Rencontre avec Aurélien Rondeau, l’un des codirecteurs, du Théâtre Le Train Bleu d’Avignon. Ensemble nous avons évoqué la naissance du lieu, les projets, les raisons de ce succès, l’annulation de l’édition 2020, la programmation de 2021. Un entretien vivant, plein de fougue et de joie, où le théâtre, le vivre-ensemble et l’avenir sont au cœur des propos.
Comment est née l’idée d’ouvrir un lieu à Avignon ?
Aurélien Rondeau : Avec Charles Petit et Quentin Paulhiac, deux des co-directeurs, on a participé, en compagnie, à plusieurs spectacles au Festival Off d’Avignon. On s’est toujours dit que l’on aurait aimé être accueillis un peu différemment, que certaines choses pourraient être plus profitables aux compagnies si elles étaient prises en charge par le théâtre. Je pense en particulier aux relations avec la presse, mais aussi à un travail tout au long de l’année avec les professionnels. L’idée était, et cela l’est depuis l’ouverture du Train Bleu, de faire un lieu qui possède une ligne artistique très claire : création contemporaine, spectacles de l’année, auteurs vivants, avec une ouverture, la plus large possible, à la jeune création contemporaine, et de devenir un lieu de repérage pour les structures labellisées beaucoup plus importantes que nous. On voulait aussi s’inscrire pleinement dans le développement des projets que l’on programme et qui nous semblent avoir une ambition artistique intéressante. À ces projets-là, il ne leur manque que d’être vus par un maximum de professionnels. C’est à ça que l’on travaille tout au long de l’année. L’idée était de faire un théâtre dans lequel nous aurions rêvé d’être programmés. Cette utopie ne nous a jamais quittés.
Un travail à l’année, un accompagnement, cela signifie quoi, lorsque l’on est un théâtre ouvert qu’en juillet ?
Aurélien Rondeau : Un véritable accompagnement cela concerne, à la fois, la technique, la communication, les relations en direction des professionnels, et avec la presse. Nous travaillons à l’année avec notre attachée de presse, Murielle Richard, qui œuvre à faire connaître l’identité du Train Bleu. Ce travail ne peut se faire qu’à partir du mois de juin. Même chose avec les professionnels, afin que Train Bleu soit identifié. Pour que les professionnels et programmateurs y passent pendant le mois de juillet, il faut qu’ils aient eu vent du projet de la programmation en amont. Nous allons à leur rencontre, chez eux, pour faire du repérage artistique. Car chaque structure labellisée, dans son coin, fait du repérage, soutient des jeunes compagnies. Et cela nous intéresse. L’idée est d’être un lieu de rencontre, de repérage artistique. Ce qui est compliqué pour une compagnie, c’est de rayonner nationalement, de sortir de sa région d’implantation. Nous travaillons à programmer des spectacles venus de toutes les régions de France, pour que les professionnels qui accompagnent chacun des spectacles, se rencontrent et s’intéressent à ce qui se passe dans la salle d’à côté. C’est comme ça que l’on crée une dynamique de diffusion. Il y a une vraie dimension nationale, et même maintenant internationale au Train Bleu ! De plus, cette année, nous avons réussi à mettre en place des accueils en résidence, cofinancés par la DRAC, la Sacem. Donc le théâtre n’est pas portes closes toute l’année !
Ce fut un succès dès votre ouverture, ce qui est dû à quoi selon vous ?
Aurélien Rondeau : À un travail énorme ! À un travail d’équipe ! Nous sommes cinq à la codirection ! En trois semaines, au moment du festival, on organise 400 représentations. C’est plus que dans la plupart des scènes nationales. Cela demande un travail de coordination technique colossal. Il y a deux directeurs techniques, Quentin Paulhiac et Guillaume Niemetzky. Le travail de programmation et d’administration est tout aussi titanesque, on travaille en binôme, Charles Petit et moi. Ce qui demande là encore beaucoup d’énergie et de temps. Il y a aussi François Fleurent, qui travaille à la communication et aux relations avec le public, qui met en forme un programme, un site internet pour que cela soit le plus efficace possible pour les compagnies. Depuis le début, nous travaillons avec Murielle Richard pour la presse et nous sommes accompagnés par un bureau de production, La Magnanerie. Dans un premier temps, ils ont travaillé avec nous à l’identification par les pros du projet Train Bleu, on a fait un travail de communication institutionnelle. Dès le début, les gens se sont dit : tient qu’est-ce quise passe là ? C’est intéressant, Qu’est-ce que c’est ce nouveau lieu ? Et après, il a fallu que la programmation suive et réponde aux attentes que l’on avait créées…
Il y avait aussi une attente du public…
Aurélien Rondeau : Avignon est suffisamment vaste pour que tous les publics se sentent concernés. L’offre est immense. Avec d’autres lieux, comme la Manufacture, le Théâtre des Doms, nous nous situons dans un créneau un peu particulier qu’est celui de la création contemporaine, des projets de l’année qui ont été encore très peu vus. Ce qui a séduit le public, dès le début, c’est sans doute cet esprit dans la programmation, très porté sur la jeunesse. Comment celle-ci regarde le monde, avec des projets artistiques qui se tiennent. Nous avons accueilli beaucoup de jeunes collectifs. Et cet esprit-là a tout de suite été identifié et a intéressé le public. On a été très surpris du succès public, parce que l’on ne sait jamais ! Et ce fut une excellente surprise, même si on n’avait beaucoup travaillé pour.
