Tout juste promu de l’École du Nord, Louis Albertosi foule actuellement les planches du Théâtre Nanterre-Amandiers, dans le Henri VI de Shakespeare mis en scène par Christophe Rauck. Après trois années à Lille, le comédien revient sur son jeune parcours et livre quelques-unes de ses impressions sur le métier, sur cette expérience incroyable.
Qu’est-ce que vous a donné envie de devenir comédien ?
Louis Albertosi : J’ai d’abord appris à jouer du violoncelle ; c’est par la musique que ça a commencée. C’était mon activité « extra-scolaire », qui me rendait assez heureux, surtout quand il s’agissait de faire de la musique de chambre, de jouer à plusieurs. Mais très vite, je me suis imaginé devenir réalisateur – c’était mon envie « professionnelle » en tout cas. Cela m’est très longtemps resté en tête. Mais une amie en classe de troisième faisait du théâtre dans une petite troupe amateur dans le Val d’Oise (où je vivais), elle m’a invité à venir, insisté même (je l’en remercie), et l’essai a été très joyeux, alors j’y suis resté. J’ai très vite découvert que j’avais un appétit énorme de ça, du théâtre, et surtout, que je n’y perdais pas la musique. En aimant et faisant du théâtre, j’aimais, je faisais toujours de la musique, ou même du cinéma. Je découvrais cet aspect art « total »… Et puis j’ai découvert l’opéra, Wagner, Rameau, et suis enfin allé voir des spectacles avec le lycée, notamment le très marquant Perturbation de Thomas Bernhard, qui passait à Pontoise, mis en scène par Krystian Lupa et avec une distribution exceptionnelle. Très progressivement, l’idée concrète de devenir comédien a supplanté l’envie d’être réalisateur. Après le bac, j’ai été au conservatoire du XXe arrondissement de Paris, avec Pascal Parsat, et ça a magnifiquement fait grandir l’appétit dont je parle. Puis j’ai passé le concours de l’école du Nord…
Pourquoi avoir choisi l’école du Nord ?
Louis Albertosi : Deux choses m’ont particulièrement attiré vers l’école du nord. D’abord l’idée de partager trois ans d’études avec des élèves auteurs, autrices ; l’idée de voir naître des écritures contemporaines et d’accompagner ces naissances. J’avais notamment vu les maquettes des pièces des auteurs de la promo 5, qui allait sortir, et ça m’avait beaucoup marqué. Et aussi le fait que le parrain de promotion allait être Alain Françon, dont je découvrais justement le travail. J’ai eu un vrai choc en voyant son Mois à la campagne, de Tourgueniev. Jamais je n’avais entendu un texte comme ça. C’est donc bien l’idée du texte, des textes, qui me paraissait être au centre de la pédagogie de l’école. Un musicien dirait la « partition »… J’ai deviné que c’était le bon lieu. Et puis j’ai bien sûr visité Lille, et la ville me plaisait.
Quels ont été les moments forts ?
Louis Albertosi : Il y en a eu tant ! Je vais faire des choix, c’est forcément injuste. Travailler avec Alain Françon a été une expérience merveilleuse. On l’a fait deux fois en trois ans. Il nous faisait travailler sur des pièces qu’il avait déjà montées. L’expérience sur Toujours la tempête de Peter Handke, notamment, a été passionnante. Et aussi le moment des maquettes des pièces des auteurs, en deuxième et troisième année. Là, nous « créions » vraiment des rôles. C’était tellement heureux ! Et puis, j’ai découvert une affinité puissante pour l’écriture d’un des élèves auteurs, Nicolas Girard-Michelotti. L’école est aussi là pour créer des rencontres. Et encore, tous les stages avec Cécile Garcia Fogel, qui ont été infiniment précieux…
Vous êtes dans Henri VI, comment se sont passé les répétitions avec Christophe ?
Louis Albertosi : Christophe a eu l’intelligence de se faire accompagner de Cécile Garcia Fogel pour monter le spectacle. En plus d’avoir beaucoup joué Shakespeare, c’est celle avec qui nous avons le plus travaillé à l’école, celle qui nous connaissait le plus « au boulot », tandis que Christophe nous avait vus comme spectateur à chaque sortie d’atelier. Leurs deux regards se complétaient. Le texte est tellement dense, et long ! Il fallait se donner les moyens de travailler vite. Nous avons eu huit semaines pour répéter, ce qui est en fait extrêmement court pour une pièce de quatre heures (dans notre version), avec seize acteurs et actrices avec des problèmes et des atouts tous évidemment très différents. Et puis Shakespeare, c’est le diapason de la difficulté ! Parce que, peut-être, le plus grand auteur de théâtre. Mais on s’est aussi donné les moyens de s’amuser, c’est-à-dire tout bêtement, d’avoir un plateau tournant, de la fumée, de la voltige, de la vidéo, de la batterie, etc. Le travail était acharné, parfois laborieux, mais nous étions sans cesse en prise avec ces choses festives. Les interventions du danseur et chorégraphe Philippe Jamet ont été très utiles aussi, pour régler des scènes collectives, ou des mouvements précis. Il faut dire que le plateau, s’il tourne, reste nu ! Il oblige à avoir une corporalité rigoureuse, comme Shakespeare oblige l’incarnation. Le corps était aussi au centre du travail.
Quel rôle jouez-vous ? Et qui vous plait dans cette incarnation ?
Louis Albertosi : J’ai la chance de jouer le rôle-titre, Henry VI. Se voir offrir un grand rôle shakespearien en sortant de l’école, à vingt-trois ans, c’est un défi merveilleux. J’avais pu esquisser un travail sur le rôle lors d’un atelier mené par Cécile en janvier 2021. Et je vois aussi ce cadeau comme une marque de confiance, de sa part d’abord, qui a en grande partie fait la distribution, mais aussi de Christophe, qui l’a validée. Et on peut difficilement faire parcours plus large et plus beau : Shakespeare montre le couronnement d’un tout jeune roi jusqu’à son assassinat dans la tour de Londres. Au plateau, on voit trente ans passer en quatre heures ! Christophe me donnait comme indication, très récemment, « sois courageux ». C’est exactement ça. Il peut y avoir quelque chose d’ingrat aussi, dans ce personnage dont l’humanisme, ou le pacifisme peut parfois tenir de la passivité. Il faut être fin, tout en faisant attention de garder le jeu épique demandé par le plateau nu et le texte de Shakespeare. Mais quelle joie de jouer un roi qui préfèrerait être un berger, un roi écœuré par le pouvoir. Il y a une pensée politique magnifique dans les tragédies historiques de Shakespeare. La poésie et la pensée se conjuguent, sont consubstantielles. On devient plus grand qu’on est lorsqu’on incarne ça – et c’est une idée très chère à Christophe.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Henri VI de Shakespeare
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 Av. Pablo Picasso
92000 Nanterre
Jusqu’au 24 octobre 2021
Mise en scène de Christophe Rauck
Collaboration artistique de Cécile Garcia Fogel
D’après la traduction de Stuart Seide
Avec Louis Albertosi, Mathilde Auneveux, Adèle Choubard, Maxime Crescini, Orlène Dabadie, Simon Decobert, Constance de Saint Rémy, Joaquim Fossi, Nicolas Girard-Michelotti, Antoine Heuillet, Pierre-Thomas Jourdan, Solène Petit, Noham Selcer, Rebecca Tetens, Nine d’Urso & Paola Valentin
Lumières d’Olivier Oudiou
Son de Sylvain Jacques
Costumes de Fanny Brouste
Travail du corps de Philippe Jamet
Crédit portrait © Simon Gosselin