Dans le cadre de la première édition du Festival Everybody, initié par le Carreau du Temple afin d’interroger la place du corps dans nos sociétés contemporaines, voguing, danses engagées et ateliers de pratiques corporelles sont à l’honneur. À cette occasion, l’artiste lausannoise Trân Tran présente une œuvre singulière autour d’une question simple mais fondamentale, pourquoi va-t-on au spectacle ?
Depuis quelques jours, c’est l’effervescence au Carreau du temple. D’étranges et extraordinaires créatures aux cheveux roses, bleus ou violets, perchées sous de hauts talons, des sosies de Basquiat, des géants, des individus vêtus de toutes les couleurs, dans tous les styles, ou habillés légèrement, déambulent aux abords de l’ancien marché couvert du XIXe siècle, réhabilité en 2014 en lieu culturel et sportif dédié aux modes de vie et aux nouveaux usages urbains. À l’intérieur, se prépare un événement délirant, un show paillettes des plus extravagants.
Vogue et balance « ton boule »
Attention les yeux, Lasseindra Ninja, danseuse queer professionnelle et figure emblématique du voguing en France, investit la place. Depuis cinq ans, la performeuse d’origine guyanaise régale la capitale de ses incroyables fêtes, de sesfameuses ballrooms. S’inspirant du mouvement né dans les clubs underground fréquentés par les gays latino et afro-américains dans les années 1970, l’événement rassemble, quatre heures durant, artistes de tout poil, adaptes, amateurs et curieux. Se regroupant par équipe, par house, les participants s’affrontent sur le dancefloor à coup de chorégraphies, de mouvements s’inspirant des magazines de mode, de gestes hyper-codifiés. Féerique, magique, la soirée, qui s’est tenu dimanche 20 février, a comblé toutes les attentes d’un public exigeant, suspendant le temps et apportant en ces temps de pandémie, un vent de folie et de liberté.
Aller au théâtre, pourquoi ?
Après une journée d’ateliers, de rencontres entre public et artistes, place au spectacle. Avec Here & Now, spectacle présenté en juillet dernier au Train Bleu dans le cadre de la Sélection Suisse en Avignon, Trân Tran invite le public à s’interroger sur sa présence en ce lieu, assis sur des gradins, pour de l’art vivant. Après un court prologue où elle décline son identité, se présente ainsi que sa famille succinctement, elle invite les spectateurs à répondre à quelques questions qui vont nourrir improvisations et processus créatif : Pourquoi être venu ? Qu’est ce qui a motivé cette décision ? est-ce l’envie de s’évader, de soutenir la culture, de partager collectivement une expérience ou pour voir de la violence, du sexe ? Ou tout simple pour un rendez-vous galant ? Tout est possible, à chacun de cocher les cases qui correspondent à ses motivations, son humeur dans ce questionnaire géant à choix multiples…
Décaler le propos
Cheveux rasés, visage juvénile presque impassible, regard rieur, la performeuse suisse d’origine vietnamienne, avec la complicité de Tatiana Baumgartner et de Pauline Raineri, s’amuse à détourner les codes, à exploser le quatrième mur. Suivie par une ombre noire reproduisant ses gestes, servant à l’occasion d’assistante, Trân Tran emprunte autant au film muet qu’à la pantomime et signe un spectacle unique follement burlesque. Avec beaucoup d’humour, d’intelligence, l’artiste, qui se définit comme non binaire, fait le clown, parle d’amour, de plaisir féminin, de consentement, de ses histoires de cœur, de son refus d’être cataloguée. Derrière les rires, les singeries, elle ouvre la voie à une réflexion profonde sur nos sociétés, sur la place de l’art, sur ce que nous sommes, sur l’avenir… Un pur moment de joie qui décrasse les neurones, secoue nos consciences et réveille nos zygomatiques, à voir au plus vite !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Here & Now de Trân Tran
Festival Everybody
Carreau du Temple
2 Rue Eugène Spuller
75003 Paris
Jusqu’au 22 février 2022
Durée 50 min
Tournée
10 au 12 mars 2022— Brixton House, London
21 avril 2022— Espace 1789, Saint-Ouen
7 au 9 juillet 2022— HOME, Manchester
Concept de Trân Tran/ TOAST
avec Tatiana Baumgartner, Pauline Raineri et Trân Tran
Technique & Régie de Virginie Serneels
Musique de Jacques Henri Sennwald
Crédit photos © Julien Gremaud & © Le Marais Mood
