Du théâtre au cinéma en passant par le petit écran, François-Xavier Phan impose sa silhouette gracile, un style tout en nuances, un jeu ciselé. Reprenant au TQI du 26 novembre au 2 décembre 2021, Circulations Capitales, œuvre collective qui questionne les origines et les parcours de vie des trois comédiens au plateau, Marina Keltchewsky, Marine Bachelot Nguyen et lui-même, il livre une partition troublante où il revient sur le passé colonial de son pays natal, le Vietnam, et sur son émancipation des traditions familiales. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon premier souvenir d’art vivant, c’était une comédie musicale CATS à l’école où ma mère enseignait. Je devais avoir 7 ans. C’était un spectacle de fin d’année d’élèves au lycée et j’avais trouvé ça fascinant. Ça m’avait troublé de voir devant moi ces jeunes gens libres et joyeux chanter et danser en costumes. Leur courage de monter sur scène devant leurs camarades, leurs profs et tous les spectateurs… C’était la naissance de ma passion secrète pour le chant et la danse. Mais cela ne m’avait en rien donné envie de faire la même chose à l’époque ! Je trouvais ça terrifiant et j’étais très admiratif sans en avoir conscience.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
En réalité enfant et adolescent, je ne me rêvais pas du métier d’acteur. Je n’ai pas reçu une éducation liée à la « Culture » par ma famille. Et à l’école, je n’étais pas sensible à la littérature ni au théâtre. Je trouvais ça même très ennuyeux quand on voyait des spectacles de Racine pour le programme du bac ! Le déclencheur a été un ami à l’époque qui voulait devenir comédien. Il voulait que je l’accompagne à un cours de théâtre à Antony où j’ai grandi. Je l’ai suivi, j’avais 20 ans.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
J’ai choisi d’être acteur tout simplement par la pratique. C’était le fait de jouer et de découvrir ce nouveau sens que je développais en montant sur scène. Il y avait vraiment un avant et un après ! C’était complètement addictif comme une drogue. Je me souviendrais toujours de ma première improvisation où j’ai fait marrer tout le monde. Bref, je me devais d’aller au bout ou en tout cas, de tout faire pour. Le regard et le soutien bienveillants de mes premiers professeurs au conservatoire d’Antony (Christian Gonon, qui était pensionnaire de la Comédie Française et surtout Brigitte Damiens) ont beaucoup contribué à mon désir de faire ce métier. Ils m’ont fait découvrir des spectacles, des textes et m’ont présenté des acteurs et des actrices. C’est alors que je me suis dit qu’il était possible d’en vivre. Je continuais en parallèle mes études scientifiques et de gestion pour rassurer mes parents qui ne connaissaient rien du spectacle vivant et qui étaient très inquiets.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier grand spectacle auquel j’ai participé, c’était Living ! D’après les textes de Judith Malina et Julian Beck du Living Theater. C’était une mise en scène de Stanislas Nordey, qui était alors mon directeur pédagogique à l’école du Théâtre National de Bretagne pendant 3 ans, avec ma promotion en 2012. Ce que je retiens des répétitions, c’est que nous allions sortir de l’école, issue de l’institution, et que nous disions des textes justement qui parlaient des institutions et de la liberté. C’était beau de répéter cela à Avignon aussi pendant le festival, c’était la première fois que j’y allais et on voyait plein de spectacles, on en discutait ensuite pour savoir quel était notre rêve de théâtre. Le spectacle en lui-même par contre ne m’avait pas marqué ! C’était vraiment le souvenir de clôturer la vie d’étudiant pour entrer dans « la vie active » dans le théâtre. Avec cette quête de création libre que proposait le Living Theater. Je crois que le message que j’ai appris était de garder la foi, une utopie et une distance.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Au début de mes cours de théâtre, je me suis intéressé à la metteuse en scène Ariane Mnouchkine et sa troupe. Je savais qu’à l’époque le théâtre du Soleil avait des comédiens du monde entier et qu’il y avait beaucoup de places pour l’improvisation. Je me suis dit que j’aurais ma place ! En participant à un de leur stage, j’ai découvert pour la première fois ce que voulais dire le terme « engagement« . Engagement sur la scène et dans la vie. J’étais fasciné par leurs façons de travailler, de partager et de vivre ensemble. Même si j’avais déjà la distance de me dire à l’époque que ça devait sûrement être très difficile. Voir les comédienn.e.s travailler avec nous et devant nous a été une grande source d’inspiration.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
