Après Jusqu’ici tout va bien qui mettait en scène un réveillon de Noël éclatant de tensions, le Grand Cerf Bleu revient avec une création originale autour de la légende de Robin des Bois. Animés de la même folie créative, les trublions de la compagnie de théâtre interrogent cette fois l’injustice, ses conséquences sociales et ses répercussions sur l’individu.
Il est des héros et des héroïnes qu’on n’oubliera jamais. Parce qu’ils ont marqué une partie de notre enfance, fait écho à une élan romantique d’héroïsme ou tout simplement éveillé notre âme de justicier·ière. Batman, Spiderman, Captain Marvel, Wonder Woman, Xena la guerrière… Et, plus prosaïquement, Robin des Bois. Un héros plus ordinaire que les autres mais qui, par sa quête absolue d’équité, parvient à réaliser des actions extraordinaires. On se souvient entre autres d’un renard futé défiant Richard Cœur de Lion chez Disney en 1973 ou plus récemment, d’un Russell Crowe à la vaillance aiguisée chez Ridley Scott.
Un Robin qui sommeille en nous
Notre imaginaire à toutes et à tous, petits et grands, est marqué par la figure de ce justicier résolu à rétablir une justice équitable, au détriment des riches qu’ils pille à l’envi pour redistribuer aux pauvres. C’est en partant de ce constat que la compagnie du Grand Cerf Bleu s’est emparé de la légende de Robin Hood. De ce constat et d’un autre, plus sombre : celui des inégalités, persistantes.
Le propos ici n’est pas de fournir des solutions, mais de donner à voir les traces qu’a laissé cette légende sur les individus et les appropriations (intimes et politiques) qu’ils ont pu en faire. Quelle pertinence aujourd’hui y a-t-il à voler aux riches pour donner aux pauvres ? Est-ce un acte violent en soi ? Quels avantages et quels risques présente une existence retirée du monde, en pleine autonomie dans la forêt ? Quel intérêt y-a-t-il à désobéir ou, au contraire, à obéir ? Une révolution est-elle souhaitable ? L’action doit-elle venir de l’individu ou du collectif ?
Posées à une galerie de personnages anonymes au cours d’une pérégrination sur les terres de Robin des Bois, ces questions sont restituées sur scène sous forme d’entretiens journalistiques. Chacun et chacune interprète à tour de rôle des militant·e·s qui questionnent des sujets aussi vastes que l’écologie, l’autonomie, la décroissance et la liberté ; un forestier à la retraite qui évoque son engagement de jeunesse ; un tireur à l’arc qui discourt sur la désobéissance civile et le banditisme ; des historien·ne·s et des journalistes qui réfléchissent aux méthodes de contestation ; des haut·e·s fonctionnaires et des directeur·rice·s de grande entreprise qui interrogent la légitimité de la violence, etc. Autant de personnages qui, à leur échelle et selon leurs propres croyances, veulent rétablir une justice, qu’elle aille en faveur du haut que du bas. Des Robins des Bois modernes, d’une certaine manière.
Un désordre intentionnellement efficace
À cet ancrage contemporain, se mêlent des saynètes médiévales épiques où la bande de Robin prend vie. Belle Marianne, Petit Jean, Sheriff de Nottingham… Les deux époques se percutent pour mieux dialoguer entre elles dans une atmosphère rustique (arbre, table massive en bois, cibles de tir à l’arc, tente et tenues d’époque très fidèles) parsemée d’objets actuels (caméra, micro et écran sur lequel sont projetés en temps réel les entretiens).
Le tout s’articule dans un désordre parfaitement maîtrisé et un entrain qui ne s’essouffle guère. Le public, lui, est pris à part à plusieurs reprise au point d’être invité à boire une bière sur scène, à tirer à l’arc ou à être déboussolé par la réaction soudaine d’un des spectateurs… L’énergie est chorale, portée par l’ensemble des comédiens et des comédiennes, toutes et tous aussi impliqué·e·s, justes et drôles. Parce que la légèreté, malgré la gravité des sujets abordés, est bel et bien de mise ! Voire clé. C’est par cette formule du décalage, de l’autodérision, de la rupture et de la digression que la pièce puise son rythme, sa portée et sa réussite.
L’expérience Sherwood, c’est ça : une expérience de théâtre sociale, héroïque, immersive. Et donc, activement réflexive.
Cécile Strouk – Paris
Robins – L’expérience Sherwood du Collectif le Grand Cerf Bleu
Du 28 septembre au 8 octobre 2021
Théâtre 13 Bibliothèque
30 rue du Chevaleret, 75013 Paris
À 20h du mardi au samedi, à 16h le dimanche
Durée estimée : 1h45
Tournée
Le 9 novembre 2021 : Théâtre Molière, Scène Nationale, Sète (34)
Les 18 et 19 novembre 2021 : Théâtre de Vanves, Scène conventionnée (92) dans le cadre du festival OVNI
Du 22 au 24 mars 2022 : l’Archipel, Scène Nationale, Perpignan (66)
Le 8 avril 2022 : Théâtre Roger Barat, Herblay-sur-Seine (95)
Les 26 et 28 avril 2022 : Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National (56)
Les 3 et 4 mai 2022 : La Passerelle, Scène Nationale, Saint Brieux (22)
Les 31 mai et 1er juin 2022 : L’espace des arts, Scène Nationale, Chalon-sur-Saône (71)
Création collective Le Grand Cerf Bleu
Écriture et mise en scène Laureline Le Bris-Cep, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur
Avec Adrien Guiraud, Thomas Delpérié, Laureline Le Bris-Cep, Nolwenn Peterschmitt, Gabriel tur, Jean-Baptiste Tur et Richard Sammut
Crédit photos © Mathis Leroux