Au cœur de la pinède du Domaine d’O, le Printemps des comédiens bat son plein. Le public est au rendez-vous, les spectacles s’enchaînent. De La sexualité des orchidées de Sofia Teillet au Phèdre ! de Gremaud, à The Hamartia trilogydu coréen de Jaha Koo au hangar théâtre ou au Hamlet de moins de Nathalie Garaud et d’Olivier Saccomano, qui se donne au Treize vents, les formes se déclinent, les classiques se décapent, d’autres cultures, d’autres mondes se dévoilent.
L’été s’est invité à Montpellier avec quelques jours d’avance. Les cigales ne se font pas encore entendre, bien que la chaleur soit étouffante dans les rues de la vieille ville. Sous les pins du domaine d’O, l’ombre est un refuge fort accueillant. Entre les cafés, les discussions vont bon train, chacun, chacune donnant ses conseils, ses coups de cœur, son plaisir de retourner au théâtre, de découvrir de nouvelles œuvres, des créations, de se laisser porter par un artiste, un message, une ambiance, une histoire.
Plongée dans la Corée de Jaha Koo
Au Hangar théâtre, sur un plateau quasi nu, où seule une table de mixage sert de décor, Jaha Koo propose de découvrir à travers trois histoires, celle de la langue, celle de la haute technologie, et enfin celle du théâtre, le revers de la médaille d’une société en pleine expansion commerciale, totalement soumise au capitalisme, à la mondialisation. Un brin dépressif, voix monotone, l’artiste sud-coréen, installé en Europe, s’interroge sur l’occidentalisation de sa terre natale, sur les conséquences, les traumatismes de son passé colonial. Assez inégale, la performance a le mérite de dépasser l’image idyllique d’un pays entre tradition et modernisme.
L’acteur est-il essentiel au théâtre ?
Après avoir décoiffé la tragédie de Phèdre, l’avoir transformé en stand-up, le suisse François Gremaud continue à expérimenter de nouvelles formes, à questionner l’art dramatique, à faire de bien singuliers postulats. Cette fois, avec la complicité du comédien Victor Lenoble, il imagine un spectacle réduit au plus simple appareil, un plateau sans acteur. L’idée amuse, les rires fusent, mais la machine tourne court. Du théâtre sans acteur, c’est comme un film sans pellicule, de la musique sans instrument, ça manque de sels, de corps, de chair.
Hamlet décapé au Treize vents
Au domaine de Grammont, Le duo Garraud – Saccomano s’empare du chef d’œuvre de Shakespeare, pour le désosser, le déconstruire, lui donner un éclairage nouveau, une couleur nouvelle. En s’intéressant surtout aux quatre personnages les plus jeunes de la pièce et en faisant un focus sur Ophélie (extraordinaire Conchita Paz), les deux directeurs du CDN de Montpellier révèlent un autre Hamlet, tout autant tragique, mais un brin plus farceur. Désœuvrée, la jeunesse dorée du Danemark s’ennuie, elle joue à être prince, seigneur, rappeur, elle s’amuse d’un rien, s’adonne à des jeux d’enfants. Elle aimerait prendre le pouvoir, remplacer les adultes, mais se cogne désespérément à un mur, celui de sa propre passivité, à son incapacité à agir. Porté par l’énergie de quatre excellents comédiens, Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz et Charly Totterwitz, ce Hamlet de moins, conçu pour être itinérant, cherche encore sa voie, mais il est mâtiné de belles promesses.
Le monde végétal exploré par Sofia Teillet
Pour clôturer en beauté, ce week-end théâtral, retour au Domaine d’0, direction l’espace des Micocouliers, la pétulante Sofia Teillet attend sagement assise devant son ordinateur que tout le monde s’installe sur les gradins. La comédienne et autrice a des choses à dire, des confidences à faire. Partant d’un constat simple, tout le monde n’aime pas forcément les Orchidées, elle dérive sur la vie, la sienne, la nôtre, s’amuse de digressions philosophico-scientifiques et entraine le public dans une folle farandole de mots, d’histoires à faire tourner la tête, à rire à gorges déployées. Malgré un petit coup de chaud, juste avant le spectacle, elle se démène sur scène comme une belle diablesse, invective le public, capte, comme personne, son attention en lui parlant de la sexualité des plantes. C’est savoureusement drôle et caustique. Une heure durant, on s’amuse beaucoup, énormément, passionnément. Le spectacle sera cet été au Train bleu, dans le cadre du Festival OFF d’Avignon .
Fin d’un grand week-end théâtral
La nuit a recouvert la pinède. Le ciel s’est obscurci. Il fait toujours aussi chaud, mais le voyage au cœur de l’art dramatique que propose le printemps des comédiens, et ce malgré le contexte pandémique particulièrement complexe, certains spectacles comme celui de Lupa, de Gosselin ou de Krzysztof Warlikowski ont dû être annulés au dernier moment, a été rafraichissant, questionnant et troublant. En attendant le deuxième week-end où s’annonce quelques pépites, comme la toute nouvelle création d’Isabelle Lafon ou celle de Julien Bouffier, ou l’excellent Ennemi du peuple de Sivadier, place à la réflexion, à la détente, à la sensation d’avoir une chance incroyable de revoir du théâtre, du vivant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial de Montpellier
Printemps des comédiens
Domaine d’O
The Harmatia Trilogy de Jaha Koo
Hangar Théâtre
Pièce sans acteur(s) – Création collective de François Gremaud et Victor Lenoble
Hangar théâtre
Hamlet de moins – Conception de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano
d’après Hamlet de Shakespeare
Avec Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz, Charly Totterwitz
Troupe Associée au Théâtre des 13 vents
De la sexualité des orchidées
Conception et écriture de Sofia Teillet
Espace Micocouliers
Crédit photos © Radovan Dranga, © Jean-Louis Fernandez, © Anna Basile