Salle Célestine à Lyon, Myriam Boudenia présente Palpitants et dévastés, une pièce où l’autrice et metteuse en scène explore ses racines, le poids des origines. Avec une belle sincérité, elle a accepté de revenir sur cette création qui touche autant à l’intime qu’à l’universel.
Quelle est la genèse de ce spectacle ?
Myriam Boudenia : Tout simplement, mon état-civil. Je m’appelle Myriam Boudenia et à l’énoncé de mon nom, une des premières questions qui vient est : « D’où tu viens ? » Boudenia, est le nom de mon père. Né en Algérie, il est venu en France en 1965 après le coup d’état. Mais là, ce n’est qu’une partie de mon identité, de ma vérité. À l’histoire complexe qui lie Algérie et France, il ne faut pas oublier que mon nom complet est Myriam Stefania Boudenia. Stefania, c’est le prénom de ma grand-mère maternelle qui a quitté sa Galicie natale – un territoire situé à la frontière de l’Ukraine et de la Pologne – dans les années 30 pour venir travailler en France comme ouvrière agricole.
Je suis d’ici, d’ailleurs, difficile d’être exhaustif quant à mes racines. Il y a ainsi des choses que l’on porte en nous. En l’occurrence, ici, un deuxième prénom, comme un indice, une marque, un signe d’un passé que l’on ne nous a pas forcément transmis.
Que faire de ce passé dont on ne sait rien ou peu de chose ?
Myriam Boudenia : Justement, c’est le point de départ de Palpitants et dévastés. À partir de ce détail, j’ai extrapolé une fiction totale avec une famille imaginaire. Comment lors d’un mariage, le jeune époux découvrant le deuxième prénom slave de sa femme est déstabilisé, se sent trahi, ne comprend pas… « Comprendre quoi à la fin ? », lui demande sa femme.
Effectivement, qui y-a-t-il à comprendre ? Quelle est cette quête d’identité, de transparence sur ses origines et celle de l’autre ? Quel secret cache cet infime détail ? Comment on se construit quand il y a des lacunes dans les histoires racontées ? A-t-on besoin de tout savoir ? Pourquoi est-on constamment renvoyé à ça ? Toutes ces questions, ont fini par faire spectacle, par nourrir mon projet, ma plume. À partir des histoires qui n’ont pas été dites, celles des gens venus d’ailleurs et qui ont toujours le sentiment de n’intéresser personne, j’ai alimenté, nourri mon projet théâtral.
Cela renferme un certain nombre de thématiques ?
Myriam Boudenia : Clairement. La pièce que j’ai composée parle du rapport de la France aux étrangers. Elle montre la difficulté à honorer le principe fondateur républicain de l’hospitalité. Puiser dans sa propre histoire, cela n’a rien d’original à mon sens. Mon objectif n’est donc pas tant de partager une autofiction même si ce genre littéraire est très beau, que d’explorer au plus profond de son être ce qui pousse à se rapprocher d’autrui. J’espère que mon petit cas personnel est néanmoins relié à d’autres histoires, à l’Histoire. Nous sommes nombreux à nous poser des questions sur nos origines, nos rapports aux autres. Et la famille, les générations, les secrets, les non-dits, c’est universel ! Et c’est une matière théâtrale qui ne s’épuise pas.
Qu’avez donc voulu raconter ?
Myriam Boudenia : L’histoire d’une grand-mère qui a fui dans les années 30 un pays où elle n’avait pas d’avenir. Je voulais tisser des fils entre les mouvements continus de migration des êtres humains. C’est pourquoi j’ai écrit le personnage de Lambada, musicien tzigane apatride, qui vient de Roumanie. Un des sujets que j’aborde ici, est celui des frontières mouvantes, le flou sur la question du territoire, de la nation, sur la langue qu’on parle. Or, la culture tzigane est un constant voyage, un constant métissage des styles.
Le personnage dit à un moment : « Je n’ai pas de pays, j’ai des paysages. C’est pas pareil. »
Est-ce un spectacle sur la culture tzigane, sur leur histoire à travers l’Europe ?
Myriam Boudenia : Je n’écris pas sur l’histoire tzigane. Il y a un personnage tzigane dans la pièce, ce n’est pas pareil. Je n’écris pas sur tel ou tel sujet. J’écris une histoire avec des personnages qui ne portent que leur point de vue. Qui ne représentent qu’eux-mêmes. Ce ne sont pas des figures. Vous voyez ?
La musique est très importante dans votre œuvre ?
Myriam Boudenia : J’ai toujours travaillé avec des musiciens. La langue que je cisèle, sculpte, est je crois musicale. Dans la pièce, le personnage de Lambada est accordéoniste, donc logiquement, il est joué par Marian Badoi un accordéoniste virtuose. Ensemble, nous avons pensé l’intervention de la musique au sein de la fiction. C’est une partenaire de jeu extraordinaire qui nous emmène ailleurs. Il y a parallèlement une proposition électroacoustique du compositeur Julien Vadet qui développe un territoire imaginaire métissant différentes influences. C’était passionnant de faire cohabiter ces deux musiciens !
Avec quelles autres personnes avez-vous travaillé pour créer ce spectacle ?
Myriam Boudenia : Yoann Tivoli à la lumière qui a développé l’idée forte de la photo récolorisée dont j’ai parlé très tôt à l’équipe. Il a créé une lumière très singulière avec des aplats de couleurs monochromatiques trouées par des zones de lumières. Ce qui permet d’isoler des scènes, de créer des zooms, de construire un hors champ sur scène… Quentin Lugnier à la scénographie qui a proposé un lieu unique où peuvent se superposer les espace-temps… un lieu de l’imaginaire dans lequel circulent les personnages. Qui rappellent les vestiges d’un passé oublié…Et Julie Mathys aux costumes qui a apporté des silhouettes très colorées, singulières elles aussi, qui peuvent se transformer au fil de la pièce.
La plupart des personnages sont féminins. Est-ce un choix et pourquoi ?
Myriam Boudenia : Effectivement ! Je ne sais pas trop quoi en dire. Ce sont trois femmes aux caractères bien trempés, entières, faillibles, dures parfois aussi. Des femmes qui refusent les injonctions qu’elles subissent : Céline la plus jeune, celle d’avoir à porter une histoire qu’elle ignore, Michèle sa mère, est fantasque, hors norme, libre d’aimer qui elle veut et Stefania la grand-mère qui a fui seule la famine en traversant toute l’Europe…
Alors, oui, c’est un choix évident pour moi. Je ne fais pas d’efforts pour me dire : il faut que j’écrive des personnages de femmes. Elles sont là, elles me parlent et j’écris ce qu’elles me disent… toutes mes pièces comportent des héroïnes, des personnages que j’espère complexes, forts, sensibles. La vie, quoi !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Palpitants et dévastés de Myriam Boudenia
La Célestine
Théâtre des Célestins
4 Rue Charles Dullin
69002 Lyon
Jusqu’au 3 octobre 2021
Durée 1h30
Mise en espace de Myriam Boudenia assistée de Lucie Ruda
avec Marian Badoi, Anne de Boissy, Sarah Kristian, Lucile Marianne, Martin Sève
Musicien accordéoniste et comédien – Marian Badoi
Scénographie de Quentin Lugnier
Conception et régie son – Julien Vadet puis reprise de régie son – Sébastien Finck
Conception lumière et régie générale et lumière d’Yoann Tivoli puis reprise de régie lumière – Jérôme Simonet
Costumes de Julie Mathys
Crédit photos © DR et © Marion Bornaz