Ouvert à nouveau au public, Les Célestins à Lyon respirent et regardent ardemment vers l’avenir. Pierre-Yves Lenoir, codirecteur des lieux, au côté de Claudia Stavisky, présente la prochaine saison avec enthousiasme et détermination. Galvanisé par des mois de fermeture, il rêve et assume une programmation riche et particulièrement prometteuse.
Dans les conditions que l’on connait de fermeture des lieux de culture et de représentations pros, comment s’est construite la saison 21-21 ?
Pierre-Yves Lenoir : On l’a imaginée et établie de deux manières. D’une part, une partie de la programmation était déjà dans les tuyaux depuis un certain temps – étant codirecteur depuis deux ans, j’ai dû imaginer en peu de temps deux saisons – avec notamment des engagements sur des coproductions sur des projets d’artistes que l’on souhaitait inviter et soutenir. D’autre part, il a fallu aussi tenter de rattraper, de reporter la plupart des spectacles qui ont été annulés en raison des confinements successifs depuis mars 2020. On s’est retrouvé évidemment avec la nécessité et le désir de tenter l’impossible, tout recaser dans une grille de programmes déjà fort chargée. Au final, cette saison à venir est très exceptionnelle, par son ampleur, par ce qu’elle comporte. En tout, nous portons l’an prochain 50 spectacles dont 34 nouvelles propositions et 16 reports. Pour pouvoir accueillir toutes ces œuvres nous avons dû pousser les meubles, remplir le moindre interstices, réduire dans certains cas certaines durées d’exploitation. Par ailleurs, nous avons aussi fait appel à nos collègues de Lyon et de la métropole pour cinq spectacles, qui se joueront hors les murs.
C’est nouveau …
Pierre-Yves Lenoir : On l’avait déjà fait. Mais c’est la première fois que nous entamons une collaboration avec le TNP, de plus elle est réciproque. Il y a le spectacle de Julien Gosselin que l’on coproduit ensemble, qui se jouera ici aux Célestins. Et puis, on s’associe à la venue du Théâtre du Soleil à Villeurbanne. La compagnie d’Ariane Mnouchkine présentera sa dernière création, L’Île d’Or en juin 2022. Historiquement, le Théâtre du Soleil ayant toujours répondu à nos différentes invitations, nous ne pouvions pas ne pas en être. C’est Jean Bellorini qui est cette fois-ci à l’initiative de cette belle et incroyable aventure qui réunit aux plateaux et dans les coulisses plus de 65 personnes. Comme d’autres structures culturelles lyonnaises, nous accompagnons ce projet assez gigantesque. C’est d’autant plus touchant et important, que c’est la première fois qu’Ariane Mnouchkine accepte de jouer dans un théâtre. C’est un événement !
Vous ouvrez la saison avec Slylight de David Hare adapté par Claudia Stavisky…
Pierre-Yves Lenoir : Oui, Claudia investit la grande salle avec cette belle pièce, accompagnée par trois grands comédiens, Marie Vialle, Patrick Catalifo et Sacha Ribeiro. Et en parallèle, la jeune autrice et metteuse en scène lyonnaise, Myriam Boudenia se glisse dans la Célestine pour monter sa propre pièce Palpitants et dévastés. Elle y aborde la question de l’immigration, de la recherche de ses origines. On ouvre la saison avec deux femmes.
Dans le choix des spectacles que vous présentez, il y a une belle dimension internationale ?
Pierre-Yves Lenoir : En effet, dix spectacles sont des productions étrangères. C’est beaucoup surtout avec l’incertitude qui persiste quant à la possibilité de voyager dans les mois à venir. Dans le cadre du festival Sens Interdits, nous accueillons en octobre cinq pièces, dont l’artiste argentine Marina Otero, qui vient pour la première fois en France, avec sa dernière création, Fuck me. Nous sommes très heureux de pouvoir enfin montrer au public lyonnais, Outside de Kirill Serebrennikov, qui avait fait sensation au dernier Festival d’Avignon en 2019. Un peu avant, au début de l’automne, nous allons enfin pourvoir présenter Love d’Alexander Zeldin, en espérant une longue collaboration avec cet artiste anglais très « loachien ». Puis, en mars 2022, nous recevrons le très beau Nuit funèbre de Katie Mitchell, une création portée par les œuvres de Bach, une production de l’Opéra de Lyon, avec lequel nous renouons des liens pour notre plus grand plaisir. Voilà quelques exemples de cette programmation que nous avons voulu riche et éclectique.
