Rachelle Agbossou © KolawoleAtcho Photography

Rachelle Agbossou, cœur et corps de femme

À l'occasion du festival BAM BAM BAM qui se tient actuellement au TU de Nantes, Rachelle Agbossou présente sa dernière création Sika.

À l’occasion du festival BAM BAM BAM qui se tient actuellement au TU de Nantes, Rachelle Agbossou présente sa dernière création Sika. Danseuse au Ballet National du Bénin de 2000 à 2004, la chorégraphe, très engagée et féministe, s’intéresse dans ce solo à l’état d’âme, la fragilité, l’animalité d’une femme victime d’enfermement au sein d’une société d’injustice et d’indifférence. Un spectacle à découvrir, une artiste à suivre.

Rachelle Agbossou © KolawoleAtcho Photography

 Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Je répondrai à cette question sous 4 angles :
Si l’art vivant ici est une chose à laquelle j’ai participer, ma réponse est à 3 niveaux :
• mon 1er souvenir d’art vivant remonte aux années 1986 où mon frère et moi avions mis la raclée aux adultes dans un concours de danse et que le jury a décidé que nous étions 2e. Les spectateurs avaient protesté et moi, je ne savais pas trop ce qui se passait.
• À ma 1re représentation au Ballet National du Bénin. Je me suis trompée sur scène et j’avais pleuré comme un bébé, tellement je m’en voulais, pourtant le public n’y avait rien vu. 
• Lorsque j’ai décidé de choisir définitivement de faire de la danse ma profession et que j’avais pleinement conscience de cet art qu’est la Danse, j’ai été émerveillée par tout ce qu’il y avait autour de la chorégraphie et qui rehaussait le niveau du spectacle au-delà des corps et des mouvements.
Nous avions fait la première du Sacre du Printemps de Heddy Maalrm au Théâtre National de Toulouse en 2004 ou 2005, et les ovations du public à la fin, le son et les lumières pendant le spectacle, l’énergie que cette atmosphère me renvoyait, je ne l’oublierai jamais.
• Pour répondre en tant que témoin, je dirai que la procession des femmes, reines et princesses de la cours royales d’Abomey au Bénin, dans leurs pagnes noués à la poitrine avec des parures de perles au cou et au poignets, chantant à l’unisson, faisant des onomatopées et dansant avec beaucoup de grâce et de dextérité ; c’est une image que je n’oublierai jamais.

 Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Un feedback, un reproche après la représentation d’un spectacle à Abidjan en 2003 au MASA. Une grande dame de la culture nous disait qu’elle a reconnu plusieurs chorégraphes à travers la pièce que nous avions présentée. En termes simples, il y avait trop de copier-coller. Cette remarque avait émoussé mes ardeurs sur le coup, mais je me suis reprise et j’ai pris la résolution de relever le défi de devenir danseuse professionnelle formée et capable de créer sa propre gestuelle. Après, il faut dire que mon père m’avait inoculé le virus de la danse, de la musique, du théâtre sans que j’en prenne conscience comme un chemin qui se traçait pour moi. Chez nous, c’était les études ou rien.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseur et chorégraphe ? 
La passion d’abord, ensuite le désir de se démarquer de l’existant par une démarche personnelle qui à force s’est imposée à moi. Il y a la liberté dans l’expression du corps et la liberté d’expression tout court.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
J’ai r déjà répondu un peu plus haut.

Quelle est la situation artistique dans votre pays ? 
Il y a beaucoup de talents, beaucoup de génies, mais il manque de la formation professionnelle, de la structuration du secteur artistique et il manque l’accompagnement de l’état ainsi que des débouchés pour la diffusion des créations artistiques au plan national. Cependant, nous enregistrons chaque année de belles œuvres artistiques, toutes catégories confondues.

Rachelle Agbossou © DR

Quels sont les grands courants chorégraphiques dans votre pays ? 
• La danse des couvents Vaudou
•La danse traditionnelle. Il existe plus d’une centaine de groupes de ballets au Benin.
• Le style afro ou danse tendance et la danse urbaine(hip-hop) sont l’apanage des jeunes dans les zones urbaines et citadines, dans les grandes villes comme Cotonou, Porto-Novo, Parakou…etc.
• La danse contemporaine : elle est pratiquée par quelques danseurs et chorégraphes. Nous ne sommes pas nombreux : il y a moi avec la Compagnie Walô et le Centre Chorégraphique Walô Dance Centre d’Abomey Calavi; Marcel Gbeffa et la compagnie et le Centre Multicorps dont j’assure la direction artistique en son absence ; Richard Adossou et Céline Coyac Atindehou qui sommes des chorégraphes connues et les artistes émergents comme Lucrèce Sidoine Atchade, Carmelita Siwa, Sahadath Ami Touré, Serge Amoussouguinnou, de jeunes danseurs et danseuses qui ont du talent et de la vision pour la danse.

