Mithridate de Racine. Mise de scène d'Éric Vigner. Stanislas Nordey. © Jean-Louis Fernandez

Mithridate, au vers près

Pour la réouverture du TNS, Eric Vigner présente enfin au public son Mithridate, tragédie en clair-obscur de Racine.

Pour la réouverture du TNS, Eric Vigner présente enfin au public son Mithridate, tragédie en clair-obscur de Racine. Après sept mois d’arrêt et quelques jours de répétitions, la troupe cinq étoiles du metteur en scène rennais fait tinter, sonner, retentir les vers du poète Français avec fougue, précision mais aussi tempérance et maniérisme. Un spectacle noir entre épure, flamboyance et afféterie. 

Une sorte d’euphorie gagne le TNS. Ce soir, c’est la première de Mithridate et c’est le jour de la réouverture du théâtre, après plus de sept mois de fermeture et trois mois d’occupation. Sur le parvis, des jeunes comédiens de l’école se concertent, préparent avec calme et sérénité le petit discours qu’ils vont prononcer avant le début du spectacle. Certes, ils n’habitent plus les lieux depuis plusieurs jours, mais ils n’ont pas dit leur dernier mot, continuent la lutte, leur engagement contre la réforme du chômage, qui doit rentrer en vigueur le 1er juillet prochain. Au bar, en terrasse, les spectateurs les observent curieux tout en se rafraîchissant avant de voguer pour le royaume de Pont, où règne en maitre incontesté le célèbre Mithridate (Stanislas Nordey, machiavélique à souhait). 

Noire tragédie
Mithridate de Racine. Mise en scène d'Eric Vigner. Jules Sagot et Thomas Jolly.  Jean-Louis Fernandez

Il n’est plus temps de profiter des rayons du soleil, la tragédie est en marche sur la scène de la salle Koltés. Le public à bonne distance a pris place. Dans une cité antique, située en bordure du Bosphore, les jours du fameux héros grec, connu pour avoir toute sa vie avalée de faibles doses de différentes toxines pour se prémunir d’un empoisonnement, sont comptés. Déjà sa défaite et sa mort contre les romains sont annoncées. Au palais, ses deux fils, l’aimant Xipharès (solennel Thomas Jolly) et le perfide Pharnace (épatant Jules Sagot) un peu, sonnés par la nouvelle, en voient déjà les doux augures, le pouvoir et l’hymen enfin possible avec Monime (cérémonieuse Jutta Johanna Weiss), l’infortunée promise de Mithridate. 

Guerre(s) de cœur 
Mithridate de Racine. Mise en scène d'Eric Vigner. Jutta Johanna Weiss et Thomas Jolly.  © Jean-Louis Fernandez

Tous aiment la jeune femme, se damneraient pour elle, mais elle n’a d’yeux que pour Xipharès. Pourtant pour sauver sa vie, son peuple, elle acceptait son sort, épouser le roi contre son sentiment, les élans de son cœur. Le retour miraculeux de Mithridate change la donne. Plus d’amour heureux, il faut dissimuler pour survivre. En fin limier, le roi-guerrier découvre les complots, les sentiments dissimulés. Consumé par la jalousie, se sentant trahi par la chair de sa chair, l’homme blessé brûle d’un feu noir qui l’entraîne dans la spirale ténébreuse de l’autodestruction. Rien ne pourra entraîner le drame à venir. 

Une tragédie en clair-obscur

Sur fond de conflit politique, de guerre de possession, les amants se déchirent, les cœurs saignent, les amours propres sont bafoués. S’appuyant sur un décor épuré, sombre – un brasier, un immense rideau de perles de verre, qui balaie le plateau, se transformant au gré des scènes, en ciel bleu, en voile de bateau, en tenture, en tour de papier sans fin – , Éric Vigner signe une scénographie d’une rare beauté, qui habille d’un rien le texte de Racine. Les éclairages de Kelig Le Bars, la pénombre, l’ambiance ombreuse, noire, soulignent les visages dramatiques des comédiens. Scandant les vers, parfois de manière trop appuyée, trop maniérée, jusqu’au malaise, tous rythment l’infernal et funeste destin qui plane sur leurs têtes couronnées. 

Un drame en cinq actes
Mithridate de Racine. Mise en scène d'Eric Vigner. Jutta Johanna Weiss, Stanislas Nordey et Thomas Jolly.  © Jean-Louis Fernandez

Écrite en 1672, entre Bajazet et Iphigénie, Mithridate fait partie des œuvres les moins jouées du dramaturge français. Sa noirceur, sa complexité, qui ont séduit Louis XIV et Charles XII de Suède, semblent avoir moins d’attrait aujourd’hui. Pourtant, Eric Vigner en tire le plus beau, le plus sombre, le plus radical, oubliant par moment la densité passionnelle de l’œuvre, pour ne garder que l’impossibilité de chacun, d’être libre de ses sentiments. Du lamento de Jutta Johanna Weiss, certes vécu dans sa chair, mais qui peut paraître un brin appuyé, au jeu très contemporain et parfaitement dosé de Jules Sagot, à celui plus dur, presque plus exalté de Stanislas Nordey, c’est tout une gamme d’émotions froides, retenues et rentrées qui habite le plateau sans jamais le brûler. 

En ce soir de vraie première publique, la tension est à son comble. Le spectacle, rangé plusieurs mois, et déballé, il y a peu, a besoin encore de se polir, de se roder, de se resserrer et de se peaufiner pour offrir aux spectateurs toute sa force, sa transcendance ténébreuse. 

Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg

Mithridate de Racine. Mise en scène d'Eric Vigner. Stanislas Nordey. © Jean-Louis Fernandez

Mithridate de Jean Racine
TNS
Salle Koltès
du mardi 1 Juin 2021 au mardi 8 Juin 2021
Durée 2H30 environ

Mise en scène d’Eric Vigner assisté de Tünde Deak
Assistanat à la scénographie Robin Husband
Avec Thomas Jolly, Philippe Morier Genoud, Stanislas Nordey, Jules Sagot, Yanis Skouta & Jutta Johanna Weiss
Lumière de Kelig Le Bars
Son de John Kaced
Costumes d’Anne-Céline Hardouin
Maquillage de Soizic Sidoit


Thomas Jolly est metteur en scène associé au TNS
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Le texte est publié aux éditons Didot

Crédit photos © Jean Louis Fernandez

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