Enfant brimé, chétif chez Sonntag ou ado migrant dans la bouleversante adaptation de Cendre Chassanne de Dans la mer il y a des crocodiles de Fabio Geda, Rémi fortin a l’art de se fondre dans ses personnages, de leur donner une intensité vibrante, une dimension réaliste autant qu’épique. Curieux et passionné, le comédien présente au nouveau théâtre de Montreuil, les 2 et 3 juillet, Le Beau Monde, un spectacle collectif qui lui tient particulièrement à cœur. Et pour cause, il en est l’inspirateur.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je ne sais pas si c’est le premier, mais quand j’étais collégien, je me suis retrouvé devant une pièce de Joël Pommerat : Cet enfant, au théâtre de Brétigny, sans savoir du tout ce que j’allais voir. Ça m’avait beaucoup marqué.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai découvert le théâtre à l’école primaire, avec un comédien qui aujourd’hui encore est un ami. J’ai pris tellement de plaisir les premières fois que je n’ai jamais voulu arrêter depuis. Le reste s’est enchaîné un peu naturellement.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Enfant, j’étais un garçon assez solitaire, parfois même un peu violent. Je crois que, sans trop exagérer, ça m’a permis de trouver un espace où je pouvais avoir parfois un autre rapport aux autres, et à moi-même.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’est drôle, parce que je me rends compte que ça fait vraiment écho avec le spectacle que je prépare actuellement (Le Beau Monde, au Nouveau Théâtre de Montreuil). Il s’agissait d’un spectacle amateur sur le « temps », qui réunissait beaucoup d’élèves de primaire dans une grande cour d’école. Je me souviens surtout du miracle de la représentation, qui opère aussi bien, je trouve avec des gens qui découvrent le théâtre qu’avec des comédiens de métier : le moment où, en présence du public, et sans que personne ne l’ait vraiment décidé, sous l’effet du trac et d’une sorte d’énergie un peu mystérieuse, tout se transfigure complètement.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Le Raoul Collectif : comme beaucoup de comédiens de ma génération, je crois, j’ai grandi avec des grands fantasmes de « création collective ». Ils y réussissent plutôt pas mal, je trouve, avec beaucoup d’humour et, le plus souvent, une vraie intelligence politique.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
L’expérience de la tournée d’Ubu, d’Olivier Martin-Salvan, est très importante pour moi. J’ai eu la grande responsabilité de remplacer un acteur que j’admire beaucoup : Thomas Blanchard, c’était presque le premier spectacle que je jouais à la sortie de l’école… J’y ai beaucoup appris, notamment un métier dont on parle peu dans les écoles : celui qui consiste à jouer longtemps un spectacle, et continuer à le retravailler, notamment les ressorts comiques. J’ai rencontré des acteurs d’une grande exigence, mais aussi d’une grande bienveillance.
Et puis, évidemment, Mathieu Bauer et toute l’équipe du Nouveau Théâtre de Montreuil. C’est une grande chance, dans ce métier de nomadisme et parfois de solitude, d’avoir un lieu dans lequel on revient quelques fois.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je ne crois pas qu’il soit essentiel. J’y prends juste (la plupart du temps) du plaisir, et je continue d’apprendre.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je lis beaucoup, et depuis peu, je regarde pas mal de cinéma documentaire… Et puis la montagne, bien sûr.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Ce que j’aime, c’est quand je travaille et quand je joue vraiment souvent. C’est sûrement banal à dire, mais je trouve que c’est comme ça que l’on progresse comme interprète : ça désacralise le fait de jouer, de monter sur le plateau, et ça offre d’avantage de liberté.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Euh… Dans l’estomac, à l’endroit qui vibre un peu quand on dit quelque chose d’important ou qui nous émeut.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Vraiment, j’aime bien les gens avec qui je travaille déjà… Je suis très content par exemple de travailler avec Simon Gauchet, dont j’ai vu plusieurs spectacles que j’avais beaucoup aimés. Sinon, je ne la connais pas personnellement, mais j’aime beaucoup par exemple ce que fait Nathalie Béasse.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’aimerais bien refaire un jour un spectacle dans une friche industrielle, comme on l’avait fait au TNS avec Mathilde Delahaye… Ça m’avait beaucoup plu.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un roman-photo : La Jetée, de Chris Marker.
Olivier Frégaville-Gratian D’Amore
Le Beau Monde
Une création collective de l’École Parallèle Imaginaire
d’après une idée originale de Rémi Fortin
Nouveau Théâtre de Montreuil
alle Jean-Pierre Vernant
10 place Jean-Jaurès, 93100 Montreuil
avec Blanche Ripoche, Rémi Fortin, Arthur Amard
scénographie et regard extérieur Simon Gauchet
musique Arthur Amard
conception gradin Guénolé Jezequel
céramiste Elize Ducange
regard costumes Léa Gadbois-Lamer
Crédit photos © Mohand Azzoug, Victor Tonelli, Simon Gauchet, Théo Tisseuil.