Après une année empêchée en raison de la pandémie, la douzième édition du Festival romand Antigel a frôlé le carton plein. Malgré des annulations et la menace du variant omicron, durant trois semaines, concerts, festivités, performances et pièces chorégraphiques ont fait vibrer le cœur du public. Tout nouveau collaborateur artistique, Gábor Varga revient sur cette première expérience et une manifestation en temps de covid.
Quel est l’ADN du festival ?
Gábor Varga : Je dirais que pour Antigel le plus essentiel, c’est de bousculer, les styles, les situations, les conventions, les publics et les artistes. On adore inventer, et même si en feuilletant notre programme, on peut trouver des concerts et des spectacles présentés dans des salles, les quelques axes essentiels sont de créer des mélanges improbables de disciplines, de publics dans des lieux hors-normes ; d’amener la culture dans des endroits qui n’y sont pas dédiés ; de mettre en valeur le territoire genevois, approcher la culture par le territoire. On est les « tour-opérateurs » culturels de Genève. Avec l’équipe du festival, on est présent partout sur le territoire du canton, on fait voyager et rêver notre public. Antigel est multiforme, anti-code et totalement indiscipliné. Dans la programmation on retrouve autant des artistes locaux que des noms venus d’ailleurs, de (très) loin. Nos événements éphémères, les projets « Made in Antigel » et culturo-sportives sont particulièrement appréciés par un public très hétéroclite.
Comment il s’est implanté au niveau territoire genevois ?
Gábor Varga : La toute première édition d’Antigel a eu lieu il y a 12 ans, sur une initiative de Thuy-San Dinh et Éric Linder, dans un contexte assez tendu à Genève. On nous disait qu’il y avait déjà trop de culture dans la ville, et qu’une manifestation supplémentaire, surtout de cette taille était impossible à financer. Il y avait une sorte de gel culturel, et la grande majorité des activités se concentraient au centre de Genève. C’est l’une des raisons, d’ailleurs du choix d’Antigel pour nommer la manifestation. Pour dégeler la culture, pour prouver qu’il y a toujours de la place pour encore plus de propositions artistiques, il faut juste regarder la carte et la situation différemment. D’emblée, le festival a sollicité des partenaires dans les communes environnantes. On a monté des concerts dans des églises, dans des petites salles communales et surtout, dans des usines encore en activité, dans des déchèteries, des forêts (en février !!!), des dépôts de bus. Dès le début, le festival se positionnait comme celui des communes genevoises. Aujourd’hui, nous avons des partenaires fiables, fédérés autour d’un projet commun, et même si c’est toujours un challenge d’amener la culture où elle n’est pas, où, en tout cas, elle n’est pas suffisamment présente, le label Antigel rassure et ouvre des portes. On voit aussi certains partenaires s’inspirer de nos expériences et nous en sommes fiers. D’ailleurs, cela nous pousse à être encore plus fous et à laisser notre imagination aller encore plus loin.
Le festival touche à sa fin, quel est le bilan de cette édition post-covid ?
Gábor Varga : Pas tout à fait post-covid :-). Nous n’avons pas pu faire une édition « comme d’habitude ». On espérait pouvoir faire beaucoup plus que l’année dernière, mais jusqu’à une dizaine de jours avant le début on ne savait pas si la programmation, telle qu’elle avait été imaginée, pourrait avoir lieu. Je précise qu’il n’a jamais été question d’abandonner et de ne rien faire !
Finalement, on a été très content d’apprendre qu’on pouvait organiser une édition audacieuse. Certes, sans le Grand Central et ses grandes soirées de clubbing qui touchent environs 20-25 000 personnes par édition, mais au moins avec des concerts, des spectacles et des événements surprises. Des changements, des annulations, des reports, des reprogrammations ont eu lieu jusqu’à l’avant-dernier jour du festival. On a dû réimprimer le programme en cours de route à cause de ces changements. Mais on s’est battu pour pouvoir proposer des expériences fortes à notre public et nos artistes, coûte que coûte.
L’expérience, la plus positive, était de retrouver la communion sacrée entre artistes et public. Cette édition fut, de ce point de vue, très joyeuse. De plus, le petit cadeau du Conseil Fédéral de lever la plupart des restrictions sanitaires, pour nos trois derniers jours, est une aubaine. On peut, depuis le 18 février, accueillir notre public sans masques et sans passe sanitaire, faire des bars dans les salles de concert, faire la fête ! Et pour donner quelques chiffres, l’édition 2022 d’Antigel a duré 24 jours. Nous avons accueilli plus que 200 artistes venant de 20 pays différents pour un total de 187 représentations. Nous avons produit 7 créations in-situ. Nous sommes allés dans 23 communes, et avons collaboré avec 47 lieux. Nous avons réuni pas moins de 100 partenaires (culturels, média, fondations, sponsoring, prestataires) autour de cette édition. Et pour notre plus grand joie, plus de 27 000 spectateur.rice.s sont venu.e.s profiter du festival.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Magali Dougados, © François Volpe, © Aline Bovard Rudaz et © Mélanie Groley