La personne ensuite qui m’a été bénéfique en tout point a été Stanislas Nordey. Pour être bref, il nous a appris à avoir une capacité et une conscience de travail et de toujours avoir une immense curiosité. Il m’a donné aussi l’espace de répondre aux questions, Qui suis-je ? D’où je viens ? Questions toutes bêtes, mais pour moi issu d’une double culture franco-vietnamienne, c’était fondamental, d’autant plus que mon rapport à mes origines n’était pas évident. Que ce soit avec ma famille ou les personnes sur ma route. Je n’en parlais pas et surtout, je ne savais pas comment en parler. Ce sont des questions qu’on ne peut pas refouler quand on monte sur un plateau de théâtre pour pouvoir s’exprimer avec la plus grande sincérité. Tout en servant un texte et tout en étant protégé par lui. Je suis infiniment reconnaissant que Stanislas m’ait bâché dès les premiers jours de l’école en me disant « tu as des trucs que tu sais faire, range les pendant 3 ans, tu verras, tu pourras les ressortir, ils ne seront pas perdus ». Par la suite, de nombreuses rencontres ont été chères à mon cœur comme celles avec Marine Bachelot Nguyen et Marina Keltchewski pour le spectacle Circulations Capitales qui est très important pour moi autant professionnellement qu’intimement. Le voyage au Vietnam pour répéter le projet et s’immerger a été salvateur. J’ai compris beaucoup de choses sur mon histoire, ma famille et mon rapport au monde. Je réalise que c’était finalement le prolongement de ce que m’avait proposé de faire Stanislas Nordey. Il y a eu aussi l’aventure épique avec Thomas Jolly quand on a joué Richard 3 à l’Odéon et au TNB, Simon Deletang, Laurent Meininger, Pascal Kirch, Christine Letailleur, Grace Ly, Stéphane Ly-Cuong… La liste est longue ! Et puis mon agent Brigitte Descormiers grâce à qui j’ai pu faire quelques pas dans le cinéma.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
C’est l’endroit où je pense être le plus au présent. Alors ça fait un peu cliché, mais c’est vrai ! Je me sens sur le fil, dos au mur, et on ne peut pas ne pas être là sinon le public le sent et le dialogue avec lui ne peut pas avoir lieu. Par dialogue, j’entends connexion, même quand on joue des scènes de situations réalistes avec nos partenaires. On est en survie, en sursis, et ce vertige est unique.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’inspiration vient pour moi de mes souvenirs, de ce que je vis. Les émotions que j’ai pu ressentir en rencontrant des gens, des paysages, des pays où à des moments précis de ma vie que j’ai pu identifier. Ensuite, il y a évidemment les multiples arts qui peuvent nourrir comme la musique, le cinéma, les documentaires, les expositions, la littérature et aussi, bien évidemment, le théâtre. Des acteurs et actrices m’inspirent aussi énormément, j’essaye de reconnaître leurs « endroits de jeu », comment ils ou elles placent leurs voix, comment bougent leurs corps et j’essaye d’imaginer comment ils ou elles ont travaillé. J’ai développé une véritable passion pour la direction d’acteur. L’inspiration vient pour moi aussi beaucoup de l’observation et de l’écoute.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Mon rapport à la scène fluctue avec ma vie. Quelques fois, il est de l’ordre du sacré, de la volonté de faire communauté et d’assister à un rituel et puis d’autres fois, c’est simplement un endroit de jeu joyeux et de retrouvailles festives ! Il n’y a rien de figé.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Au niveau du cœur et de l’âme !
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Des artistes dont je serais fier de marcher à leurs côtés, avec qui j’aimerais partager des moments de vie, si c’est possible, et qui ont une intelligence du cœur !
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Ce serait peut-être de participer à un projet international où il y aurait toutes les nationalités et qu’on raconte ensemble l’histoire des Civilisations. Ou alors peut-être simplement un projet en France rassemblant des comédienn.e.s de toutes « les origines » mais qui raconte juste une histoire sans liens dramaturgiques avec leurs origines. Ou encore tenir un premier rôle dans un film ou une série. Je souhaite une plus grande représentativité des asiatiques dans l’audiovisuel aujourd’hui. J’ai bon espoir !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Si je devais poétiser mon existence aujourd’hui, je verrais bien ma vie dans un roman d’Haruki Murakami.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Circulations capitales de Marine Bachelot Nguyen
Festival d’Avignon le OFF
La Manufacture
2 bis, rue des écoles
84000 – Avignon
du 6 au 25 juillet 2021 – Relâches : 12, 19 juillet 2021 à 15h35
Durée 1h35
Reprise au TQI du 26 novembre au 2 décembre 2021.
avec Marina Keltchewsky, François-Xavier Phan et Marine Bachelot Nguyen
Scénographie & vidéo de Julie Pareau
Régie lumière – Ronan Cabon
Régie son – Pierre Marais
Crédit photos de © C. Ablain