Points de non-retour - diagonale du vide d’Alexandra Badea © Pascal Gély

Se reconstruire après une enfance bafouée

À la maison de la Culture de Bourges , avant d’investir la Colline en janvier, Alexandra Badea continue à creuser l les zones d’ombre de l’histoire récente de la France.

À Bourges, au cœur de la Maison de la Culture flambant neuve, avant d’investir la Colline en janvier, Alexandra Badea continue à creuser les silences et les zones d’ombre de l’histoire récente de la France, à combler les vides, les omissions, à tenter de comprendre comment l’irréparable a pu se produire. 

Sur l’immense plateau de la salle Gabriel Monnet, inaugurée en fanfare en septembre dernier, deux structures de métal se font face. L’une est une sorte de dortoir, l’autre une salle de bain à l’abandon. Comme à son habitude, c’est Alexandra Badea, elle-même, qui ouvre le bal. Confiant à son journal intime, ici son ordi portable, ses pensées, ses rencontres, elle cherche à remplir des cases vides, à écrire un récit à partir de bribes, de mots, d’histoires cachées, oubliées. Après avoir évoqué le massacre de tirailleurs sénégalais perpétré le 1er décembre 1944 par l’armée coloniale française dans Thiaroye, puis la répression meurtrière de manifestants algériens par la police à Paris le 17 octobre 1961 dans Quai de seine, l’autrice et metteuse en scène exhume des archives les vies brisées des enfants de la Creuse dans ce dernier opus de Points de non-retour. 

À la lisière trouble du docu-fiction

Points de non-retour - diagonale du vide d’Alexandra Badea © Pascal Gély

À travers le personnage récurrent de Nora (Sophie Verbeeck) une jeune réalisatrice de documentaire, Alexandra Badea imagine des fictions, des puzzles mémoriels, des histoires autant singulières qu’universelles. Partant à la recherche de ses origines, la jeune femme réunit dans un foyer pour mineurs désaffecté depuis longtemps, d’anciens pensionnaires. Au fil d’entretiens filmés, elle esquisse des récits de vie, déterre de vieux secrets, réveille les fantômes et libère une parole trop longtemps tue. Entremêlant réalité et fiction, elle explore les silences et les manquements d’État. Comment se fait-il qu’en France des enfants sans attaches, sans parents, soient placés dans des lieux sans chaleur, abandonnés à leur triste sort ? Comment de 1962 à 1984, des enfants réunionnais arrachés à leurs racines ont pu être transplanter dans des zones rurales et dépeupler de la métropole ? Comment une forme d’esclavagisme moderne a pu s’instaurer au vu et au su d’une administration complice ? 

Jeux de troupe 

Points de non-retour - diagonale du vide d’Alexandra Badea © Pascal Gély

S’appuyant sur le même noyau dur de comédiens, Amine Adjina, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Véronique Sacri et Sophie Verbeeck – , Alexandra Badea, qui en vue de l’intégrale de la trilogie, a tout repensé, ciselé, réécrit, signe une mise en scène fine, fluide, une œuvre dense, noire, sans tomber dans le pathos. Loin des clichés, des chemins balisés, elle donne corps à des personnages fictionnels aux caractères trempés, aux vies abimées. Avec moins de gravité que dans Quai de Seine, elle raconte notre Histoire, celle de la France, en assume les errances, les crimes, pour mieux la réinventer, la questionner et ainsi tenter la résilience de nos mémoires communes et collectives. 

Avec la Diagonale du vide, elle clôture en beauté sa trilogie. Poétique, singulier, rugueux, emporté et fiévreux, ce dernier opus montre, s’il était encore nécessaire, son grand talent de dramaturge. Encore en rodage, en polissage, l’œuvre très prometteuse ne perd rien de sa force nécessaire.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Bourges

Points de non-retour – diagonale du vide d’Alexandra Badea 
Création à la Scène nationale d’Aubusson, le 08 novembre 2021
Maison de la Culture de Bourges
Scène nationale / centre de création
Place Séraucourt
BP 257 – 18005 Bourges Cedex
Jusqu’au 27 novembre 2021
durée 1h51

Texte et mise en scène d’Alexandra Badea assistée d’Hannaë Grouard-Boullé
Avec Amine Adjina, Alexandra Badea, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Véronique Sacri, Sophie Verbeeck 
Scénographie, costumes de Velica Panduru
Lumières de Sébastien Lemarchand
Création sonore de Rémi Billardon 
Collaboration artistique à la scénographie de Cosmin Florea

Crédit photos © Pascal Gély

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