifie accueillir dans une création des langages multiples, qui proviennent de personnes très différentes, expérimentées ou non. C’est donner une place de choix à des détails, des choses ordinaires, c’est privilégier la relation, c’est mettre en scène un hétéroclite et joyeux bazar.
Dans les pas de Robert Filliou : bien fait, mal fait, pas fait !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
À la fois un carré de pollen de Wolfgang Laib et une installation de cartons et de scotch de Thomas Hirschhorn. Ou bien un Parangolé de Hélio Oiticica.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Julie Desprairies & Cie, une exposition performée
La Terrasse – Espace d’art de Nanterre
57 bd de Pesaro
92000 Nanterre
Crédit portrait © Léon Vladimir
Crédit photos © Line Francillon