Pour célébrer la réouverture du théâtre de Sartrouville, Sylvain Maurice directeur du lieu, propose de redécouvrir deux œuvres phares de son répertoire, deux monologues très différents, issus de sa collaboration étroite et synergique avec le comédiens Vincent Dissez, Réparer les vivants et Un jour, je reviendrai. Dialogue à bâtons rompus avec deux artistes habités.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Sylvain Maurice : On se connaît depuis longtemps. Je l’ai souvent vu joué au théâtre. Nous avons même déjà travaillé ensemble sur un Richard III, que j’ai monté en 2009 au nouveau théâtre de Besançon. Depuis, nous avons gardé des liens amicaux. Quand j’ai lu à sa sortie Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, j’étais tellement enthousiaste que je l’ai appelé dans la foulée. Intuitivement, j’avais le pressentiment qu’il y avait une matière théâtrale et que le texte pouvait toucher Vincent. Très rapidement, l’envie de tenter l’adaptation scénique de cette œuvre forte s’est fait sentir. Nous nous sommes lancés dans l’aventure.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce texte, dans cette histoire ?
Vincent Dissez : Je ne l’ai pas lu comme pur lecteur de littérature, mais dans l’idée de le travailler potentiellement. Je n’avais même pas conscience à l’époque que c’était un gros succès de librairie. Sachant que Sylvain souhaitait en faire un monologue, je l’ai étudié dans cette optique. Pourtant, je ne suis pas forcément à l’aise avec l’idée du seul en scène, ce n’est pas une forme théâtrale qui m’intéresse a priori. Je l’ai donc pris comme un défi, car jusqu’à présent je n’avais jamais pris en charge seul un récit. C’est une expérience assez singulière. Contrairement à moi, Sylvain à l’habitude du monologue, c’est un format qui l’intéresse beaucoup, je me suis donc laissé porter dans cette aventure. En y repensant, je ne suis pas sûr que je l’aurais fait si le texte ne m’avait pas touché.
Comment adapte-t-on un roman, en l’occurrence un best-seller ?
Sylvain Maurice : il n’y a pas vraiment de règles. Cela dépend du style littéraire, de la manière dont est abordée l’histoire, dont sont décrits les personnages. Cela dit, pour Réparer les vivants, j’avoue qu’au tout début du projet j’ai hésité entre un monologue et une pièce chorale. J’ai même évoqué la chose avec Maylis de Kerangal. J’avais besoin d’éprouver la forme. Mais, très vite, l’idée qu’il n’y ait qu’un seul conteur s’est imposée comme une évidence, tant ce parcours de vie est plus de l’ordre de la narration que de l’aventure. D’ailleurs, je suis intimement persuadé que pour l’autrice, son écriture est de l’ordre du rhapsode grec, sans pour autant que ce soit le style de la tragédie. Il y a dans le personnage central de l’œuvre une entité homérique, proche du trouvère, du troubadour qui, de ville en ville, raconte une histoire. En l’occurrence, ici, l’épopée d’un cœur. Un héros mort, Simon Limbres, dont, au fond, on va chanter la vie à travers l’acte du don d’organe.
Est-ce à la suite du succès de ce premier monologue que vous avez eu envie de poursuivre l’expérience avec un autre monologue ?
Sylvain Maurice : Pas exactement. C’est plutôt, l’envie commune que nous avions de continuer à travailler ensemble. Nous avons beaucoup lu, beaucoup échangé. L’idée était de le faire mais pas à n’importe quel prix. Il était important que l’on trouve le bon texte. Réparer les vivants a été un moment important de notre collaboration. C’était un monologue, mais dans une forme très particulière avec la musique jouée en direct par Joachim Latarget et un dispositif scénographique très puissant, celui du tapis roulant. Il y avait un vrai écrin, ce n’était pas qu’un solo. C’était une œuvre ambitieuse du fait de la nature de l’œuvre d’origine. Du coup régulièrement avec Vincent, on se retrouvait dans ma cuisine et on testait en lecture différents textes, que ce soit Patrick Modiano, Yoann Thommerel, etc.
Vincent Dissez : Beaucoup de ces auteurs nous ont touchés, mais il n’y avait pas d’évidence.
Sylvain Maurice : Déjà, nous avions éprouvé les trois récits de Lagarce, qui est un auteur important pour Vincent. Il l’avait joué à l’Odéon dans une mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Le temps a fait son œuvre. Et quelques mois plus tard, il y a eu un déclic.
Vincent Dissez : Je crois de l’avoir travaillé, d’avoir lu beaucoup de choses autour de lui, de son œuvre, de sa personnalité, a déclenché chez moi une émotion singulière, particulière. C’est comme si je comprenais des choses dans l’écriture auxquelles je n’avais pas forcément fait attention. Du coup, ce que m’a proposé Sylvain, c’est à dire d’adapter ses carnets au théâtre, avec ce titre-là – Un jour, je reviendrai, ça rejoignait en moi beaucoup de choses de Lagarce et du fait d’être en scène, de sa manière d’aborder le plateau, la langue pour qu’elle soit jouée. Je crois que j’y ai vu quelque chose d’assez juste. Pour moi en tout cas. D’autant que dans ses écrits, il y a quelques choses de bouleversant, et tout particulièrement dans ce qu’il ne dit pas. C’est assez génial.
