À l’Opéra-Comédie, dans le cadre du festival de Montpellier Danse, Thomas Lebrun célèbre l’art de la danse de mille et une façons. Après avoir été empêché de montrer son travail des mois durant, le directeur du CCN de Tours imagine une fête réunissant au plateau sa famille chorégraphique, tous ceux qui ont participé depuis 20 ans aux projets de la compagnie. Une joyeux et heureuse partition en perspective.
Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?
Thomas Lebrun : Quand j’étais petit, je dansais tout le temps. Mon père m’a donc inscrit à des cours dans un centre social de la ville où on habitait dans le Nord de la France. J’ai ainsi suivi tout un cursus de formation pour devenir interprète. Je me suis intéressé au fil du temps à l’histoire de cette pratique, de cette discipline artistique. J’ai intégré à 18 ans le Conservatoire de Lille, avant d’entrer, trois ans plus tard, chez Bernard Glandier, ancien danseur de chez Bagouet, qui avait à l’époque une compagnie à Alès. À partir de cette période, j’ai dansé pour un certain nombre de chorégraphes. En parallèle, j’ai commencé à écrire mes propres pièces. Il y a une vingtaine d’années maintenant.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire vos propres spectacles ?
Thomas Lebrun : Je crois que cela a toujours été un peu mêlé, croisé. En parallèle du conservatoire, où je suis rentré relativement, tard, j’ai suivi des cours pour passer mon diplôme d’État de professeur de danse. C’était aussi une formation en trois ans. Du coup, j’ai très rapidement enseigné et j’ai commencé à chorégraphier de petites pièces. Puis avec des amis du Nord, juste avant de rentrer chez Bernard, on s’est mis à imaginer de petites partitions, des petites choses. L’interprétation et la chorégraphie ont évolué de concert. Elles ont, je crois, toujours été liées en moi.
Qu’est-ce qui vous inspire quand vous commencer à écrire une pièce ?
Thomas Lebrun : Je dirais une émotion, une sensation. Ce n’est pas quelque chose de tranché. C’est un regard sur la société, ce qu’elle m’apporte, ce qu’elle véhicule en bon ou mauvais. Je crois que je suis aussi très sensible aux gens qui m’entourent que je les connaisse ou pas d’ailleurs. Ce qu’ils dégagent, ce qu’ils me renvoient. C’est assez simple, finalement. A l’origine, j’avais aussi le besoin d’exprimer ce qui me faisait mal, ce qui me rendait triste, en tout cas pas forcément heureux. L’écriture était comme un exutoire de mes blessures, de mes doutes. Il y avait une dimension tragique. Ça s’est calmé à ce niveau-là (rires). Aujourd’hui, ma vision sur le monde est plus lointaine, moins dramatique.
Vous créez à Montpellier Danse, Mille et une danses (Pour 2021). Quel en est le sujet ?
Thomas Lebrun : C’est une pièce que j’ai en tête depuis plus de trois. Cette année, on fête les vingt ans de la compagnie. J’avais envie d’imaginer un spectacle où je réunirais au plateau un grand nombre de danseurs avec lesquels je travaille et j’ai travaillé. Je crois que je voulais un moment de célébration, où j’exprimerais tout ce qu’ils m’inspirent depuis tout ce temps et où je rendrais compte de leur créativité. Il était important pour moi de partager sur la scène un moment assez fort ensemble, d’aller chercher un peu plus loin leurs propres gestuelles, leurs propres désirs. Pour l’occasion, je n’ai pas écrit des phrasés. Tout est né d’un échange continue entre eux et moi. On a travaillé en atelier, en croisement, en composition commune.
Par rapport à votre manière de travailler en général, est ce que cela a modifié votre écriture ?
Thomas Lebrun : Il est vrai qu’en général, j’écris beaucoup avant de passer au plateau. Je sais souvent où je veux aller. Mais pour cette pièce en particulier, j’ai plutôt suivi plusieurs pistes, plusieurs lignes. On a exploré ensemble tous les chemins possibles. Les répétitions ont duré plus de quatre mois et demi. Ce qui est assez énorme. On a vraiment avancé conjointement. Le travail c’est nourri d’échanges, de partages. Il s’est enrichi des personnalités de chacun.
Est-ce que la période de pandémie a modifié le contenu de la pièce ?
Thomas Lebrun : je dirais que cela a resserré les liens, cela a permis d’être à l’écoute les uns des autres. Par exemple, au départ, on a évité tous les gestes de contact, de toucher. Puis, ils sont revenus petit à petit. Chose étrange aussi, on a répété masquer (rires) tout le long. Au dernier filage, on a enfin pu s’en libérer. C’est étonnant comment cela donne une tout autre dimension au spectacle, aux intentions. Cela a permis de libérer d’autres expressions, d’autres manières de se regarder. C’est très troublant.
Le spectacle s’intitule Mille et une danses (pour 2021). À quoi fait il référence ?
Thomas Lebrun : J’y vois une célébration de la danse, de toucher à plein de styles différents, à plein d’écritures différentes. Je dirais que dans la pièce, telle qu’elle est aujourd’hui, on peut distinguer six parties dans lesquelles j’évoque bien évidemment l’histoire de la danse, mais aussi des courants plus traditionnels ou carrément plus contemporains. C’est un spectacle basé sur la diversité. J’y aborde autant le genre, que la différence des corps, d’âges, que le contraste entre une gestuelle très abstraite à une théâtralité plus poussée. Je revisite un peu tout ce qui me constitue et construit mon écriture. J’aime, en fait, l’idée de voyage à travers différentes vagues dramaturgiques.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Mille et une danses (pour 2021) de Thomas Lebrun
CCN de Tours
Montpellier Danse
Opéra-Comédie
Place de la Comédie
34000 Montpellier
Du 28 au 29 juin 2021
Crédit portrait et photos © Frédéric Iovino