Vivant entre deux mode de vie et artistique différents, que retenez-vous de chacune des cultures dont vous vous nourrissez ? 
La culture Vaudou m’a offert la plateforme de danses traditionnelles toutes aussi belles les unes que les autres autant dans la gestuelle que dans les mythes et les préceptes qui les entourent. Ma première formation en danse a été celle traditionnelle, 4 ans au Ballet National du Bénin. J’ai fait des études à la Facultés des Lettres à l’Université du Bénin, notamment l’anglais et la linguistique et mon esprit était déjà ouvert au monde sans même que je voyage. 
Ma rencontre avec la danse de création s’est faite dans un contexte où je découvrais cette extrême liberté d’expression dans le corps et vis-à-vis de la musique. Au début, je reproduisais juste ce que me montraient mes collègues, puis j’ai rencontré Irène Tassembedo dont le profil m’a fortement influencé, puis Heddy Maalem et son principe d’utilisation du centre du corps dans le mouvement pendant les quatre années de tournée du Sacre du Printemps. Mes vraies formations en tant que danseuses et chorégraphe ont commencé avec la création de ma compagnie (Walô) grâce à la fondation Le Grand Cru des Pays-Bas. Les chorégraphes qui sont intervenus dans le cadre de différents ateliers en didactique, en éducation par la danse, en composition ont su inspirer ma démarche chorégraphique désormais assez claire pour moi.
Mon travail s’inspire de mes racines culturelles intrinsèques, l’oralité, ajoutées aux principes de la danse contemporaine et toujours autour de thèmes ou faits sociaux flagrants ou tabous.
Je fais de la danse un outil de développement personnel.

Votre plus grand coup de cœur scénique – une pièce, une équipe, une personne, plusieurs personnes ?
Le duo Les Anges du ballet Prejlocaj d’Aix en Provence que j’ai vu au FIDO 2015 à Ouaga. 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Mon père, un monsieur, qui m’a appris mes premiers pas de danse, Irène Tassembedo une cheffe de fil que j’admire, Germaine Acogny et Helmut à l’école des Sables au Sénégal, Le Sacre du Printemps, cette musique d’Igor Stravinsky, Alvyn Haley au Spoleto Dance Festival aux Etats-Unis;
Feri de Geus et Noortje Bijvoets (Le Grand Cru des Pays-Bas), ma meilleure rencontre, vu que ce sont les partenaires de Walô depuis 2006 jusqu’à ce jour, puis Qudus Onikeku, jeune danseur et chorégraphe Nigérian, Andreya Ouamba, Salia SanouTidiani N’diaye… Je ne peux pas tout citer. Les belles rencontres, j’en ai eu beaucoup. Toutes les jeunes danseuses sur ce festival BAM, Kaysha Essiane, Agathe Djokam…etc.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
C’est comme le bain de tous les matins, les soirs, et quand il fait chaud, ou comme l’oxygène indispensable à ma vie.
La danse est d’abord ma passion, ensuite, c’est mon travail donc elle me sort de l’oisiveté et je me sens exister ; et après, je peux grâce à elle subvenir à mes besoins essentiels.
Grâce à la danse je suis en contact avec les enfants, les jeunes, j’ai des choses à partager, de la joie à donner et à recevoir. C’est tout ce dont j’ai besoin pour vivre. 

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
La vie, la souffrance, les douleurs, les injustices, mais aussi la beauté, la tradition, la société et ses lois et ses préjugés, l’enfance, la femme, la culture.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
C’est le 1er endroit où je veux être dès mon réveil. Mais évidemment, je dois compter avec la présence de mes enfants.
J’aime être sur scène, j’y suis souvent. Ma scène n’est pas que dans les théâtres, c’est aussi dans la rue, dans les écoles…etc.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
J’ai la danse à fleur de peau, mon coeur ne bat que danse à côté de l’amour évidemment, et mes poumons respirent danse. La danse, c’est ma vie et je fais danser les gens autour de moi afin que la danse reste proche de tout ce et ceux que j’aime et qui m’aiment.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Serge Aimé Coulibaly, Tidiani N’diaye, Robyn Orlin, Vincent Mantsoe, Dada Masilo

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Une comédie musicale où les styles artistiques, chorégraphiques se croisent, s’affrontent, voyagent. Une pièce jouable sur une scène très grande avec des artistes chanteurs, musiciens, danseurs, comédiens talentueux Africains et de différents continents. Ce sera jouable sur scène ou enregistré comme un film dans lequel chaque pays, chaque culture se reconnaîtrait, et se réjouirait avec fierté, quel que soit le(s) sujet(s) choisi(s). Ça pourrait s’intituler Mother Earth ou La terre qui nous porte.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Je n’ai pas lu beaucoup et je n’identifierais ma vie à aucune œuvre autre que la vie que j’ai vécu et que je vis encore. J’aime les aventures, j’aime voyager, j’aime être avec les autres les écouter, découvrir. j’aime voyager, pour ce faire, je citerais bien La conférence des oiseaux, mais l’œuvre de ma vie s’intitulerait Agbossou Assiba Dinitri Rachelle.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Sika de Rachelle Agbossou
Du 6 au 11 juin 2021
Festival BAM BAM BAM
TU de Nantes

Crédit Photos © KolawoleAtcho Photography et © DR

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