À l’occasion de la reprise de Joséphine B au Théâtre de Passy, Xavier Durringer évoque son spectacle et nous parle de Joséphine Baker, figure marquante du XXe siècle, qui entrera le 30 novembre 2021 au Panthéon.
Vous avez écrit et conçu ce spectacle pour la comédienne Clarisse Caplan…
Xavier Durringer : Quand je l’ai découvert dans un cours d’Art dramatique, j’ai tout de suite été séduit par la comédienne qu’elle était. Et une des choses qui m’a sautée aux yeux a été sa ressemblance avec Joséphine Baker. Il n’y avait pas seulement les traits de son visage. Il y avait aussi cette grande liberté du corps, très flexible, de mouvements et sa capacité à faire des grimaces. Un jour, j’ai croisé un metteur en scène qui m’a dit que cela faisait 50 ans que l’on cherchait une Joséphine Baker et qu’à chaque fois on était tombé sur des Joséphine un peu caricaturales. Or avec Clarisse, on touche de très près ! D’ailleurs, Jean-Pierre Léonardini a titré son article : L’âme ressuscitée de Joséphine Baker !
Il semblerait qu’en dehors des ressemblances physiques, il y ait comme un lien entre elles deux ?
Xavier Durringer : C’est une chose complètement dingue ! Elles ont plein de points communs. Elles sont extraites toutes les deux d’une famille nombreuse. Elles ont perdu leur petite sœur. Le dernier spectacle de Joséphine était un 10 avril à Bobino. Clarisse est née un 10 avril. Et cela ne s’arrête pas là. On a démarré le spectacle à la Scène Parisienne à côté des Folies Bergère, où Joséphine a longtemps joué. Et maintenant, on est au Théâtre de Passy et le plus grand collectionneur sur Joséphine Baker nous apprend qu’elle est décédée à quelques centaines de mètres d’ici. C’est quelque chose de très troublant toutes ces formes d’incidence entre la comédienne et la grande Joséphine Baker.
La danse a une grande importance dans la vie de Joséphine…
Xavier Durringer : En regardant toutes les vidéos du début et même de la fin de Joséphine Baker, on découvre qu’elle faisait souvent la poule, se mettait un œuf sur la tête, tirait au fusil. Je me demandais d’où cela venait. En lisant ses mémoires, il est apparu que tout ce qu’elle dansait était des choses qu’elle avait vécues. Comme si la danse était le reflet, la parèdre pratiquement, de sa propre vie. Et c’était très intéressant, parce que dans le spectacle on raconte l’histoire de la poule. Quand elle était placée, toute gamine, dans une famille blanche, elle a élevé un petit poulet qu’on lui a demandé, ensuite, d’égorger. Cela a été une des choses les plus marquantes de sa jeune enfance. Elle va danser les émeutes raciales de 1917. Elle va danser sa vie. Elle se servait de toutes les formes de danses qui existaient dans les années 1925. On peut même dire qu’elle se les réappropriait, les « redansait » ! On s’aperçoit aussi que dans ces années 1915-1918, les Afro-Américains se servaient de la danse pour se moquer de leurs maîtres blancs et c’est ça que l’on a essayé de rendre dans ce spectacle.
On peut dire que ce spectacle est votre premier musical…
Xavier Durringer : Tout à fait. Ma rencontre avec la chorégraphe Florence Lavie a bouleversé pas mal de choses. Travailler avec la musique et une chorégraphe a été une aventure magistrale. Au début ce n’était qu’un simple texte de théâtre. Et puis c’est devenu au fur et à mesure un musical. Car on ne peut pas mettre en scène Joséphine Baker sans le chant, sans la danse et sans toutes les facéties de cette femme extraordinaire du Music-Hall. Et puis j’ai un duo surprenant qui peut danser, chanter. Clarisse est accompagnée par Thomas Armand, que j’ai découvert aussi dans ce cours d‘art dramatique. C’est un garçon extraordinaire, très élégant, très beau, mais qui sait aussi faire des facéties à la Jim Carrey.
Vous avez créé le spectacle en octobre 2020 à la Scène Parisienne. La fermeture des théâtres vous a oblige d’arrêter en plein succès. Il était logique de poursuivre à la reprise de la vie culturelle. Pourquoi au théâtre de Passy ?
Xavier Durringer : C’est un spectacle, je tiens à le dire, que nous avons monté (qu)’avec amour et passion. On l’a répété dans mon jardin dans le Sud, sans avoir d’argent et sans savoir même où l’on allait jouer. Nous avons retrouvé l’essence même d‘avoir envie de faire du théâtre et d’être sur un plateau. A partir de là, on a passé des auditions qui nous ont permis de trouver un théâtre, la Scène Parisienne, et surtout une production avec 13 avril productions, dirigée par Valérie Allègreet Christophe Février. Cette histoire d’arrêt a été pour nous assez terrible parce que l’on était bien parti. Il y a eu des changements à la Scène Parisienne, donc pour la reprise, il nous a fallu trouver un autre lieu. Les deux directeurs du Théâtre de Passy nous ont sollicités pour ouvrir avec nous leur nouveau théâtre qui est dans le style 1930. C’était un ancien cinéma, mais en 1932 c’était aussi une scène de spectacle. C’est vrai que l’on est très bien ici. Et dans le 16e arrondissement, à part le Théâtre du Ranelagh, c’est plutôt une désertification culturelle. Je pense que cela fait beaucoup de bien au quartier d’avoir un nouveau théâtre.
