Laboratoire Poison 3 d'Adeline Rosenstein. La friche de mai. Festival de Marseille © Annah Schaeffer

L’Histoire décalée par le regard plein d’autodérision d’Adeline Rosenstein

Au Festival de Marseille, Adeline Rosenstein décortique les comportements de trahison qui émaillent les grands récits officiels de l’Histoire.

Au Festival de Marseille, Adeline Rosenstein explore, décortique et autopsie les comportements de trahison qui émaillent les grands récits officiels de l’Histoire récente. Avec humour, intelligence et une bonne dose d’esprit critique, la comédienne, autrice et metteuse en scène, originaire de Genève et de nationalité allemande, force à dépasser les clichés, les récits tout faits pour mieux interroger nos consciences. 

Quel plaisir de retrouver Adeline Rosenstein à Marseille. On l’avait laissée, il y a deux ans au théâtre de la Criée, en pleine création de Laboratoire Poison. Entre temps la covid est passé par là, l’un de ses comédiens, Olindo Bolzan a tristement mis fin à ses jours, comme elle l’annonce en prologue de son spectacle, le projet aurait pu vaciller, se perdre. Il n’en est rien, il a juste dévié de son cours. La perte, l’absence est là, bien sûr, mais elle donne au spectacle une dimension tout autre. La metteuse en scène pose un regard plus profond, encore plus décalé sur son travail. Son rapport à la scène, à la théâtralité, à la réalité a changé. L’absurdité du monde, cette manière si singulière, si belge de voir la vie, s’est renforcée, affirmée. 

L’histoire autrement
Laboratoire Poison 3 d'Adeline Rosenstein. La friche de mai. Festival de Marseille © Annah Schaeffer

Avec les neuf anciens élèves de l’École Supérieure d’Acteurs de Liège (ESACT) qui ont participé à tout le processus de création, Adeline Rosenstein revisite l’Histoire de sa patrie d’adoption la Belgique, mais aussi celle de pays frontaliers, à la manière d’une anthologue faussement naïve. Avec malice, elle cherche à comprendre la différence entre trahison et collaboration. Elle sonde l’âme humaine, explore les frontières du rapport aux autres, la capacité de chacun à laisser son libre arbitre décider. En s’intéressant tout d’abord, aux résistants communistes belges, soumis à la torture puis contraints à la dénonciation pendant la Seconde Guerre mondiale, elle déroule son récit, le découpe, revient dessus pour éclairer différemment chaque situation. En faisant rejouer à sa troupe de comédiens, tous excellents, les mêmes scènes, mais plaquant dessus une autre légende, elle interroge notre regard sur les faits, sur leurs significations multiples, notre capacité à interpréter.

Un travail tout en dentelle 

S’appuyant sur les écrits de différents sociologues, dont Jean-Michel Chaumont, dans l’ouvrage Survivre à tout prix : essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes, Adeline Rosenstein, narratrice de son propre spectacle, propose une relecture de différentes périodes troubles de l’Histoire, du nazisme à l’indépendance de l’Algérie, en passant par celle du Congo puis celle du Mozambique libéré du joug portugais. Elle explique non sans humour et autodérision, la manière dont chaque gouvernement, chaque occupant à tourner les esprits à coup de « fake news », de propagandes, de tortures, d’informations détournées. C’est clairement brillant, ahurissant et follement drôle. De son esprit incisif, elle décale la tension, l’horreur en un jeu ludique séduisant et presque enfantin. S’en donnant à cœur joie, les comédiens s’amusent à déconstruire l’histoire officielle pour mieux nous obliger à dépasser nos prérequis, nos regards tout faits.

Laboratoire Poison 3 d'Adeline Rosenstein. La friche de mai. Festival de Marseille © Annah Schaeffer

Trahison, collaboration ou résistance, ami ou ennemi, tout dépend du prisme par lequel on observe, de la manière dont le récit nous est conté. De sa manière bien à elle d’écrire au plateau, de montrer toutes les coutures de son spectacle, Adeline Rosenstein signe une œuvre dense, magnifiquement absurde, parfois complexe mais toujours magistralement décalée. Un petit bijou d’intelligence à savourer sans modération. Un théâtre intelligent qui nettoie le regard et fait un bien fou à nos neurones. Bravo !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Marseille

Laboratoire Poison 3 d’Adeline Rosenstein
Festival de Marseille 
Friche de la Belle de Mai
1300 Marseille
Durée 2h30 environ 
Création 2020

Conception, écriture et mise en scène Adeline Rosenstein assistée de Marie Devroux  
Avec Aminata Abdoulaye Hama, Marie Alié, Habib Ben Tanfous, Marie Devroux, Salim Djaferi, Rémi Faure El Bekkari, Titouan Quittot, Adeline Rosenstein, Talu, Audilia Batista en alternance avec Christiana Tabaro, Jérémie Zagba en alternance avec Michael Disanka
Regard extérieur de 
Composition sonore – Andrea Neumann & Brice Agnès 
Espace & Costumes _-Yvonne Harder 
Eclairage – Arié Van Egmond
Direction technique – Jean-François Philips 
Régisseur lumière – Benoît Seelers 
Documentation – Saphia Arezki 
Regards historiques – Jean-Michel Chaumont (Poison 1), Denis Leroux (Poison 2) 

Photographies © Annah Shaeffer

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