À l’Espace Cardin, Frédéric Bélier-Garcia met en scène sa mère Nicole Garcia dans Royan, une pièce écrite sur mesure par Marie NDiaye. Rencontre avec un artiste sensible.
Quelle est la genèse du projet Royan ?
Frédéric Bélier Garcia : Au départ, c’est né d’un désir de Nicole (Garcia) de remonter sur scène. Elle ne souhaitait pas une forme trop lourde, elle avait envie d’un récit centré sur un unique personnage, d’un texte écrit à cet effet, d’une écriture contemporaine, d’une plume d’aujourd’hui. Après avoir envisagé ensemble différents auteurs, notre choix, notre goût commun, s’est tourné vers Marie NDiaye. J’avais déjà travaillé sur une de ses œuvres. J’en connaissais la radicalité, l’âpreté, la poésie épurée. Son écriture féminine, engagée, son regard sur le monde, sur sa noirceur, sa manière d’en extraire une certaine lumière malgré tout, a beaucoup plus à Nicole. Nous l’avons rencontrée et lui avons proposé le projet. Elle a tout de suite été intéressée, intriguée même d’écrire un monologue et excitée de le faire pour Nicole Garcia. Il y avait comme une émulsion.
Lui avait vous donné des consignes d’écriture ?
Frédéric Bélier Garcia : très peu, finalement. On a discuté à trois plus sur le ton de la conversation. Après nous l’avons laissé assez libre. Elle nous a juste demandé trois mots, trois thématiques. Dans mes souvenirs, il devait y avoir solitude, gloire et train je crois. Ensuite, elle est partie écrire six mois.
La pièce oscille en permanence entre réalité et fiction…
Frédéric Bélier Garcia : C’est ce qui est puissant dans l’écriture de Marie (NDiaye). On ne sait jamais si l’on est dans le monde réel ou dans les pensées du personnage. Elle passe de dialogues existants qui ressurgissent de la mémoire tourmentée de cette professeure de français, qu’incarne Nicole, à des conversations imaginaires, fantasmées. Tout s’entremêle et donne naissance à des récits où les frontières se brouillent, laissant chacun face à un miroir.
Il y a dans le texte de Marie NDiaye des références à la vie de Nicole Garcia. Comment s’est opérée la fusion entre biographie et fiction ?
Frédéric Bélier Garcia : C’est très étrange. Pour construire cette professeure de français, elle n’a pris que quelques éléments biographiques, quelques indices que d’ailleurs, on ne lui a pas donnés. Et, en effet, il y a comme une impression de fusion, comme si Nicole et son personnage se confondent par endroit. Marie s’est surtout intéressée à la sensation d’exil, de déracinement, à Oran et bien sûr la blondeur. Ainsi, tout comme Nicole, cette professeure est née à Oran, à quitté l’Algérie, pour s’installer en France. Après tout le reste est pure invention. Elle est partie d’un fait divers plausible et a tissé un récit autour de la mort d’une élève, de l’impuissance de son enseignante à prévenir le drame.
Pourquoi Royan ?
Frédéric Bélier Garcia : Pour que la fiction fonctionne, il fallait une ville de province où quelqu’un peut se faire oublier, peut exister tel un fantôme de manière tout à fait anonyme. Après je pense que la résonnance phonétique avec Oran a joué dans ce choix.
Comment donne-t-on vie à l’écriture singulière, rugueuse, prégnante de Marie NDiaye ?
Frédéric Bélier Garcia : il faut travailler, sculpter la matière, lui donner une densité, s’approprier ce texte sans ponctuation fait uniquement de passages à la ligne. Il faut suivre le mouvement de pensée, la logique du personnage, les aléas de ses réflexions. C’est passionnant. C’est un travail d’exploration, de recherche, trouver le sens de la pièce au cœur de cette spirale, de ses circonvolutions cognitives. Il y a au cœur de cette phrase sans fin, une rythmique à trouver. On est autant dans une histoire possible, tout à fait réaliste, que dans un conte, une fable. C’est pour cela qu’en accord avec Nicole, nous avons imaginé un espace scénique ancré dans le réel, avec les boites aux lettres. C’est le point de départ, d’amarrage du personnage avant que ses pensées galopantes, l’amènent vers un ailleurs, une autre dimension. Il y a quelque chose de très cinématographique dans l’écriture de Marie. Le début est souvent pensé comme un long travelling, une mise en abime lente. La vie suit son court. La professeure de Français rentre du lycée où elle enseigne. Elle longe les boulevards ensoleillés de Royan entre dans son immeuble. Et là tout bascule. Le théâtre prend le relais, s’empare du temps, le suspend.
Comment travaille-t-on avec sa mère au plateau ?
Frédéric Bélier Garcia : Je crois que cela n’entre pas vraiment en compte dans notre manière de travailler. Sa qualité de mère s’efface. Le rapport n’est pas celui du quotidien. Il est différent.
Quels sont vos autres projets ?
Frédéric Bélier Garcia : c’est très étrange, mais je remonte la première pièce que j’ai mise en scène, Biographie : un jeu de Max Frisch. C’est la première fois que je fais cela. Quand je l’ai créée en 1999, je n’avais pas encore vécu ce que traverse le personnage principal. Je suis plus mûr, ce texte me parle, j’avais envie de m’y confronter à nouveau. Le spectacle n’aura rien à voir. C’est comme une création, une toute nouvelle adaptation. La distribution est différente, mon regard au texte aussi. On doit commencer dans quelques jours, les répétitions au plateau avec Isabelle Carré, Jérôme Kirchner et José Garcia.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre ce texte ?
Frédéric Bélier Garcia : En quittant Angers, en faisant mes cartons, je suis retombé dessus. J’ai eu envie de le relire. L’histoire de cet homme à la moitié de sa vie a résonné très différemment en moi. J’ai depuis changé. Très vite, l’envie d’en donner une autre lecture m’est apparu comme une évidence. La pièce est peu connue. L’opportunité s’est offerte à moi de pouvoir en faire une nouvelle adaptation. J’ai foncé, d’autant que je trouvais que l’écriture, son propos a gardé sa contemporanéité, sa virulence. C’est encore une nouvelle aventure.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Royan de Marie NDiaye
Création juillet 2021 au Festival d’Avignon
Reprise au Théâtre de la Ville – Espace Cardin
Jusqu’au 3 février 2022
1 Av. Gabriel, 75008 Paris
Durée 1h10 Environ
Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
Avec Nicole Garcia
Lumière de Dominique Bruguière
Son de Sébastien Trouvé
Décor de Jacques Gabel
Costumes de Camille Janbon
Collaboration artistique – Sandra Choquet, Vincent Deslandres, Caroline Gonce
Assistanat lumière – Pierre Gaillardot
Biographie : un jeu de Max Frisch
mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
Théâtre du Rond-Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
du 8 mars au 3 avril 2022
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage
Crédit illustration © Stéphane Trapier