Au Théâtre La Bruyère, Pierre-Olivier Scotto, Xavier Lemaire et une troupe de douze comédiens formidables nous entraînent Là-bas, de l’autre côté de la mer, une fresque sur un thème porteur, encore aujourd’hui, de bien des blessures, la Guerre d’Algérie. Un spectacle poignant et nécessaire.
Comme elle est douloureuse cette période de l’histoire, au point d’être souvent résumée à quelques lignes dans les manuels d’histoire, éludée lors de conversations. Elle semble presque rayée de la carte. On en a des images d’Épinal, celles des pleurs des colons quittant leur terre, celle de liesses d’un peuple ayant enfin gagné sa souveraineté. Il n’est pas facile d’évoquer les tortures faites par l’armée française, les villages saccagés, les attentats meurtriers dans les rues d’Alger, les déchirements entre deux peuples se partageant le même sol qu’ils aimaient. Cette Guerre d’indépendance, comme toute guerre, a brisé bien des vies.
Une pièce documentée
S’inspirant de nombreux témoignages de Français et d’Algériens, se basant sur des documents historiques et politiques, Pierre Olivier Scotto et Xavier Lemaire réalisent la prouesse de nous raconter cette période douloureuse. Restant au plus près du déroulement des événements historiques, sans prendre parti, parce que ce n’est pas le propos, ils dévoilent ce qui s’est passé entre 1956 et 1962. Comment les belligérants, de quel côté qu’ils soient, se sont retrouvés pris dans la tourmente. Ici il n’y a pas de héros mais des êtres humains qui, avec leurs visions des choses, leurs excès et leurs fragilités, se sont déchirés.
Amour et haine
D’un côté, nous avons une histoire d’amour entre France (charmante Noémie Bianco) et Moktar (épatant Kamel Isner). Ils se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Après le temps des jeux et venu celui de l’amour. Mais comme Juliette et Roméo, pris dans la haine des Capulet envers les Montaigu, ils n’ont pas le droit de s’aimer. Moktar est pour l’indépendance de son peuple et de son pays. France, qui rêve de théâtre, et malgré la mort de son père dans un attentat, veut encore croire à un vivre-ensemble. Jusqu’au jour où elle comprend que cela n’est plus possible. Chacun choisira sont camps et sa route.
Une saga familiale
De l’autre, il y a la vie de tous les jours, avec ses protagonistes. Il y a Jean-Paul (étonnant Hugo Lebreton), petit rockeur de Montrouge, fou de musique, jeune « appelé » comme on disait à l’époque, qui se retrouve dans un conflit auquel il ne comprend rien. Il en sortira physiquement indemne, mais pas psychiquement. Au moins, il aura trouvé l’amour. Il y a Marthe (sublime et émouvante Isabelle Andréani), la mère de France, généreuse et terrible, qui pleure son mari, puis sa plus jeune fille. Elle oscille entre la rage, la douleur et l’espoir de rester ici, chez elle ! Et puis, il y a tous les autres, les amis, les voisins, les employés, les soldats, les rebelles, les politiciens de la Métropole… Quel que soit leur personnage qu’ils incarnent, Maud Forest, Karine Testa, Patrick Chayriguès, Franck Jouglas, Xavier Kutalian, Laurent Letellier, Teddy Melis, Julien Urrutia, sont remarquables. Tous font battre le cœur de cette grande saga familiale épique passionnante et prenante.
Un voyage immobile
Nous passons de la caserne à l’entreprise d’huile d’olive, de la casbah au bistrot de Montrouge, d’un ministère parisien à une plage d’Alger, du Conservatoire d’art dramatique au désert… S’appuyant sur une scénographie simple mais judicieuse, de vidéos de l’époque, des lumières chatoyantes comme une journée d’été où sombres comme une nuit dans le désert, Xavier Lemaire signe une bien belle mise en scène. Sa direction d’acteurs est précise. Ici pas de caricature, comme celle de l’accent, mais une sincérité de jeu. Les déplacements se font avec une belle aisance. Les tableaux de cette épopée défilent sans que jamais l’on perde le fil. Et nous passons, comme dans la vie, du rire aux larmes !
Marie-Céline Nivière
Là-bas, de l’autre côté de l’eau de Pierre Olivier Scotto, avec le regard complice de Xavier Lemaire
Théâtre La Bruyère
5 rue La Bruyère
75009 Paris
Du 22 septembre au 31 décembre
Du mardi au samedi à 20h45, matinée le samedi à 15h30
Durée 2h15
Mise en scène de Xavier Lemaire assisté par Victoire Berger-Perrin
Avec Isabelle Andréani, Hugo Lebreton, Kamel Isker, Noémie Bianco, Maud Forget, Karine Testa, Teddy Melis, Franck Jouglas, Patrick Chayriguès, Julien Urrutia, Laurent Letellier, Xavier Kutalian
Décor de Caroline Mexme
Costumes de Virginie H
Lumières de Didier Brun
Musique de Katarina Fotinaki
Vidéo de Sébastien Sidaner
Crédit photos © Fabienne Rappeneau