Après une année empêchée, à huis-clos, le Phénix de Valenciennes renaît de ses cendres et propose dans le cadre de son festival dédié à la création contemporaine d’interroger « nos futurs » à l’aune du passé. De Gurshad Shaheman au collectif l a c a v a l e, en passant par Rebecca Chaillon et Cédric Orain, les artistes rongent jusqu’à l’os les racines du patriarcat, du colonialisme et font un état des lieux des rapports hommes-femmes, enfants-parents.
Un pâle soleil d’hiver éclaire les rues de Valenciennes. Aux abords du Phénix, Scène nationale de Valenciennes, immense paquebot rouge fendant les airs et imposant sa silhouette massive au cœur de l’ancienne capitale du Comté de Hainaut, une certaine effervescence règne. Public venu nombreux et professionnels s’entremêlent, partagent leurs expériences, échangent leurs bons tuyaux. Alors que l’après-midi défile. Un petit nombre de personnes se dirigent vers des navettes pour se rendre à Aulnoye-aymeries, à quelques encablures de Maubeuge, pour découvrir la dernière création de Gurshad Shamenan, Silent Disco.
Au temps du disco
Reprenant à peu de chose près la formule qui avait fait le succès d’Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, pièce présentée en 2019 au festival d’Avignon avec la participation des élèves de l’ERAC, le metteur en scène d’origine libanaise porte au plateau les paroles très personnelles d’inconnu.e.s, de femmes, d’hommes, de trans, de non-binaires, dont l’enfance fut brisée, abîmée. Violence paternelle, désaffection maternelle, abandon parental, divorce, amour étouffant, Gurshad Shaheman met en lumière ces trajectoires de vie transpercées par une rupture familiale. Avec délicatesse, il convie le spectateur à entrer au cœur d’une intimité blessée que la musique, la danse apaise. Ainsi, chacun des neuf auteurs-interprètes, juchés sur des piédestaux en béton, casques visés sur les oreilles, laisse leurs corps se mouvoir, portés par leur propre son. Sortant de leur bulle, les uns après les autres, ils entrecroisent leurs histoires, les entremêlent, les entrechoquent et tissent un récit commun troublant d’une belle humanité.
La beauté du geste
Puisant dans leurs souvenirs, Victoria Primina, Ozan Eken, Brandon Kano Butare, Jean Lesca, Elisa Loverix, Sasha Martelli, Franck Michel, Aurianne Servais et Safie Sy confient leurs secrets, leurs fêlures, leurs doutes, les peines et les joies qui ont construit les êtres qu’ils sont devenus. Marginaux diront-les uns, différents diront d’autres, tout simplement humains se débattant dans une société par trop normée dans laquelle ils ne se reconnaissent pas pour la plupart, ils font de leur diversité, de leur altérité, de leur dissemblance des forces. Revendiquant leur unicité autant que leur banalité, ils transforment le plateau en une fête salvatrice, une tribune libératoire qui touche juste, émeut. Un moment de communion fort troublant !
Le patriarcat, comment en finir ?
Un peu plus tard dans la soirée, dans une autre salle partenaire du Phénix de Valenciennes et du Manège de Maubeuge,les membres du Collectif l a c a v a l e – Antoine d’Heygere, Nicolas Drouet, Erwan Marion, Julie Ménardet Chloé Simoneau – investissent la scène, et à travers leur histoire, celle de leurs parents, de leurs amis, cherchent à déboulonner les fondations de notre société patriarcale. Si l’idée est bonne, bien que très en vogue en ce moment, les cinq artistes issus du théâtre et du cinéma documentaire ont bien du mal à tenir leur ligne, à ne pas tomber dans un enchaînement de clichés. Entremêlant leurs disciplines avec une belle énergie, une intéressante dynamique, ils finissent par se perdre dans les méandres de leurs pensées et ne mettre en exergue que des poncifs sur le sexisme, le genre, le féminisme ou le masculisme. C’est d’autant plus dommage qu’il se dégage de cette œuvre bancale tant par le jeu que le propos, une sincérité et un engagement qui titillent notre attention. Particulièrement frais et fragile, le spectacle ne demande qu’à se frotter au public pour se resserrer, se remodeler…
La journée s’achève. Le noir de la nuit a envahi les rues de Valenciennes. Un dernier tour à l’Avant-Scène, QG du festival, se laisser porter par flow impulsé par un DJ, échanger quelques impressions avec les artistes présents, Cédric Orain, Rebecca Chaillon ou Yuval Rozman, avec le public enthousiastes, curieux, avec l’équipe du lieu fort chaleureuse, accueillante. Le temps de la réflexion, du repos se fait sentit. À bientôt, le Phénix et son bien fascinant cabaret …
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Valenciennes
Silent disco de Gurshad Shaheman
Festival de Curiosités 2022
Théâtre Léo Ferré Aulnoye-Aymeries
Première Française
Le 25 février 2022
durée 1H20
direction et mise en scène de Gurshad Shaheman
texte et interprétation de Victoria Primina, Ozan Eken, Brandon Kano Butare, Jean Lesca, Elisa Loverix, Sasha Martelli, Franck Michel, Aurianne Servais, Safie Sy
L’Âge de nos pères du Collectif l a c a v a l e
création le 22 février 2022 au Vivat D’Armentières
Présenté au Manège de Maubeuge dans le cadre du Cabaret de curiosités
Tournée
Le 10 mars 2022 à L’Escapade, Hénin- Beaumont
Du 21 au 25 mars 2022 Théâtre dee Poche, Hédé-Bazougues
Du 10 au 17 mai 2022 au Préau Cdn De Vire, Dans Le Cadre Du Festival A Vif
un spectacle documentaire de et avec le collectif l a c a v a l e : Antoine d’Heygere, Nicolas Drouet, Erwan Marion, Julie Ménard, Chloé Simoneau
Crédit photos © Alice Piemme & © DR