Dans les deux spectacles, il y a du charnel qui se passe entre le jeu de l’un et la scénographie enveloppante de l’autre. Le texte n’est pas juste dit, il entre dans la chair Comment expliquez-vous cela ?
Sylvain Maurice : Cela me touche beaucoup. Je crois que c’est vraiment un travail de synergie. Chacun apportant à l’autre sa sensibilité, son regard. D’ailleurs, Pour Un jour, je reviendrai, mes idées de mise en scène ont fortement évolué au contact de Vincent, à sa manière d’appréhender le texte. J’ai suivi son intention car je sentais toute la proximité qu’il avait avec l’univers de Lagarce. C’était une collaboration vraiment de tous les instants, très forte. Les deux aventures agissent sur des ressorts dramaturgiques très différents. Chez Maylis de Kerangal, la veine est plutôt épique, alors que chez Lagarce on est dans l’intime, dans le particulier, le secret. Pour moi, il y a en plus dans le monologue, un moment de vérité, une exigence absolue pour l’acteur. Il ne peut pas tricher. C’est un exercice qui me semble très difficile, pour le comédien et pour le metteur en scène, qui n’a pas droit à l’erreur dans la manière dont il l’adapte, le monte. D’autant que dans les écrits de Lagarce, il y a quelque chose de bouleversant, et tout particulièrement dans ce qu’il ne dit pas. C’est assez génial, et pas si simple à faire entendre. Il y a une valeur d’universalité je trouve, dans quelque chose de très inattendu, une personnalité singulière.
Étonnement, Vincent, vous disiez que c’était la première fois que vous défendiez un seul en scène, alors qu’il y a une forme d’évidence quand on vous voit dans ces deux spectacles ?
Vincent Dissez : C’est très bizarre. Je ne suis pas sûr que ce soit une forme qui me convienne vraiment. J’aime bien être avec les autres sur scène. Contrairement à Sylvain, je pense que jouer un monologue c’est plus facile que jouer avec quelqu’un. J’aime les partenaires. Jouer un seul en scène n’a rien de désagréable, mais il me manque un truc.
Comment d’ailleurs fait-on pour apprendre un texte fait de répétitions, de retours en arrière ?
Vincent Dissez : C’est un cauchemar. C’est comme apprendre des pages de chiffres. Mais je crois à force de le triturer, de le travailler, avoir compris que son écriture, et c’est toute sa force, s’inscrit dans une très grande contradiction. C’est-à-dire qu’il va parler pour ne jamais dire l’essentiel de ce qu’il a dire. Il circonscrit la chose, sa pensée. Il y a chez lui une forme de grande pudeur ou d’orgueil à utiliser litotes et euphémismes, technique dont il se moque d’ailleurs dans son journal, pour dire beaucoup autour de ce que l’on pourrait exprimer avec peu de mots, de manière plus concise. Je crois d’ailleurs que cela relève chez lui du domaine de la séduction.
Était-ce important de réunir ces deux spectacles pour la réouverture du CDN ?
Sylvain Maurice : Oui, je suis très heureux que l’on puisse présenter les deux projets en même temps. Les deux ont comme point commun Vincent, mais ils sont aussi très différents tant par la forme, que par ce qu’ils abordent. Ils offrent à la fois une unité et une disparité.
Y aura-t-il une troisième expérience du même ordre ?
Sylvain Maurice : on y songe bien sûr. C’est dans les tuyaux, mais pas pour tout de suite, en tout cas. Nous travaillons actuellement sur un Ibsen, où enfin Vincent va retrouver des partenaires aux plateaux.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Réparer les Vivants de Maylis de Kerangal
Théâtre de Sartrouville – Yvelines CDN
Place Jacques Brel
78500 Sartrouville
Jusqu’au 25 septembre 2021
Durée 1h20
Mise en scène de Sylvain Maurice assisté de Nicolas Laurent
avec Vincent Dissez, Joachim Latarjet
scénographie d’Éric Soyer
costumes de Marie La Rocca
composition originale Joachim Latarjet
lumières d’Éric Soyer assisté de Gwendal Malard
construction décor – Artom Atelier
régie générale – Rémi Rose
régie lumière – Robin Camus
régie son – Clément Decoster, Tom Menigault
Un jour, je reviendrai d’après L’Apprentissage et du Voyage à La Haye, deux récits autobiographiques de Jean-Luc Lagarce
Théâtre de Sartrouville Yvelines CDN
Place Jacques-Brel – BP 93
78505 Sartrouville cedex
Jusqu’au 25 septembre 2021
Durée 1h30
mise en scène de Sylvain Maurice assisté de Béatrice Vincent
avec Vincent Dissez
scénographie ce Sylvain Maurice en collaboration avec André Neri
costumes de Marie La Rocca
lumière de Rodolphe Martin
son et régie son de Cyrille Lebourgeois
régie générale d’André Neri
régie lumière de Sylvain Brunat
Crédit photos © Tazzio Paris, © Théâtre de Sartrouville, © Christophe Raynaud de Lage