Jean-Quentin Châtelain reprend Premier Amour de Samuel Beckett, mis en scène par Jean-Michel Meyer, au théâtre des Halles. Un grand texte et un grand comédien, une rencontre qui procure un bonheur immense aux spectateurs.
A chacune de ses apparitions scéniques, Jean-Quentin Châtelain ne cesse de nous épater par la qualité rare et personnelle de ses interprétations. De sa Suisse natale, il a gardé un léger accent qui donne à son phrasé une force magnétique et poétique. Il sait manier les silences, leur donner du sens et de la profondeur. Il aime le bel ouvrage. On garde en mémoire combien il nous avait bouleversés dans Exécuteur 14 d’Adel Hakim et Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész. Nous n’avions pas vu Premier Amour lors de sa création en 1999, ni lors des reprises, voilà qui est fait.
Un rôle sur mesure
Le personnage de Premier Amour sied à merveille au comédien, à sa dégaine d’éternel vagabond, de celui qui aime avoir la tête dans les étoiles et les pieds loin de la terre. Incapable de s’inscrire dans la société, ce personnage fait défiler ses souvenirs, à la manière de La dernière bande. La mort de son père est associée dans sa mémoire à la rencontre de son premier amour. Le jeune homme, accroché à sa chambre telle une moule à son rocher, se voit chasser de la maison paternelle par le reste de ce qu’on devine être la famille. Un petit pécule en poche, dont il se fout, il part errer dans un monde où il n’a pas sa place. Sur un banc, à la belle étoile, protégé par les branches des arbres, il croise Lulu. Par pitié, par tendresse, cette fille de joie va lui donner un toit, une autre chambre où poser son incapacité à vivre et à aimer. Elle lui donnera un enfant et il reprendra son chemin.
Une langue magnifiée
Ce premier texte écrit en français par Beckett est une ode à notre langue dont il s’amuse à chaque bout de phrase. Il parle de tout, de la mort, de la putréfaction, de la solitude, de l’égoïsme, de la nature, du temps qu’il fait et que l’on subit, des sentiments amoureux, des relations entre les êtres, de l’abandon, de bouses de vache… Il y a beaucoup d’humour dans ce long soliloque. Et ce personnage qui devrait nous rebuter par sa manière d’être, finit par nous émouvoir, car il possède la fragilité des hommes-enfants.
Sans musique pour mieux entendre le texte
Jean-Michel Meyer a très bien intégré dans sa mise en scène, l’interdiction de Beckett et de Jérôme Lindon : pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation ! il a réussi à obtenir que le texte ne soit pas lu mais dit ! Une nuance qui a son importance. Sur scène une antique chaise de bureau ! La musique sera le bruit qu’elle fait lorsque l’acteur la tourne. Un grincement qui en dit long ! Le travail de lumière fait son œuvre pour inscrire une ambiance. Quant à la gesticulation, Jean-Quentin Châtelain n’en a pas besoin. Cet acteur qui a beaucoup travaillé avec Claude Régy est plutôt à son aise dans le minimalisme pour faire de cette contrainte un atout. Son corps en dit long ! Dans cet écrin qu’est la Chapelle du théâtre des Halles, le texte résonne alors admirablement.
Marie-Céline Nivière
Premier amour de Samuel Beckett
Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 Paris.
Du 19 octobre au 4 décembre 2022.
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30.
Durée 1h25
Festival Avignon le OFF
Théâtre des Halles
Rue du Roi René 84000 Avignon
Du 7 au 30 juillet 2021 à 11h, relâche les mardis 13, 20 et 27 juillet 2021
Mise en scène de Jean-Michel Meyer
Interprétation de Jean-Quentin Châtelain
Création lumière de Thierry Capér
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage