Un bruit d’eau tombant sur de vieilles tuiles résonne salle Vauthier. En un rien de temps, le spectateur quitte le XXIe siècle hight tech, pour le très feutré XIXe. Dans un dortoir, un homme, assis sur une chaise, semble perdu dans ses pensées. Il observe les lits recouverts d’un long tulle blanche. Tout semble figer depuis des années, comme si les murs, les lieux, cachés un lourd secret.
Lever le voile
Dans une bassine émaillée, l’individu plonge les mains, les lave, comme s’il voulait se purifier, entrer dans l’histoire, vierge de tout préjugé, de toute idée préconçue. Il s’avance vers le devant de la scène, la première couche. Derrière le voile translucide, un corps allongé, endormi, immobile, se dessine. C’est celui de Camille Alexia Herculine Barbin, né.e femme en 1838, réassigné.e homme à l’âge de 22 ans et mort.e par suicide dans le plus grand dénuement, oublié.e de tous en 1868.
Enveloppé.e dans un linceul immaculé, Herculine (vibrant Yuming Hey) gît calme, serein.e. Après une existence singulière, faite de joie mais surtout de beaucoup de souffrances, d’incompréhensions, il.elle semble enfin apaiser. Troublé par l’aura que dégage cette dépouille à l’éclat irradiant, l’homme (épatant Nicolas Martel) lui insuffle d’un tendre et chaste baiser la vie. Un temps, les deux comédiens ne font plus qu’un pour qu’enfin Camille libère une parole trop longtemps oubliée dans de poussiéreuses archives.
La (re)découverte d’une intimité romanesque
S’interrogeant sur le monde, curieuse de ses évolutions sociétales majeures, à l’écoute des jeunes artistes souhaitant intégrés l’éstba, Catherine Marnas part à la recherche de textes qui questionnent le genre, les nouvelles quêtes identitaires. Lui revient en mémoire, un seul-en-scène vu au milieu des années 1980 à Avignon, où Dominique Valadié avait demandé à Alain Françon de la mettre en scène dans une version très condensée et édulcorée des Mémoires d’Herculine, que le philosophe Michel Foucault avait (re)découvert un peu moins de dix ans plutôt dans le département français de l’Hygiène publique, avant de les publier agrémentées de ses commentaires en 1978. Touchée par ce récit de vie, par la plume de cet.te enfant, par ce qu’il.elle a vécu, la metteuse en scène s’empare avec la fougue et la délicatesse qu’on lui connaît, de ce journal intime pour l’adapter à la scène.
Double jeu
S’appuyant sur la scénographie très épurée de Carlos Calvo, Catherine Marnas s’attache à ressusciter Herculine, à réhabiliter ses mémoires, à lui offrir la plus belle des tribunes, une scène de théâtre. Avec juste quelques effets de lumières et de vidéos, elle donne corps poétique, lyrique à la plume romanesque de celui.celle qui connut ses premiers émois dans un pensionnat de jeunes filles, l’amour passionné avec une jeune femme qu’elle considérait comme son âme-sœur, avant de connaître la honte d’une exploration anatomique d’un médecin peu scrupuleux, puis l’opprobre de la médisance, des on-dits. Jouant avec les tonalités de voix des deux comédiens – les très habités et vibrants Yuming Hey et Nicolas Martel – , avec leurs présences plus ambiguës qu’il n’y parait, la metteuse en scène signe une œuvre charnelle, profondément incarnée et humaine.
En finir avec les normes
Avec Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, Catherine Marnas ne cherche pas tant à faire de ce récit un étendard LGBTQIA+, qu’à en révéler la beauté, l’intelligence de cœur, la poésie qui se cache derrière les maux de cet.te être incompris.e. On peut regretter que jamais les mémoires écrites en plein courant romantique ne se confronte à une vision d’aujourd’hui plus radicale, mais là n’est pas le propos. Loin de toute intolérance, de toutes normes, de toute rugosité, la directrice du TnBA offre une nouvelle naissance à Herculine. Passionnant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux
Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault
Création janvier 2022 au TnBA – Reprise en 2023 au Théâtre 14
Festival OFF Avignon
Au Palace
38 Cour Jean Jaurès
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 17h30, relâche les 3, 10, 17 juillet 2024.
Durée 1h20
Adaptation de Catherine Marnas et Procuste Oblomov
Mise en scène de Catherine Marnas assistée de Lucas Chemel
Avec Yuming Hey & Nicolas Martel
Avec la complicité de Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin
Conseil artistique- Procuste Oblomov
Scénographie de Carlos Calvo
Son de Madame Miniature
Lumière de Michel Theuil
Costumes de Kam Derbali
Crédit photos © Pierre Planchenault