Seule sur scène ou presque, Angélica Liddell lâche la bride et réveille, de sa verve corrosive, lucide, les festivaliers quelque peu endormis en ce bien calme début juillet. Présence animale, charnelle, débarrassée des figures tutélaires de ses parents, la madrilène brûle les planches et dénonce l’engourdissement d’une société française sous perfusion depuis trop longtemps.
Le soleil est à son zénith quand il est l’heure de partir pour l’Opéra confluence, bâtiment en bois entièrement démontable, situé juste en face de la gare TGV. Sur le parvis, les derniers spectateurs profitent du beau temps et attendent d’entendre retentir les trompettes de Jarre pour s’enfermer dans la salle. Les discussions vont bon train. Les bruits du in et du off s’échangent. Les visages sont un peu tirés, fatigués. La réouverture des théâtres en mai, tel un tsunami, a tout emporté sur son passage, énergie, vivacité et émulation.
La Reina Angélica
Connaissant son goût immodéré de la provocation, du trash, beaucoup sont venus voir les dernières inventions de l’artiste madrilène, espérant le regain nécessaire et sur-vitaminé qui manque en ce début de festival. Personne ne sera déçu, en artiste totale, complètement déchaînée depuis qu’elle s’est enfin libérée des présences parentales de son Padre et de sa Madre, Angélica Liddell n’a plus de limites. Elle se donne sur scène sans retenue, invoquant ses démons, ses amours, ses colères, sa passion pour les belles écritures, les penseurs d’hier, Cioran, Rimbaud.
Un cri déchirant d’amour
Se glissant dans la peau d’un matador, dans son esprit, son goût du sang, l’artiste madrilène, portée par la musique omniprésente de Wagner, pleure Heysel, l’homme de sa vie, son amour perdu. Telle Iseult, elle rêve d’être emportée par la mort, transcendée par cette passion qui la dévore de l’intérieur. Mystique, habitée d’une foi renouvelée en son théâtre radical, Angélica Liddell, enfermée dans l’arène jaune, torée avec une lucidité subversive, les mots, les images, les idées. Empruntant à Bacon son penchant pour la chair, les corps mutilés, à Van Gogh, sa palette de couleurs, elle signe un spectacle flamboyant sans concession.
Un manifeste pour un art libre
Digressant un peu plus à chaque tableau, à chaque impression fugace où se conjugue étrangement le mignon, le moche, le glauque, le monstrueux, Angélica Liddell, pleine de fougue, de verve furieuse, dénonce la perte du libre arbitre, l’endormissement de la société française sur ses acquis, son incapacité à réfléchir autrement qu’en termes d’allocation, d’aide, d’assistanat. Elle tire à vue, attaquant autant ses détracteurs que ses admirateurs. Absolument politiquement incorrect, refusant toute bienséance, toute contrainte ou limite à son art, elle dézingue et emporte l’adhésion d’un théâtre en transe.
Hors les murs d’Avignon, Angélica Liddell sauve le Festival de sa bien-pensance, le réveille de sa torpeur. Chapeau, l’artiste !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Liebestod el olor a sangre no se me quita de los ojos Juan Belmonte – ‘Lodeur du sang ne me quitte pas des yeux histoire(s) du théâtre III d’Angélica Liddell
Festival d’Avignon
Opéra Confluence
1 place de L’Europe
84000 Avignon
Jusqu’au 14 juillet à 17h
Durée 1h40
Texte, mise en scène, scénographie, costumes Angélica Liddell
Avec Angélica Liddell, Borja López, Gumersindo Puche, Palestina de los Reyes, Patrice Le Rouzic et la participation de figurants
Lumière Mark Van Denesse
Son Antonio Navarro
Costumes Justo Algaba
Assistanat à la mise en scène Borja López
Régie plateau Nicolas Guy, Michel Chevallier
Régie lumière Sander Michiels
Machinerie Eddy De Schepper
Réalisation décor et costumes Ateliers NTGent
Dramaturgie projet Histoire(s) du théâtre Carmen Hornbostel (NTGent)
Gestion de production Greet Prové, Chris Vanneste, Els Jacxsens (NTGent)
Communication et presse Saité Ye et Génica Montalbano
Directeur de production Atra Bilis, Gumersindo Puche
Traduction en français pour le surtitrage Christilla Vasserot
Traduction en anglais pour le surtitrage Snapdragon
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage