La pièce Fanny a été commandée tout spécialement à l’autrice Québécoise Rébecca Déraspe par Fabien Joubert O’Brother Compagny, et Rémy Barché, Cie Moon Palace, pour la comédienne Gisèle Torterolo. Le résultat, à voir à Théâtre Ouvert, est une formidable ode à la femme de plus de cinquante ans qui a, encore, toute sa place dans notre société.
Être dans le tunnel de la cinquantaine est pour les comédiennes une épreuve, les propositions de rôles se raréfient et pire, si l’on regarde bien dans le répertoire, il y a peu d’espoir de trouver un beau personnage digne de ce nom. Gisèle Torterolo a appartenu durant de longues années à la troupe de la Comédie de Reims, lorsqu’elle était dirigée par Christian Schiaretti. Jean-Pierre Siméon avait écrit pour elle son superbe Stabat mater furiosia. C’est une artiste remarquable dans la trempe des grandes, de celles qui nous bouleversent et nous épatent à chacune de leur prestation. Ce n’est pas une star, mais elle a tout d’une grande. Elle a plus de cinquante ans et, comme elle le prouve dans Fanny, tout est encore permis et possible.
Une ode à la femme de plus de cinquante ans
Rebecca Déraspe, lauréat de l’aide à la création 2020 d’Artcena, a rempli admirablement le cahier des charges qui était d’écrire un texte dont l’héroïne est une femme de plus de cinquante ans. La Québécoise possède un style et une langue qui, ici, fonctionnent à merveille. Elle dépeint finement les états d’âme comme les petites choses du quotidien. L’autrice aborde le thème du temps qui passe et nous questionne sur ce moment où l’on comprend que notre jeunesse est derrière nous et que la vieillesse se pointe subrepticement. On reste toujours juste des êtres humains qui essaient de ne pas mourir. Fanny est heureuse dans sa vie et dans son couple. Elle rayonne. Elle n’a pas eu d’enfant. Elle n’est donc pas mère, mais cela n’entrave en rien sa féminité. C’est ainsi, elle s’est construite. Elle est satisfaite de sa vie. Cela fait du bien de voir des gens heureux !
Un regard extérieur
Un jour, le couple décide de louer une des chambres de leur grande maison à une étudiante, histoire de mettre un peu de mouvement dans leur vie. Se sentant injustement trop gâtés par la vie, ils veulent rendre service. Or c’est la jeune fille qui va leur rendre service. Elle va leur permettre de regarder le monde sous un autre prisme. C’est très beau de voir alors Fanny redécouvrir ce qu’elle avait mis de côté. Et cela va redéfinir sa place. Alors, la femme vieillissante va se battre contre les clichés de l’âge, engager un dialogue avec ces jeunes qui ne la comprennent pas et se battre contre les clichés mis en place par la société dans laquelle nous vivons. Je veux juste comprendre, Comprendre pour vrai, Comprendre comme si j’étais là, Parce que c’est ça le pire dans le fait de vieillir, C’est d’être à l’extérieur de la pensée qui se transforme. Et au bout de sa révolution culturelle, elle retrouvera ce bonheur qu’elle n’a jamais perdu.
Un trio mené de mains de maître par Rémy Barché
Rémy Barché signe une mise en scène au cordeau, s’appuyant sur une scénographie étonnante et très colorée. Jouant sur les codes de la comédie bourgeoise et ceux du théâtre contemporain, sur les images et les symboles, le metteur en scène nous entraîne dans cette histoire avec de l’esprit et de la fantaisie. Pas un temps mort, du rythme et des ruptures, et nous voilà pris en haleine, ne voyant pas le temps passé. Dans le rôle du mari attentionné, patient et surtout et aimant, Daniel Delabesse est extraordinaire. Il faut le voir regardant son épouse avec cette immense tendresse ! Le geste comme la parole, rien n’est gratuit dans son jeu ! Plein de fougue, de contradiction, de peur et de certitude, donc de jeunesse, Elphège Kongombe est formidable. Quant à Gisèle Torterollo, elle incarne avec une grâce, une intelligence, une force, les joies et les tourments de son personnage. Fanny c’est elle mais c’est aussi nous ! La comédienne nous a régalés de bout en bout par la qualité de son interprétation. Une grande dame !
Marie-Céline Nivière
Fanny de Rebecca Déraspe
Théâtre ouvert
159 avenue Gambette 75019 Paris
Du 11 au 23 janvier 2022
Mardi, mercredi à 19h30, Jeudi, vendredi à 20h30, Samedi 15 janvier à 18h, Samedi 22 janvier à 20h30, Dimanche 23 janvier à 16h00
Durée 2h20
Tournée
Le 27/01/2022 à l’ACB – Scène nationale de Bar le-Duc
Les 03 et 04/02/2022 Le Carreau Scène nationale de Forbach
Mise en scène de Rémy Barché
avec Daniel Delabesse, Elphège Kongombe, Gisèle Torterolo
Avec les voix de Mélicia Baussan, Juliette Cahon, Adrien Caron, Romain Gillot, Julien Masson, Rose Millot et Nicolas Murena
Collaboratrice artistique d’Alix Fournier-Pittaluga
Scénographie de Salma Bordes
Création son d’Antoine Reibre
Création vidéo de Stéphane Bordonaro
Création lumières de Florent Jacob
Régie générale de François Picard
Stagiaires à la mise en scène de Mélicia Baussan, Nicolas Murena
Texte paru aux Editions Tapuscrit / Théâtre Ouvert
Crédit photos @ Joseph Banderet