En parallèle de cela, vous avez fait aussi le choix d’une programmation très locale ?
Pierre-Yves Lenoir : Oui, depuis deux ans nous avons décidé de soutenir de manière plus forte encore les compagnies de la région. C’est bien sûr notre rôle d’aller vers les artistes locaux, d’écouter leurs propositions et de les aider à monter leurs projets. En tout, la saison prochaine, il y a huit créations, dont une majorité sont portées par des metteurs en scène implantés dans la région. C’est un chiffre jamais atteint. C’est inédit. Toutefois, il y a aussi dans ces nouveautés des reports. C’est le cas notamment d’Ana de Laurent Ziserman, de La Ligne solaire de Cécile Auxire-Marmouget, mais aussi d’Ivres de la jeune Ambre Kahan. On réaffirme clairement l’an prochain l’accompagnement des compagnies d’Auvergne-Rhône-Alpes. C’est dans la continuité du prix Celest’1 que nous avons mis en place en 2019. C’est aussi le souci de partager cet outil, qu’est ce beau théâtre, avec les talents lyonnais et métropolitains.
Est-ce que comme l’année dernière, vous continuez à présenter un certain nombre de spectacles voir en famille ?
Pierre-Yves Lenoir : Oui. C’est très important de pouvoir faire venir petits et grands, de leur proposer de partager ensemble l’expérience théâtrale. Dans ce cadre, il y aura en décembre Fracasse de Jean-Christophe Hembert, en février 2022, Le voyage de Gulliver, mis en scène par le duo Lesort–Hecq, mais aussi Room de James Thiérrée, création qu’il a lui-même décidé de reporter d’un an, et pour les vacances de février, pour la première fois, nous accueillons un metteur en scène réunionnais, Nicolas Givran, qui a adapté La Pluie pleure de Philippe Gauthier. Un très joli spectacle qui raconte l’histoire de deux ados enfermés dans des quêtes qui les isolent du monde, leur rencontre va provoquer leur résilience !
Une saison qui est sous le signe des grandes signatures du théâtre contemporain…
Pierre-Yves Lenoir : Cette programmation rassemble également, nous en sommes heureux, les grands artistes du théâtre aujourd’hui. Ainsi nous accueillons après Avignon, Caroline Guiela Nguyen et Anne Cécile Vandalem. Nous sommes heureux de présenter à nouveau le travail de Julien Gosselin, de Julie Duclos, de Julie Deliquet, de Johanny Bert, de Cyril Teste. Ce sont des fidélités de longue date, des élections affectives. Nous sommes aussi très heureux de pouvoir présenter aux Célestins la première du Ciel de Nantes, la dernière création de Christophe Honoré. En parallèle de cela, il y a aussi toute une génération émergente que nous accompagnons comme le Munstrum Théâtre, Baptiste Amann, Noëmie Ksicova ou Clément Bondu.
Il y a aussi dans votre programmation une dimension très « queer » …
Pierre-Yves Lenoir : Notre saison est le reflet d’une société, elle fait l’écho des grands thèmes qui traversent les créations d’aujourd’hui. Le féminisme, les migrants, les questionnements sur le genre, les désastres écologiques, les manières de réparer notre planète, la responsabilité des générations à venir, tout est évoqué à travers les spectacles que nous mettons à l’affiche.
La crise sanitaire que nous traversons, les annulations, les reports, les fermetures, vous ont elles amené à repenser la billetterie ?
Pierre-Yves Lenoir : En effet, nous avons revu entièrement nos modes d’abonnement, en estimant qu’il est dans les conditions actuelles très compliqué pour les spectateurs de s’engager sur une année. On a donc mis en place des Pass trimestriels qui vont permettre tout au long de l’année de pouvoir s’abonner sur une durée plus courte. Pour répondre à la frilosité d’engagement et les conséquences de la crise sanitaire sur le pouvoir d’achats de chacun. En parallèle, nous avons aussi décidé de mettre en place un abonnement pour les jeunes étudiants, particulièrement frappés par cette crise. On leur propose des places à 10 euros à partir de 3 spectacles.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les célestins – Théâtre de Lyon
Crédit portrait ©
Crédit illustrations © Thomas Lebun
crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, © OFGDA, © Simon Gosselin et © Sonia Barcet