Pour le lancement de sa 41e édition, Montpellier Danse fait le choix de l’éclectisme, du surprenant, du saisissant. Faisant le grand écart entre l’œuvre choc d’Arkadi Zaides et le ballet aérien de Rachid Ouramdane, la première soirée chorégraphique de cette manifestation internationale questionne le monde, explore l’art vivant dans ce qu’il a de plus pléthorique, de plus foisonnant.
Une légère brise souffle sur la cité montpelliéraine. Au cœur de l’Agora, le public est venu nombreux assister au lancement de la 41e édition de Montpellier danse. Le temps est aux retrouvailles, aux échanges et au partage. Bien que toujours masqués, protocole sanitaire oblige, les spectateurs sont curieux de découvrir la programmation qu’a concoctée pour eux Jean-Paul Montanari. S’amusant comment à son habitude, à tricoter une saison entre chorégraphes confirmés et artistes émergents, il aime éveiller les curiosités, aller vers des œuvres exigeantes, engagées, quitte à dérouter, à déranger, à secouer les consciences, à réfléchir autrement.
Danse macabre
Studio Bagouet, l’artiste originaire de Biélorussie, Arkadi Zaides, va au-delà du geste créatif, pour s’emparer de la noire et funeste réalité des migrants. En s’intéressant aux sorts funestes de ceux qui fuient leur pays pour une autre vie, le danseur et chorégraphe ouvre les portes de Nécropolis, la cité des morts. S’appuyant sur le travail minutieux et collaboratif de la plateforme européenne UNITED for Intercultural Action qui recense, depuis 1993, grâce à l’aide de bénévoles, les migrant(e)s qui ont péri – plus 40 5000 disparues, dont la plupart sont non identifiées – lors de leur périple pour atteindre la terre promise, qu’est à leur yeux, l’Europe, il invite à réflexion sur l’état du monde, sur la barbarie engendrée par l’incapacité, le refus d’accueillir l’étranger.
Art visuel, art trash
Afin de déplacer notre regard, nous obliger à enlever nos œillères, à enfin regarder la vérité en face, Arkadi Zaides utilise la vidéo à l’excès, répète son geste, fait danser les images topographiques, liste les différentes manières de mourir quand on est clandestin, expose et explore un corps inconnu en pleine décomposition – une maquette d’un réalisme rare, puissant. Le message passe. Très vite, l’indicible est devant nous, jusqu’à la nausée. Impossible de dire on ne savait pas. Malgré la démarche sincère, lucide, plus que certainement nécessaire, est-ce pour autant chorégraphique, artistique ? À chacun de se faire son opinion.
Haute voltige
Après un temps indispensable pour se remettre de nos émotions, à l’Agora, Rachid Ouramdane, tout nouveau directeur de Chaillot, officiellement Théâtre national de la Danse, depuis novembre dernier, invite à plonger dans la tête, dans le corps d’artiste de l’extrême, de voltigeurs qui défient la pesanteur. Fidèle à sa philosophie, à son art du geste, qui veut que tout soit danse, le moindre battement de bras, la plus petite activité physique, le chorégraphe conjugue les arts circassiens autour des pensées d’un funambule plus à l’aise sur un filin que sur le sol, d’une grimpeuse aimant l’abrupt des falaises, etc.
Danse en trompe l’œil
Créée pendant le confinement, Corps extrêmes manque encore de recul, de patine, de liant. Bouffée par la vidéo omniprésente, presque superflue, la pièce ne laisse pas encore suffisamment la place aux gestes, à la poésie. Et c’est bien dommage tant certains moments, certains portés, certaines danses de groupe, touchent à la grâce. Une main tendue, un regard échangé, un rêve fugace au fond des yeux, suffissent à entrapercevoir toutes les promesses à venir d’un spectacle encore en rodage. Cherchant en permanence à prendre de la hauteur, à tutoyer le ciel, les dix artistes circassiens se donnent à sang et eaux, se libèrent de tout carcan, de toute gravité. Unissant leur force, leur peau, leurs muscles, ils se mettent tous au service des autres en une communion d’âmes, de mouvements au goût de trop peu.
Loin d’être en demi-teinte, cette première soirée secoue, ébranle, questionne et interroge. N’est-ce pas le but de l’art de dépasser le réel, de le transcender, de l’exposer dans son horreur autant que dans sa beauté ?
Olivier Frégaville-Gratian D’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Nécropolis d’Arkadi Zaides
Agora-Cité internationale de la danse
Studio Bagouet
Du 23 au 25 juin 2021 à 18h
Durée 1h00 environ
Dramaturgie, texte et voix d’Igor Dobricic
avec Arkadi Zaides, Emma Gioia
Assistante en recherche – Emma Gioia
Sculpture de Moran Sanderovich
Modélisation 3D de Mark Florquin
Avatar – Jean Hubert
Assistant en animation – Thibaut Rostagnat
Création lumière – Jan Mergaert
Création sonore – Aslı Kobaner
Corps extrêmes de Rachid Ouramdane
Agora-Cité internationale de la danse
Les 23 et 24 juin à 22h
Durée 55 min
Avec David Aubé, Hamza Benlabied, Airelle Caen, Nina Caprez, Yamil Falvella, Löric Fouchereau, Peter Freeman, Nathan Paulin, Belar San Vicente, Seppe Van Looveren
Musique de Jean-Baptiste Julien
Vidéo de Jean-Camille Goimard
Lumière de Stéphane Graillot
Costumes de Camille Panin
Régie générale – Sylvain Giraudeau
Crédit photos © Pascale Cholette et © Vincent Staub