À l’occasion de son spectacle Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet au Théâtre de l’Œuvre, rencontre avec Philippe Caubère, comédien hors norme qui a marqué son époque par son Roman d’un acteur.
Pourquoi avoir choisi Daudet et ses Lettres de mon moulin. Pour sa langue ou sa faculté de raconter des histoires ?
Philippe Caubère : Pour plein de raisons évidemment ! On connaît ces Lettres par les disques de Fernandel que l’on écoutait enfant, ou plus tard Galabru qui en a fait des lectures. En les relisant, je me suis dit qu’il y avait un théâtre là-dedans. Quelque chose que j’allais pouvoir jouer comme je le faisais dans mes spectacles autobiographiques, avec plein de personnages, des situations, des lieux. L’écriture de Daudet est très concrète. À la première lecture, que j’ai beaucoup préparée et travaillée, je me suis rendu compte que cela fonctionnait. Les gens voyaient les personnages, les lieux. Pourtant, j’étais assis, je lisais mon texte. Je n’étais pas dans les dispositions dans lesquelles je suis maintenant, avec tout le plateau pour moi. J’ai senti que je pourrais mettre la forme que j’ai inventée pour mes propres spectacles au service de ces textes. Et à l’inverse, que ces textes allaient me servir pour continuer à travailler cette forme, mais en passant par quelqu’un d’autre que moi.
C’est aussi un hommage à la Provence ?
Philippe Caubère : La Provence pour moi, c’est l’enfance. L’accent provençal est essentiel, car c’est le vestige de la langue occitane. Dans tous les coins de France, il y a des accents différents qui sont les vestiges des langues que parlaient les « Pré-Français ». Il y a là-dedans tellement de personnages, que j’y ai vu que j’allais pouvoir faire leurs différents accents comme aucun acteur en France ne sait le faire ! Et me servir de cette fantaisie des accents que j’ai beaucoup pratiquée au Théâtre du Soleil, surtout avec Maxime Lombard, c’est ce qui m’a permis de trouver la personnalité de chacun d’entre eux, leur nature, leur matière et d’arriver à un jeu vraiment théâtral. Apprendre par cœur, c’est autre chose que lire. J’insiste. Le théâtre, c’est jouer. Et là, je peux tout jouer, même les animaux, comme la chèvre ou le loup, même les objets, les plantes et finalement Alphonse Daudet, le narrateur ! C’est pour cela qu’assez vite, j’ai décidé de m’habiller en costume d’époque. J’avais envie de m’identifier à lui pour mieux faire entendre sa parole.
Les Lettres ne sont pas uniquement une image d’Epinal de la Provence…
Philippe Caubère : Non ! Il y a beaucoup de drôlerie dans ces textes ! Un humour dont Pagnol s’est beaucoup inspiré. Mais une drôlerie toujours tragique. Daudet bascule très vite et souvent dans la tragédie. Cet humour est l’inverse de l’humour actuel, fait de férocité, de méchanceté. Là, c’est un humour bienveillant, humaniste, généreux. C’est formidable de pouvoir montrer que l’on peut se moquer de la religion sans blasphémer, ni la mépriser. Cela me paraissait intéressant à montrer aujourd’hui. Je me suis rendu compte que le monde de Daudet, avec celui de Pagnol, m’a énormément inspiré pour mon Roman d’un acteur. Que, finalement, j’avais beaucoup pratiqué cet univers méridional dans mes propres spectacles.
Cela parle aussi d’un monde, des métiers, des situations qui ont disparu…
Philippe Caubère : Cela permet d’emmener les gens en voyage dans la Provence du XIXe siècle. Daudet est un auteur réaliste, comme Zola. Si on le prend au premier degré comme je l’ai fait, d’un coup, on y entre comme dans un film, dans une reconstitution historique. Avec mes moyens de comédien, j’essaye de faire une plongée dans le temps.
La magie du théâtre permet aussi à notre imaginaire d’accompagner celui du comédien…
Philippe Caubère : C’est ce que j’ai essayé de faire toute ma vie ! J’ai fait entrer les gens dans les années 1970, au sein du Théâtre du Soleil, en compagnie d’Ariane Mnouchkine, dans l’apprentissage d’un jeune comédien de cette époque, etc. Le Roman d’un acteur était pour moi comme un voyage dans lequel j’embarquais des gens. Comme ici en Provence.
