Au TNP à Villeurbanne, jusqu’au 14 janvier 2022, Margaux Eskenazi reprend Et le cœur fume encore, sa très belle et puissante évocation kaléidoscopique de la guerre d’Algérie, qu’elle a concocté avec sa complice Alice Carré. Metteuse en scène curieuse et passionnée, elle donne vie aux récits fragmentés de nos grands parents, d’une époque dont les stigmates sont toujours présents dans notre histoire contemporaine. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’avais 5 ou 6 ans. Ma mère m’emmenait au Guignol à côté de là où on habitait. J’étais fascinée. Je faisais tout pour essayer de voir comment ça se passait derrière : qui tenait le gendarme ? qui donnait vie à Guignol, à sa femme ? Ils étaient plusieurs ou tout seul ? Et je regardais les autres enfants du public. Tout le monde rigolait. Moi aussi. Je n’ai jamais oublié cette première expérience.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Justement guignol. Je me suis dit qu’on pouvait passer nos journées à faire rire des enfants, à jouer avec des marionnettes et à raconter des histoires. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est un peu plus complexe, mais il n’en reste pas moins que Guignol fut mon déclencheur ! Et heureusement. Un déclenchement naïf et joyeux.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être metteuse en scène ?
Au début, je pensais vouloir être comédienne. J’ai pris pendant très longtemps des cours, j’ai fait des écoles de théâtre, etc. Mais je me rendais compte que je préférais bien plus regarder les autres passer au plateau et être à côté du prof que moi-même être en scène. J’aimais regarder les acteurs. Et j’aime toujours ça, encore plus qu’au début ! J’aime les regarder bouger, les diriger, être au plus près de ce que j’appelle « les maillons de la pensée ». Donc ce qui m’a fait choisir la mise en scène, ce sont les acteurs. C’était le seul endroit où je pouvais les regarder sans m’arrêter ! Mais aussi et maintenant, c’est toute une équipe de collaborateurs artistique, en production et diffusion et une direction de compagnie. Je ne pourrai plus faire sans eux, sans ce projet artistique et politique qu’on développe collectivement.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le médecin malgré lui de Molière. Je jouais Géronte, le père de Lucinde ! En costume et perruque d’époque. Je faisais mes gammes !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Adolescente, je découvre le théâtre du soleil et Le dernier caravansérail. Une porte s’ouvre. On est en 2003.
Jeune adulte, je découvre El ano de Ricardo d’Angélica Lidell à Avignon. Un monde s’ouvre. On est en 2010.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mon premier assistanat à la mise en scène en 2010 : La loi du marcheur avec Nicolas Bouchaud, Eric Didry et Véronique Timsit. Avec eux, j’ai appris une grammaire et une langue de théâtre que j’essaye de ne jamais oublier.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je ne sais pas s’il est essentiel à mon équilibre ou à mon déséquilibre qui lui devient essentiel à mon équilibre !! En tout cas, et après mûre réflexion, je ne pourrai rien faire d’autres donc je continue dans mon déséquilibre équilibrant.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout. Je brûle tout, je digère, je dors avec tout ça et je le ressors quand il faut. Mais regarder les gens reste un spectacle incroyable. Dans le métro surtout ou à la caisse des supermarchés.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
C’est mon combat politique.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est mon petit doigt de la main droite : je pourrai jamais m’en passer.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Louise Bourgeois, Colette, Sophie Calle, Marguerite Duras, Basquiat, Césaria Evora.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Depuis des années, je rêve qu’on me propose de créer un cabaret au Lido à Paris !! Des plumes, du strass et du corps féminin politique et conscientisé.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Jérusalem : la ville-monde.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Et le cœur fume encore de Margaux Eskenazi et Alice Carré d’après les textes de Édouard Glissant, Kateb Yacine, Assia Djebar et Jérôme Lindon
Reprise
TNP – Villeurbanne
du 4 au 14 janvier 2022
Mise en scène : Margaux Eskenazi
Avec Armelle Abibou, Loup Balthazar, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami
Collaboration artisitique d’Alice Carré
Régie lum&vidéo de M.Flores
régie son de J.Martin
Crédit photos © Loïc Nys