Les Tréteaux de France sortent Oblomov de sa léthargie. Adapté avec grâce par Nicolas Kerszenbaum et mis en scène adroitement par Robin Renucci, le héros éponyme du roman de Gontcharov devient ici, non pas un paresseux, mais un homme qui se met volontairement en retrait du monde…
Nous avons découvert la pièce le 13 octobre 2020 à l’Espace Jean Legendre à Compiègne. La première aurait dû avoir lieu le mois d’avant à Dijon, celle-ci avait été reportée car la Covid avait sévi dans la troupe. Donc, c’est un spectacle encore un peu fébrile qui nous avait été présenté. Mais, son essence même était déjà là. Puis, la fermeture des salles de théâtre stoppa tout, repoussant d’une année l’exploitation du spectacle.
Un peu d’âme russe
Pour tous les Russes, Oblomov appartient à leur culture. Beaucoup d’entre eux peuvent être reconnus comme un émule de ce personnage qui préfère avant tout son divan au travail. L’oblomovisme est une tare pour certains et un style de vie pour d’autres. Ce roi de la procrastination possède en lui quelque chose de ce qu’on appelle la langueur de l’âme slave ! Renucci et Nicolas Kerszenbaum ont dépassé l’image d’Épinal. Oblomov est plus que cela.
La fin d’une époque
S’il s’enferme et donc se confine, c’est par choix. Il refuse de participer au système. Demeurer dans sa chambre devient alors comme un acte de résistance passive. Oblomov est un nobliau dont le domaine tombe en ruine. Il pourrait travailler pour le maintenir et y puiser des ressources. Mais à quoi bon ! Il préfère contempler et attendre. Quoi ? Le sait-il lui-même ! Il est le symbole de la vieille Russie qui refuse les changements qui s’annoncent avec la modernité. C’est ainsi que le roman a été, entre autres, perçu lors de sa parution en 1859. Mais aujourd’hui que nous dit Oblomov ? Que dans ce monde d’aujourd’hui où tout va vite, l’humain a plus de temps libre. Mais que va-t-il en faire ? Saura-t-il ne pas confondre le laisser-aller avec le lâcher prise ?
Les saisons d’une vie
Dans une scénographie remarquable, conçue autour d’un carré centrale ouvert de tous côtés, figurant la chambre, le spectacle se déroule en quatre actes, représentant les quatre saisons de sept années de la vie d’Oblomov. Les lumières marquent admirablement ces passages. Le premier acte évoque une journée dans la vie de ce nobliau inactif, son printemps, où tout peut espérer renaître comme le souhaiterait son ami Stoltz (Valéry Forestier). Puis vient l’été, la surprise de l’amour avec sa rencontre avec la belle chanteuse lyrique Olga et sa voix enchanteresse (Pauline Cheviller). Arrive l’automne, et la fin des beaux jours, la difficulté de faire face aux changements qu’on lui demande de faire. Et puis, l’hiver, le temps du renoncement, où grâce à la tendresse d’Agafia, sa propriétaire, il peut ne plus quitter son cher lit. Ce dernier acte est magnifique.
La Nourrice comme fil rouge
La belle idée est d’avoir relié les actes avec le souvenir de la niania (nourrice en russe) qui lui chante la comptine du brochet. Un conte dans lequel un enfant trouve un brochet qui lui permet de réaliser tous ses désirs sans rien faire ! La niania et Agafia sont interprétées par la même comédienne, Lisa Toromanian. Elles sont plus que la figure de la femme du peuple, elles sont l’image de la tendresse maternelle, rassurante et protectrice, celle après laquelle nous courrons toute notre vie. Car c’est dans son enfance, personnifiée également par le personnage du vieux et fidèle serviteur (Gérard Chabanier), que se réfugie Oblomov à chacun de ses rêves.
De Gallais à Poittier
Incarné Oblomov sans tomber dans les clichés n’est pas une mince affaire. A la Comédie-Française, Guillaume Gallienne, faisant ressortir toute la part slave de son ADN, avait été un superbe Oblomov apathique. Lors de la création des Tréteaux de France, Xavier Gallais incarnait l’anti-héros avec toute la fougue et le lyrisme qu’on lui connaît. Il était une âme tourmentée qui passait par tous les prismes des combats intérieurs de son personnage. Parti pour jouer Tartuffe dans la mise en scène de Macha Makeïeff, c’est Guillaume Poittier qui reprend le rôle. La différence de tempérament entre les deux comédiens donnera un autre relief au personnage. En tout cas, Renucci nous propose un spectacle d’une grande qualité, interprété avec force par une troupe remarquable.
Marie-Céline Nivière
Oblomov de Nicolas Kerszenbaum d’après le roman de Ivan Gontcharov
Les Tréteaux de France , tournées
Vendredi 19 novembre au Théâtre Jean Vilar de Suresnes (92)
Mardi 23 novembre au Théâtre la Colonne Miramas (13)
Vendredi 26 et samedi 27 novembre au Théâtre National de Nice (06)
Mardi 10 et mercredi 11 mai 2022 au théâtre de l’union – Centre dramatique national de Limoges (87)
Jeudi 19 et vendredi 20 mai à l’arc – scène nationale le Creusot (71)
Durée 2h10
Mise en scène de Robin Renucci
Traduction de Luba Jurgenson
Avec Gérard Chabanier, Pauline Cheviller, Valéry Forestier, Guillaume Pottier, Lisa Toromanian, Amandine Robilliard (violoncelle et improvisation musicale).
Scénographie de Samuel Poncet
Lumière de Julie-Lola Lanteri
Costumes de Jean-Bernard Scotto
Création décor de Eclectik Sceno
Conception musicale et transcription d’Emmanuelle Bertrand
Assistante à la mise en scène Luna Muratti
Crédit photos © Nabil Boutros