Dans le cadre de la neuvième édition des Scènes d’Automne en Alsace, Juliette Steiner, jeune metteuse en scène à la tête de la compagnie alsacienne quai n°7, soutenue par l’espace 110, la Comédie de Colmar et La Filature, invite à une revisite déjantée et jubilatoire des Bonnes de Genet. Déplaçant l’histoire dans l’envers du décor d’une création théâtrale, elle signe une satire mordante du monde hiérarchisé du spectacle vivant.
© Michel Grasso
À quelques heures de la représentation du soir, cinq femmes investissent le plateau. Elles sont les mains de l’ombre, celles sans qui aucun spectacle ne pourrait se faire. Elles sont régisseuses, techniciennes, commises, femmes de ménage. Fourmis ouvrières, chaque jour, elles remisent les éléments de décor, nettoient les loges, rangent les accessoires, réajustent sons et lumières au gré des caprices de la metteuse en scène et des comédiennes.
L’envers sombre du décor
Dans une ambiance bon enfant, Pat, Nath, Val, Leïla et Julie font leur taf. Elles se démènent comme de belles diablesses en écoutant et se déhanchant sur I Want to Break Free de Queen. Un coup de téléphone va tout changer. C’est la goutte d’eau de trop, qui va mettre sens dessus-dessous l’ordre des choses, faire dérailler la belle mécanique, la magie du théâtre. En préférant passer l’après-midi au musée ou au SPA plutôt que de mettre la main à la patte, la metteuse en scène, dite Madame, ouvre la boite de pandore et libére la parole de ces femmes en quête de respect et de reconnaissance.
Mise en scène foutraque
Sur scène, c’est le chaos. Toutes se lâchent, déversent leur bile, exposent au grand jour les petites vexations quotidiennes, le manque total de considération des autres, ceux qui sont sur le devant de la scène. S’appuyant sur le texte noir de Genet et les impros au plateau des comédiennes – toutes épatantes – , le québécois Olivier Sylvestre croque avec malice les coulisses et dépeint à l’acide l’envers du décor. Derrière les rideaux rouges, c’est l’enfer de Sartre, la guerre des tranchées, la lutte des classes, la révolution des opprimés. Avec dérision et fougue, Juliette Steiner se moque d’elle-même, critique un monde hypercodé fait de faux-semblants et invite à une ronde folle faites d’embardées burlesques, d’envolées lyriques et d’emportements granguignolesques.
Entre hommage et satire
Dans ce grand n’importe quoi stylé et maîtrisé au cordeau, Services, encore en rodage en ce jour de première, est autant un bel hommage aux gens de l’ombre qu’une satire salée de notre société. Jouant sur l’ambivalence des personnages, leur ambiguïté identitaire, maîtresses et bonnes se confondant en permanence, Juliette Steiner touche juste. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Mulhouse
Services de Juliette Steiner d’après les Bonnes de Jean Genet
Scènes d’Automne en Alsace
Création à l’Espace 110 le 12 novembre 2021
Reprise 2023 – Festival OFF d’Avignon
La Caserne des Pompiers
116, rue de la Carreterie
84000 – Avignon
du 7 au 25 juillet – Relâches : 13, 20 juillet
à 21h30
Durée 1h15 environ
Mise en scène de Juliette Steiner assistée de Malu França
Avec Camille Falbriard, Ludmila Gander, Ruby Minard, Juliette Steiner, Naëma Tounsi, Ondine Trager
Textes à partir du plateau – Olivier Sylvestre
Scénographie et masques de Violette Graveline
Création lumière d’Ondine Trager
Création son de Ludmila Gander
Régie générale de Malu França
Costumes de Juliette Steiner
Soutien à la confection – Zoé Nehlig
Crédit photos © Michel Grasso et © Juliette Steiner