Joséphine Baker représente la possibilité d’une ascension même lorsque l’on vient de nulle part…
Xavier Durringer : C’est bouleversant de voir comment cette jeune fille de Saint-Louis, qui avait avec un fort métissage, 50% Espagnole, 25% Indienne et 25% Afro-Américains, qui avait sur elle tous les regards de la faute, puisque sa mère avait couché avec un blanc, est arrivée à s’extraire de son quartier en devenant danseuse de street. Comment par sa volonté, son travail et son abnégation, elle va forcer la chance et faire partie de cette première troupe d’Afro-Américain new-yorkaise et arriver à Paris. Comment elle va imposer son style dès le début dans la revue nègre et, que reconnue par tous les surréalistes, en devient l’incarnation. N’oublions pas qu’elle a été beaucoup huée parce qu’elle était nue sur scène. On ne s’avait pas si elle était blanche ou noire, si elle était un homme où une femme. Elle apportait quelque chose d’incroyable avec ses cheveux courts plaqués.
Ce qui est intéressant dans ce spectacle, est sa construction. Vous avez choisi de ne pas suivre la chronologie, pourquoi ?
Xavier Durringer : Dans le spectacle on parle de Strange Fruit, chanté par Billie Holiday et Nina Simone et qui parle de lynchage, des émeutes de 1917 à Saint-Louis, où il y a eu des centaines d’Afro Américain et huit Blancs de tués, de Rosa Parks, de la grande marche de Martin Luther King. Il m’importait de replacer, dans des contextes un peu différents, tous ces combats qui ont existé contre le racisme. Il ne faut pas oublier que la fin de la ségrégation raciale date de 1961. C’est JFK ! Ce n’est pas si Loin de nous. On peut le dire, c’etait hier !
Joséphine Baker est un symbole !
Xavier Durringer : Cette femme a posé de nouveaux codes. Le premier est d’avoir été la première femme de couleur sur un plateau de théâtre. Et puis, il y a son combat pour l’émancipation, pour le féminisme, le droit de disposer de son corps comme bon lui semblait. On peut dire qu’elle n’avait pas froid aux yeux ! Elle a choisi la France comme patrie et va jusqu’à s’engager dans la Résistance. Elle est une femme qui ne sait jamais laisser faire, qui a eu cinq maris, qui ne comprenait pas le quotidien. Elle qui comme elle le disait, ne chantait que dans sa salle de bains est devenue chanteuse. Elle a fait du cinéma. Elle est devenue cette icône. Après un avortement qui s’est mal passé, ne pouvant plus avoir d’enfant, alors elle a adopté sa douzaine d’enfants de toutes nationalités. Sa tribu arc-en-ciel ! Elle s’est convertie au judaïsme parce que son mari était juif. C’était en 1937 ! Ce n’est pas rien à l’époque ! Cette femme a toujours lutté contre les formes d’intolérances qui existaient. Quelqu’un qui l’a très bien connue m’a appris qu’à la mort de Martin Luther King, au côté de qui elle avait participé à la grande marche, la femme du pasteur a demandé à Joséphine Baker de reprendre le flambeau. Elle aurait refusé parce qu’elle considérait que sa patrie s’était la France. Cette femme peut encore livrer énormément de secrets sur son intimité et ses combats. Elle est le symbole vivant, manquant, qu’il nous faudrait aujourd’hui face à la montée d’intolérance et de fascisme que l’on observe en ce moment en France et dans toute l’Europe d’ailleurs.
Le 30 novembre 2021, Joséphine Baker va être la sixième femme à entrer au Panthéon, ce qui est une réponse à tout ça…
Xavier Durringer : Pour moi, c’est une évidence extraordinaire que le Président Macron ait décidé de la panthéoniser ! En ce moment même aux Antilles, on veut édifier sa statue ! Il y a des places, des collèges qui portent son nom. Elle revient ! C’est très important pour moi d’avoir monté ce spectacle ! J’ai eu un peu le nez creux ! J’ai parlé d’elle, il y a deux ans, quand personne ne le faisait ! Je trouve qu’elle est le symbole de tous les combats, qu’ils soient féministes ou politiques, comme ceux contre tous les ostracismes que l’on peut trouver aujourd’hui dans la société. Pour moi sa place naturelle est d’être au Panthéon, pour rester à jamais le symbole vivant de notre pays. Au XVIe siècle, il y avait trois conditions pour être considéré comme Français, être né dans le royaume de France ; avoir des parents français et demeurer de manière permanente dans le royaume. Son entrée au Panthéon raconte aussi ça, que la France a toujours été un pays d’accueil.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Joséphine B de Xavier Durringer
Théâtre de Passy
95, rue de Passy Paris 16e
Du 28 octobre 2021 au 2 janvier 2022
du jeudi au samedi à 19h, dimanche à 16h
Durée 1h30
Mise en scène Xavier Durringer assisté d’Emma Bazin et Constance Ponti
Avec Clarisse Caplan et Thomas Armand
Chorégraphie de Florence Lavie
Scénographie d’Eric Durringer
lumières d’Orazio Trotta
Costumes de Catherine Gorne-Achdjian
Crédit photos © DR et © Pascal Gély