À Limoges, Les zébrures d’Automne 2021 battent leur plein. En ce week-end d’ouverture, les femmes sont particulièrement à l’honneur. En rêvant d’un nouveau féminisme venu d’Afrique ou en revisitant la figure maternelle, à travers les souvenirs que la maladie d’Alzheimer efface, les auteures et les auteurs francophones, qu’ils soient du Cameroun ou du Québec, invitent à une réflexion sur l’état monde.
À la caserne Marceau, à deux pas du centre-ville, des artistes, des auteurs, des festivaliers venus des quatre coins du monde sont réunis pour célébrer la Francophonie, éprouver les écritures d’ailleurs, prendre le pouls de la création en cette période si singulière, où les frontières ont été longtemps fermées. Sous le chapiteau, placé au centre de la cour, concert, lectures, tables rondes animent un village éphémère où chacun peut échanger, partager ses expériences, ses ressentis.
La femme africaine
Au CCM Jean Gagnant, l’étonnante et très humaine Odile Sankara s’empare de la prose vive, engagée de Léonora Miano. Fruit d’une vraie collaboration artistique entre la metteuse en scène burkinabée et l’autrice camerounaise, Que mon règne arrive questionne la place des femmes dans le monde et fait la nique à la vision occidentale qui ferait du féminisme, forcément ,une lutte acharnée entre les deux sexes, avec à terme le remplacement et la mise à mort du patriarcat. Entremêlant l’universel et l’intime, puisant dans les histoires traditionnelles africaines, les récits de sociétés matriarcales, les deux artistes signent une œuvre touchante, un brin artisanale, qui explore une autre voie d’émancipation pour les femmes.
L’amour plus fort que les convictions ?
En choisissant la forme feuilletonesque genre télénovella, Léonora Miano a du mal à trouver le ton juste, la bonne formule. Entre histoire d’amour, un peu facile, et lucide réflexion sur un féminisme éclairée, le fil se perd et achoppe à attraper, à convaincre. La mise en scène généreuse d’Odile Sankara donne du souffle, mais peu de chair au propos. Ne boudons pas pour autant notre plaisir, le jeu enlevé des trois comédiens séduit. Et la graine d’une autre manière de voir le monde, ses enjeux, de stimuler notre capacité à évoluer en apprenant autant de ses erreurs que des cultures ancestrales, est implantée dans nos esprits et fait son chemin.
Être acteur
Un peu plus tard dans la soirée, à l’espace Noriac, le canadien Patric Saucier s’amuse de son métier, de ses morts successives et variées sur les scènes de théâtres. Lapidé, suicidé, noyé, tué par balle, tout est possible sur un plateau, même l’impensable, être à la fois les meurtriers et le mort. En s’interrogeant sur les tenants et les aboutissants de ce qu’il est au plus profond de son être, un comédien capable de dire Shakespeare, de déclamer des vers, d’inventer des histoires drôles, émouvantes, poétiques ou cauchemardesques, il met en exergue un sujet sensible, la mémoire. Essentiel à son art, la mémoire est une faculté fragile, sensible, multiple. Il en explore tous les recoins, les aspects de manière drolatique, didactique. Si cela le perturbe, autant que cela ? le questionne, c’est que de l’autre côté de l’Atlantique, sa mère atteinte par la maladie d’Alzheimer, perd des pans entiers de ses souvenirs.
Souvenirs, souvenirs
Extraordinaire showman, Patric Saucier fait spectacle. Silhouette à la Hitchcock, bonhomie du bon vivant, accent canadien à couper au couteau, l’artiste divertit la galerie. Il joue des mots, des situations. Mais derrière les rires, l’émotion affleure. La peur qu’un jour sa mère ne le reconnaisse plus s’empare de lui. Imperceptiblement la comédie laisse place au drame. L’homme se glisse dans la peau de celle qui lui a donné le jour, sa première admiratrice, celle qui l’a toujours encouragée à poursuivre ses rêves. Le moment est fugace, troublant de vérité. Il touche une zone sensible, celle de l’intime qui bouleverse les uns, laisse les autres sur le côté de la route. Bien que perfectible pour gagner en rythme, Les yeux dans le dos est une belle surprise, un spectacle humain porté par un excellent duo d’artistes – Patric Saucier et Dominique Marier.
Toujours différentes, toujours singulières, les Zébrures imaginées par Hassane Kassi Kouyaté sont le reflets de la vitalité de la création francophone, sa capacité à faire voyager dans d’autres mondes, d’autres cultures, d’autres univers.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Limoges
Les zébrures d’Automne 2021
Caserne Marceau
64 rue Albert Barbès
87000 Limoges
Que notre règne arrive de Léonora Miano
CCM Jean Gagnant – Limoges
Mise en scène d’Odile Sankara assistée d’Ali Kiswendsida Ouédraogo
Avec Safourata Kaboré, Florisse Adjanohoun, Emmanuel Rotoubam
Comédienne stagiaire Sidonie Kiendrebeogo
Scénographie d’Yssouf Yaguibou
Chorégraphie de Salia Sanou
Lumière de Delphine Perrin assisté d’Aziz Guingané
Créateur musique & son – Patinda David Bertran Zoungrana
Régie son – Soumaïla Compaoré
Costume de Martine Somé
Les yeux dans le dos de Patric Saucier
Espace Noriac – Limoges
Mise en scène de Patric Saucier
Compositrice – Emilie Clepper
Avec Patric Saucier et Dominique Marier
Scénographie de Vanessa Cadrin et Éveline Tanguay
Éclairages, régie générale – Philippe Séguy assisté de Sylvie Nivard
Crédit photos © Christophe Péan