2020, annulation du festival. Comment avez-vous vécu cela ?
Aurélien Rondeau : On avait deux ans d’existence et l’on apprend que l’on doit donc annuler notre activité. Grande tristesse, désarroi. Il a fallu maintenir la société à flot. A l’époque, l’activité du Train Bleu était saisonnière et on ne faisait pas la saison ! Il a fallu souscrire un prêt garanti par l’État. Il y a eu des aides, comme celle du Ministère via AF&C, l’association qui gère le Off. Et puis il y a eu des activités partielles, une aide aux entreprises. Et finalement, nous sommes encore là !
2021, une édition que vous avez préparée, j’imagine, avec de la joie !
On a travaillé, et c’est une des grandes fiertés de cette édition, en solidarité avec les équipes que l’on avait programmées en 2020. On a proposé à tout le monde de revenir. 99 % des compagnies sont revenues. C’est une grande joie d’aller jusqu’au bout de ce processus de programmation. Cela fait plus de 18 mois que l’on travaille avec elles. Cet arrêt forcé nous a aussi laissé le temps et l’opportunité de développer des choses dont on avait très envie. Des partenariats avec La Manufacture et le Théâtre des Doms, puisque l’on co-organise, les 8, 9, 10 et 11 juillet, un Focus international sous l’égide de l’Institut Français, qui invite une trentaine de professionnels étrangers à un parcours entre le In et le Off. Ils passeront une journée dans chaque lieu pour y découvrir trois propositions. On a également tissé, à l’année, un partenariat avec trois structures dans les Hauts-de-France et l’on organise conjointement, des journées de rencontres professionnelles. Ce dispositif, qui s’appelle la Croisée, aura lieu en automne. Cela nous a aussi laissé le temps de rencontrer des partenaires pour proposer désormais une programmation hors les murs. Là, je parle de notre partenariat avec la MAIF qui accueille dans son bâtiment avignonnais, trois propositions, pas du tout destinées à être jouées dans des boites noires. L’édition 2021 sera joyeuse, festive, d’autant plus que le Festival aura été très attendu. On s’est adapté au protocole sanitaire que l’on suit à la lettre pour le confort des spectateurs. Il y aura 55 minutes entre chaque spectacle, ce qui signifie moins de proposition par jour. Il y en aura 7. Financièrement, cela va être ric-rac. On va faire des efforts là où il le faut, pour que les équipes soient accueillies dans les meilleures conditions.
Est-ce que le public sera au rendez-vous ?
Cela reprend ! Il a déjà fallu que je me batte pour aller assister à certaines représentations désormais publiques. Cette appétence fait du bien. Elle donne du baume au cœur et laisse espérer une fréquentation importante du festival.
Au fait, pourquoi avez-vous donné à votre théâtre le nom du restaurant de la gare de Lyon ?
Le théâtre est situé rue Paul Saïn, qui est peu connu par le grand public mais qui est un grand peintre Avignonnais. C’est lui qui a été mandaté par la ville d’Avignon pour représenter la ville sur le plafond de la brasserie du Train Bleu. Et pour nous, qui sommes une équipe à la fois parisienne et avignonnaise, la fréquentation de la Gare de Lyon est assez assidue. Cela fait le lien entre Paris, Avignon, la rue Paul Saïn. Cela dit aussi l’attention que l’on porte à l’endroit dans lequel nous nous sommes implantés. Nous ne sommes pas des parisiens qui débarquent et qui font un énième théâtre parisien. Cela montre notre désir d’être un acteur culturel local présent à l’année, non par le biais d’une programmation, mais par le biais de processus de résidence, d’accompagnement.
Marie-Céline Nivière
Le Train Bleu
40 rue Paul Saïn
84000 Avignon
Crédit photos © Stephane Szestak, © Jean-Denis Izou et © DR