C’est au Festival d’Avignon OFF, au Théâtre actuel que le spectacle a été redonné, remonté avec succès. Eric-Emmanuel Schmitt fait partie de ces auteurs populaires, aimés du public. Suscitant un certain engouement, sa pièce, qui a marqué à sa création, revient avec un intérêt renouvelé, notamment pour la curiosité de découvrir Sam Karmann dans le rôle de Freud, mais aussi par la qualité artistique de la nouvelle mise en scène ciselée par la talentueuse Johanna Boyé.
Une nuit surprenante
Nous sommes en 1938, les nazis viennent d’envahir l’Autriche. À Vienne, Freud malgré les suppliques de son entourage et surtout de sa fille hésite à partir, refusant d’admettre combien il ne fait pas bon être juif dans ce contexte. Cette nuit d’avril, qui devait annoncer le printemps plutôt que l’hiver, le célèbre psychanalyste est en proie à la plus grande inquiétude, sa fille Anna a été arrêtée pour être interrogée par la Gestapo. C’est alors que surgit un homme surprenant, qui connaît tout sur lui, et qui va tenir d’incroyables discours sur le monde, les hommes et leur destinée !
Enquête psychanalytique
Qui est-il ? Dieu lui-même, le diable, un fou ? Ne serait-il pas juste la représentation de l’inconscient de Freud ? Schmitt nous laisse résoudre l’énigme… En tout cas, l’auteur profite de cette joute verbale pour se questionner sur la place de la foi quand le monde déraille ! Comment justifier l’existence du mal malgré Dieu ! On peut se demander si c’est la main de Dieu ou celle du diable qui a fait que les hommes sont ce qu’ils sont ? Ou aucun des deux, mais plus celle de l’homme lui-même, assez grand pour se faire du mal ! « Ce serait un drôle de Dieu, un dieu cruel, un dieu sournois, un criminel, l’auteur du mal des hommes… Au fond, s’il y avait un dieu, ce ne pourrait être que le Diable ».
Une mise en scène ingénieuse
Dans un décor d’une grande élégance, signée Camille Duchemin, représentant le cabinet bourgeois de Freud, la metteuse en scène, Johanna Boyé, laisse planer une atmosphère singulière, celle de l’étrange, du surnaturel. Jouant sur les lumières, elle oscille entre le monde du rêve et celui des cauchemars pour décrire cette nuit où tout va se jouer pour le psychanalyste. Cela fonctionne très bien et donne au spectacle un beau cachet.
Sam Karmann, un Freud plus vrai que nature
Sam Karmann est un Freud des plus convaincants. Bien sûr, il s’est fait la tête de son personnage et elle lui va si bien que cela en est troublant. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce simple grimage, car le comédien, dans un jeu précis, apporte une belle humanité à son personnage. On voit avant tout le père plus que le praticien ! Katia Ghanty s’est glissée avec la fougue de la jeunesse dans le rôle d’Anna, inquiète et si forte à la fois.
Incroyable Franck Desmedt
Parce que le rôle est aussi ainsi fait, Franck Desmedt est exceptionnel dans le personnage mystérieux. Il donne à ce dandy flamboyant et cabotin une sorte de folie toute théâtrale et donc mystique ! Comme Jules Berry, le diable dans Les visiteurs du soir, il joue avec les mots, faisant virevolter ses mains ! Quel comédien ! Il y a de la profondeur, de l’inventivité dans sa prestation qui nous a totalement séduits !
Marie-Céline Nivière
Le visiteur d’Eric-Emmanuel Schmitt
Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté Paris 14e
Du 8 septembre au 31 décembre
Du mardi au samedi 21h, matinée dimanche à 15h
Durée 1h40
Mise en scène de Johanna Boyé
Assitée de Caroline Stéfanucci
Avec Sam Karmann, Franck Desmedt, Katia Ghanty, Maxime de Toledo
Décor de Camille Duchemin
Lumières de Cyril Maneta
Costumes de Lauriot Dit Prévost
Musique de Medhi Bouyarou
Crédit photos © Fabienne Rappeneau