À Taulignan, au cœur de la Drôme, comme tous les étés depuis 2015, Matthias Fortune Droulers, jeune comédien et metteur en scène, va à la rencontre de curieux et de passionnés toujours plus nombreux. Avec son F.A.T. Festival, qu’il a créé avec deux artistes complices, il tente cette année, covid oblige, d’inventer un événement itinérant qui de village en village va à la conquête de nouveaux publics.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer un festival ?
Matthias Fortune Droulers : D’abord, se donner l’opportunité de créer des spectacles dans un cadre bienveillant, et s’autoriser l’expérimental. Dans un festival à taille humaine, comme le F.A.T. Festival, on retrouve l’objectif originel du théâtre : créer pour le public. Cela peut paraître évident, mais c’est parfois bon de se le rappeler. Ce sont ces raisons essentielles qui ont rendu vraiment concrète la création de notre festival.
Pourquoi l’avez-vous implanté en Drôme provençale ?
Matthias Fortune Droulers : À Taulignan plus précisément, qui est mon village natal. Le choix s’est imposé de lui-même. Depuis, le festival s’est élargi aux communes voisines. C’était une sorte de rêve de monter de toutes pièces un événement qui célèbre le partage autour de la création théâtrale. Grâce à notre volonté commune avec Anne-Sophie Liban et Ivan Herbez – avec qui je dirige la compagnie le Homard Bleu qui porte de F.A.T. Festival – et soutenus par une incroyable équipe de bénévoles, jusqu’à 50 bénévoles par édition, le festival existe vraiment.
Le festival fait partie d’une association de festivals émergents. Cette volonté de reconquérir le territoire, d’aller à la rencontre de nouveaux publics est-elle primordiale ?
Matthias Fortune Droulers : Notre festival vient en effet de rejoindre la FFTP (Fédération des festivals de théâtre de proximité) Les différents festivals membres se rassemblent autour de valeurs communes, dont l’une des plus importantes est l’investissement de territoires ruraux, dans des lieux non habituellement dédiés au théâtre. Là, nous renouons avec la création directe, en communication avec les habitants, tout en revendiquant une certaine humilité dans le dispositif de création. Cette démarche intervient aussi comme une réaction au reste de notre activité « à l’année » de comédien.ne (spectacles donnés en ville, dans des circuits de diffusion traditionnels…). On constate d’ailleurs que la majeure partie des festivals de la fédération ont été impulsés par de jeunes artistes ou compagnies dans les années 2010, motivés par le désir de renouer avec un théâtre plus authentique, mais aussi contraints par la réalité économique d’un milieu culturel en crise qui ne permet pas un accès au travail pour les jeunes artistes.
Quelles sont les grandes lignes artistiques de votre festival ?
Matthias Fortune Droulers : D’abord, une liberté totale de programmation. Le festival accueille des spectacles et soutient chaque année une création. Nous pensons le théâtre comme une fête à partager. Depuis le début, le festival n’a jamais été exclusif sur sa ligne artistique, et défend la diversité : classiques revisités, auteur.es contemporain.es, musiques, créations originales (comme cette année Amedeo, l’énigme Modigliani.) Le festival invite aussi des compagnies non francophones qui développent un théâtre essentiellement visuel et corporel, où la langue n’existe plus. En principe, nous proposons pour chaque édition 7 spectacles et 5 concerts.
Que voulez-vous impulser ?
Matthias Fortune Droulers : Peut-être une façon plus directe et plus simple d’envisager le théâtre. S’autoriser à réaliser ses ambitions artistiques en se donnant les moyens de le faire. Et par la fédération, en plus de se rassembler et de partager nos expériences, nous espérons aussi générer plus de reconnaissance des pouvoirs publics qui jusqu’à maintenant peinent à mettre dans la « bonne case » notre projet artistique. La plupart des festivals émergents sont portés par de jeunes artistes, est-ce que cela signifie qu’il y a une envie, une volonté de renouveau de réinviter la manière de présenter d’aborder le spectacle vivant ? Sûrement. A travers notre festival converge d’un côté la volonté d’aborder le spectacle tel qu’on l’entend, en s’affranchissant de certaines contraintes du « milieu », des logiques propres au théâtre public (qui s’évertue à penser et renouveler le théâtre) et au théâtre privé (qui cherche à faire venir du monde dans la salle) et de l’autre, la sensation de répondre à un authentique désir de découverte de la part des habitants qui participent à l’élaboration de l’événement. Élargir nos perspectives fait de nous des artistes plus à l’écoute, et nous rappellent que le théâtre n’est pas seulement l’action de jouer. Le théâtre est l’inexplicable communion entre un.e artiste et un public. C’est ce qui se passe entre les deux, entre ce qui est envoyé et ce qui est reçu, qui n’est pas palpable mais qui assurément nous fait vibrer.
Les contraintes sanitaires ont-elles bousculé votre festival ?
Matthias Fortune Droulers : Pour cette édition 2021, que nous avons dû remanier pour faire face à la situation, nous avons été confrontés à un dilemme douloureux. D’un côté le désir de maintenir l’événement, et de l’autre l’indignation d’avoir à faire respecter la contrainte du pass sanitaire, qui exclut inévitablement certain.es spectateur.trices. Le gouvernement, sans nous consulter, nous a laissé le soin de jouer les policiers pour contrôler les spectateurs. Cela n’est certainement pas en accord avec l’esprit de notre festival, ouvert à tous.tes. Nous avons donc fait notre possible pour ne pas trop perturber la manifestation et les festivaliers.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit portrait © Anne-Sophie Liban
Crédit photos © DR
