Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. TNS. © Jean-Louis Fernandez

L’humain au-delà de la couleur et des a prioris

Au TNS, Stanislas Nordey insuffle la vie aux mots puissants, inspirés et habités de Léonora Miano.

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. TNS. © Jean-Louis Fernandez

À Strasbourg, Stanislas Nordey insuffle la vie aux mots puissants, inspirés et habités de Léonora Miano. Ciselant le jeu lumineux de trois anciennes élèves de l’école du TNS, le metteur en scène et directeur des lieux interroge, à travers le regard de l’auteure franco-camerounaise, notre rapport à celui qui est de l’autre côté de la barrière, celui qui est noir de peau, et ébranle les certitudes d’un colonialisme occidental par trop ancré dans notre manière de voir le monde. 

En ce dimanche après-midi, il fait gris sur la capitale européenne. Devant le TNS, par groupe, le public discute, profite du temps doux, clément de ce début novembre. Dans la salle, les rangs se remplissent petit à petit. Sur la scène, à vue, tout un ensemble de projecteurs attend de monter dans les cintres. Leur couleur sombre contraste avec le blanc du décor. L’image est frappante, marquante, elle donne le ton à ce qui va suivre. Dans un jeu de lumières, d’ombres chinoises, techniciens et comédien.ne.s installent les tous premiers éléments décors – une chaise, un micro, une caméra. Silence, noir, le spectacle peut commencer. 

Noire dites-vous ? 

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. Yanis Padonou. TNS. © Jean-Louis Fernandez

Face à l’objectif, regard plongé dans la focale, la rayonnante Ysanis Padonou interroge son interlocutrice ou interlocuteur – c’est-à-dire nous – , qui a décidé de la définir par la couleur de sa peau. D’un ton posé, d’une voix chantante, elle répond. Sans méchanceté aucune, avec une légèreté, une bonhomie et une sorte de désinvolture, elle lui renvoie par un effet de miroir, l’incongruité de son affirmation. Son visage irradiant une beauté paisible sur l’immense écran qui sert de fond de scène, elle discourt, pèse le moindre de ses mots et assène sans animosité, bien au contraire, chacun de ses coups. Avec justesse, elle questionne le spectateur, déplace son regard, l’amène à penser autrement. Que signifie donc de désigner les uns et les autres par leur couleur de peau ? Qu’est-ce que cela dit de la vision occidentale du monde, son côté réducteur ? 

L’Afrique d’où ça vient 

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. Mélodie Fini. TNS. © Jean-Louis Fernandez

Un peu plus tard, toute vêtue de rouge, la pétillante et radieuse Mélody Pini  investit la scène, la brûle de sa présence primesautière, légère. Espiègle, souriante, elle fourbit ses armes, celle de la langue, des mots affutés, brillants. En deux trois mouvements, elle est prête à en découdre avec les idées reçues, les certitudes et les réalités tronquées, les récits omis par la grande histoire, celle écrite par les européens, les colonisateurs. Face à la montée de l’extrême droite en Europe, le repli sur soi, la peur de l’autre, celui issu de cette immigration non choisie, non voulue, la comédienne se fait l’avocate de ces femmes et ces hommes qui ont dû pour survivre quitter leur maison, leur pays, et décide d’aller au « fond des choses ». Après tout qu’est-ce que cela veut dire de rejeter celui qui n’est pas invité, qui n’est pas le bienvenu ? Qu’est-ce que cela dit de nous ? N’est-il pas bon de rappeler que les passagers du Mayflower, expulsés d’Europe pour leur conviction religieuse, n’étaient pas forcément attendus par les autochtones américains, voulus sur leur territoire ? 

Se réapproprier l’Histoire 

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. Océane Caïratry. TNS. © Jean-Louis Fernandez

C’est la « Fin des fins », le dernier chapitre de la déconstruction d’une image par trop teintée de colonialisme, de supériorité d’une couleur sur une autre. Au loin, derrière un mur gris, translucide, Océane Caïraty impose sa haute stature. Elle écoute le récit de son collègue, Gaël Baron. Depuis des mois, ce dernier rêve d’un monde autre, comme inversé. Plus de rue Colbert, mais des rue Louis Delgrès à foison, des places du Grand marronnage, des bustes de Mafate. C’est une revanche sur l’histoire, sur le colonialisme, l’esclave qui fait jour au plus profond de ses nuits agitées. Avec douceur, la comédienne tente une autre approche, une tentative de réhabilitation sans pour autant tout effacer. Elle propose de regarder par un autre prisme, d’apaiser les tensions, de tendre vers une harmonie où plus rien ne serait caché, omis.

Du cousu main

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano. Mise en scène Stanislas Nordey. TNS. © Jean-Louis Fernandez

Avec ingéniosité et conviction, Stanislas Nordey s’empare des idées, des mots de Léonora Miano. Ils leur donnent par sa mise en scène, fort simple et très épurée, une puissance, une résonnance particulièrement forte. En Soulignant chaque intention, chaque parole, par l’environnement sonore joué en direct par Lucie Delmas, il cisèle un écrin sublime aux trois comédiennes. Par leurs présences lumineuses, elles invitent à découvrir le monde sous un autre angle, à interroger nos convictions, à changer notre vision du monde. 

Ce qu’il faut dire n’est pas un brûlot, mais bien un hymne à l’humain, à la vie, au partage, à la communion. C’est un spectacle nécessaire à voir et revoir, à déguster lentement, précautionneusement, à boire par petites gorgées pour en apprécier toute la beauté et l’intelligence.  

Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg

Ce qu’il faut dire de Léonora Miano
MC93 — maison de la culture de Seine-Saint-Denis
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Du 13 au 22 janvier 2023


TNS
1 avenue de la Marseillaise 
67000 Strasbourg
Jusqu’au 20 novembre 2021
Durée 1h40

Tournée 
Du 5 au 7 avril 2022 à la
MC2: Grenoble 
Du 5 au 7 avril 2022 à La Comédie, Scène nationale de Clermont-
Ferrand
En 2023 MC93 – Maison de la Culture  à Bobigny


Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Gaël Baron, Océane Caïraty, Ysanis Padonou, Mélody Pini et la percussionniste Lucie Delmas

Collaboratrice artistique – Claire ingrid Cottanceau
Scénographie d’Emmanuel Clolus
Costumes de Raoul Fernandez
Musique d’Olivier Mellano
Lumière de Stéphani
e Daniel
Vidéo de Jérémie Bernaert
Stagiaire à la mise en scène Yéshé Henneguelle

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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