Dire qu’on l’a attendu ce Showgirl avec Marlène Saldana, se glissant dans la peau d’Elisabeth Berkley, jeune starlette broyée par la machine hollywoodienne, disparue corps et bien dans une succession de nanars, ne serait absolument pas mentir). Il faut dire que si le film, sorti en 1995, n’a pas laissé un souvenir impérissable dans nos mémoires de cinéphiles, le souffre qui a accompagné sa sortie reste un souvenir prégnant tant les critiques se sont acharnées sur Verhoeven encore tout auréolé du succès de Basic Instinct. Et disons-le sans détour, ce remake scénique complétement débridé est au-delà de nos espérances les plus folles. Un chef d’œuvre du « nimp » coké, du glamour « trash », du « queer » sur-vitaminé à l’exctazy, à la MDA combinés.
Direction Las Végas
Des profondeurs de la scène, une voix rompt le silence. C’est l’heure du casting au Stardust. Pour le show topless du soir, il manque une danseuse. Avec son franc parler, son rire gras, ses blagues lourdes, sexistes, Tony Moss cherche la bombe atomique qui saura réveiller les braguettes engourdies de ces messieurs, qui n’a pas froid aux yeux, qui acceptera de laisser sa dignité aux vestiaires.
Dans la pénombre, une silhouette apparait, celle d’une femme sylphide. Portant une robe rappelant l’affiche du film – un corps nu féminin de profil, une jambe en avant -, Marlène Saldana apparait. Cheveux tirés en arrière, maquillée, pailletée à outrance, elle investit le plateau, en avale l’espace, le transforme en cabaret, en bar à peep show de Las Vegas. Pas ou peu d’intonation dans la voix, juste sa présence unique, démesurée, elle est Marty, Cristal – incarnée à l’écran par l’excellente Gina Gershow -, Nomi Malone, etc. Commence alors une plongée vertigineuse où s’entremêlent ingénieusement les dialogues du film, les délires, les assertions des trois artistes en très grande forme.
Un conte postmoderne ultrakitsch
Revisitant à leur manière potache, trash, délurée, l’œuvre de Verhoeven, le trio infernal, s’amuse, lâche la bride à la bien-pensance. C’est du show XXL, du théâtre total qui conjugue une pluralité d’arts vivants. En racontant l’histoire de cette jeune fille, de cette danseuse, qui verra son rêve se fracasser à la férocité de la vie, Marlène Saldana et Jonathan Drillet au jeu et à l’écriture, Rebeka Warrior à la musique, donnent à voir un outremonde, les prémices acidulées d’un désastre. Étrillant les normes, les combats vains, mettant en miroir l’histoire de Nomi Malone, personnage principal de Showgirls, et la carrière avortée de son interprète, ils esquissent le portrait sans retouches des actrices d’hier, d’aujourd’hui, de demain, ces reines d’un soir, d’une vie, confrontées au Showbiz, à ses promesses dorées, ses échecs retentissants.
Une Saldana délirante
Partageant la scène avec l’excellent Jonathan Drillet, qui campe Murray, un assistant déluré et détonnant, Marlène Saldana brûle les planches. Pute sur le retour, peste odieuse, meneuse de revue flamboyante, jeune effarouchée, elle se donne à mille pour cent, emportant tout sur son passage, osant tout. S’appropriant avec malice un texte cru, trivial, elle transforme le vulgaire en poésie, le hard en balade sensuelle, charnelle.
Petit bijou kitsh, Showgirl est une pépite drôle, hilarante autant qu’émouvante, un objet théâtral non identifié, intelligent et fun, qui fait du bien, qui sort de la torpeur du quotidien, de sa morosité. Loin de toute bienséance, jetant aux orties toute pudeur, c’est une fresque folle, délirante que nous offre le trio, un moment de bonheur, de sexe, de cul, de bite, de vie hors cadre, hors norme. Jubilatoire, génial !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Poitiers
Showgirl de Marlène Saldana, Jonathan Drillet et Rebeka Warrior
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris.
Du 26 février au 9 mars 2024.
Durée 1H30
Festival WEE !
TAP-Poitiers, Scène nationale
1 Bd de Verdun
86000 Poitiers
le 22 janvier 2022
Texte et interprétation de Marlène Saldana Jonathan Drillet
Création musicale Rebeka Warrior Mix Krikor
Décor de Sophie Perez
Sculpture de Daniel Mestanza
Costumes, maquillage, perruques de Jean-Biche
Lumières de Fabrice Ollivier
Son de Guillaume Olmeta
Conseil chorégraphique de Mai Ishiwata
Assistanat – Robin Causse