Vous avez un public très fidèle qui vous suit, genre un fan-club, auquel j’appartiens…
Philippe Caubère : Là-dessus, j’ai un avis plus contrasté. J’ai plutôt l’impression que chaque spectacle génère son public. Évidemment, il y a un noyau qui s’intéresse plus particulièrement à ce que je fais et qui me suit. Mais, le « fan-club », je n’y crois qu’à moitié. Les gens qui ont adoré tel spectacle, mais pas l’autre me le font bien sentir ! Je me souviens quand j’ai créé la deuxième partie du Roman d’un acteur, La Belgique, certains étaient tellement furieux que l’on ne voit plus Ariane, le Théâtre du Soleil, qu’ils partaient par wagons à l’entracte. Je ne crois pas que le public qui me suit soit si inconditionnel que ça. Il peut être très versatile aussi, au bon sens du mot, et capricieux. Toute une partie de « mon public », comme vous dites, n’a pas du tout apprécié quand je parlais des taureaux avec le texte d’Alain Montcouquiol. Une autre n’a pas compris Marsiho d’André Suarès. Et je ne parle pas d’Aragon ! Là, je me suis fait carrément insulter ! Avec les Lettres, par contre, j’atteins un public que je ne touche pas d’habitude. Les vieux – c’est-à-dire ceux de mon âge ! – et les enfants.
Vous avez beaucoup tourné le spectacle et, en ces temps difficiles, le public a répondu présent…
Philippe Caubère : J’ai fait une tournée merveilleuse concoctée par Dominique Bluzet, directeur de grands théâtres d’Aix et de Marseille. Il est un peu le Parrain des théâtres là-bas ! Quand je lui ai parlé du projet, il m’a demandé si je pouvais le jouer dans des bars. Je lui ai dit que cela ne serait pas possible, qu’il me fallait un plateau où l’on me voit en entier, car je joue de la tête aux pieds. À part ça, n’ayant besoin que d’un plein feu, effectivement, je pouvais jouer ce spectacle à peu près partout. Ma seule condition était que ce soit dans des lieux poétiques. Qui, chaque fois, représentent le moulin ! La forge où la poésie de Daudet va naître et résonner. On est sorti des salles traditionnelles, c’était magnifique. La tournée était subventionnée par le département, ce qui permettait des prix de places très bas, genre 10 €. J’ai vu alors arriver un public que je ne connaissais pas qui, lui aussi, me découvrait. Il y a eu beaucoup de monde. Il y a quelque chose d’éternel, mais aussi de très moderne chez Daudet.
Vous parliez des aides du département, ce qui va dans le sens du Théâtre Populaire, quelque chose à laquelle vous êtes très attaché…
L’aide, c’est, par exemple, faire en sorte de pouvoir pratiquer des prix de places accessibles à une famille. Avec les Lettres, qu’ils soient minots, adolescents, adultes ou vieux, on peut tous les réunir autour d’un acte théâtral primitif : un acteur seul qui crée le monde. Je suis un enfant d’Ariane Mnouchkine et un petit enfant de Jean Vilar ! La notion de théâtre populaire est essentielle pour moi. C’est le sens et le combat de ma vie. Quand je faisais du théâtre avec mes copains trotskistes à Aix, en 1971, qu’on racontait, cent ans après sa naissance, La Commune de Paris, on allait jouer dans les cités. Alors, bien sûr, on se prenait des pierres, la militante comédienne manquait de se faire violer, mais ça ne faisait rien : on y retournait ! J’ai tellement rêvé de Gérard Philipe, Jean Vilar, Daniel Sorano… Le Théâtre Populaire ça a été pour moi les Ballets du XXe siècle de Maurice Béjart, mon premier grand choc, Léo Ferré tout seul avec son piano, ou 1789 à la Cartoucherie. Ça peut être aussi Alphonse Daudet joué par quelqu’un qui se prend pour lui et qui joue l’humanité. Cela prouve aux gens qu’un comédien, avec ses seuls moyens, peut tout produire !
Et après Daudet, cela sera ?
Encore Daudet ! Une troisième soirée qui va s’appeler Les étoiles. Ce sera une version plus fantastique, plus romantique, avec les histoires corses, Les vieux, Le portefeuille de Bixiou, La Camargue et évidemment Les étoiles, qui est pour moi le texte le plus sublime de tous. Ce volet sera traité un peu différemment. Il y aura des musiques, des lumières. Il sera comme l’inconscient ou le rêve des deux premiers. Après, c’est trop loin pour savoir. Même si j’ai plein d’idées en tête !
Marie-Céline Nivière
Les lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet
Théâtre de l’Œuvre
55 rue de Clichy Paris 9e
Du 11 novembre 2021 au 8 janvier 2022
Du mercredi au samedi à 19h, dimanche à 17h
Durée 1h35 (chaque partie).
Spectacle conçu, mis en scène et jouer par Philippe Caubère
Régie de Mathieu Faedda
Conception du costume par Michel Dussarat
Aide-mémoire Véronique Coquet.
Crédit photos © Michèle Laurent © Sébastien Marchal, © DR