En ouverture du Printemps des Comédiens, Théâtre Jean-Claude Carrière, Cyril Teste présente sa Mouette de Tchekhov en entremêlant à la manière d’un peintre, art vivant et art vidéo. Rompu à cet exercice, il filme au plus près des visages, imagine une ronde funèbre proche du vertige où ses actrices et acteurs finissent comme avalés par la caméra.
Après une année à l’arrêt, une édition annulée, le Printemps des comédiens revient de plus belle. Au cœur de la pinède, toujours aussi enchanteresse, le public en rang dispersé profite de l’ombre, d’une légère petite brise fort appréciable en ces premiers jours de forte chaleur. Devant le théâtre Jean-Claude Carriere, les spectateurs masqués entrent par petits groupes. Dans la salle, séparé d’un siège, chacun s’installe. A peine le temps de dire ouf, d’une dernière phrase à son voisin, que le voyage commence vers une autre contrée, où la Russie de Tchékhov se mâtine d’Italie.
Une jeunesse en péril
S’emparant de la traduction d’Olivier Cadiot, Cyril Teste, habile cinéaste, ciseleur de silhouettes, de personnages, joue des gros plans, de l’image dans l’image. Tout comme Tchekhov en son temps, le metteur en scène plonge dans l’intimité de cette famille interdépendante autant que dysfonctionnelle, zoome en gros plan sur son incapacité à s’aimer pour mieux décrire une époque, prendre le pouls d’une société qui a bien du mal à laisser sa jeunesse s’exprimer. Questionnant sa propre capacité à conjuguer le dramatique, le plastique et le visuel, à renouveler une forme d’art, à la réinventer, quitte à flirter parfois avec l’exercice de style, il invite à une réflexion, une confrontation entre « art ancien » et « art nouveau ».
L’art du féminin
Cadrage serré sur le beau visage d’Arkadina (Incroyable Olivia Corsini), Cyril Teste met en exergue la comédienne, la maitresse de maison, l’actrice célèbre, qui refuse de montrer ses faiblesses, qui n’accepte aucun ombrage fait à sa beauté, son talent. Reléguant subtilement au second plan les personnages masculins, sans pour autant les effacer, il fait de Macha (almodovarienne Katia Ferreira), jeune femme dépressive qui se noie dans l’alcool et la cigarette faute d’être aimée par le fils de la maison, le trop sensible Treplev (sombre Mathias Labelle), le pilier noir, triste, de sa relecture du chef d’œuvre de Tchekhov. Boudeuse, proche du non-jeu, elle erre sans but sur un plateau divisé en deux parties, celle visible de la salle, qui semble en perpétuelle construction, où tout est encore possible, le plus joyeux, le plus funeste, celle cachée à l’arrière de la scène, où tout est déjà joué, figé. Volant la vedette à Nina (détachée Liza Lapert), jeune exaltée aux rêves brisés, vampirisés par l’auteur à succès, qui ne révèle sa densité dramatique de punk trop émotive, qu’à la toute fin, la Macha de Teste porte sur ses épaules toute l’âme slave, mélancolique du dramaturge russe.
Vidéo ma non troppo
Aspirant au fil de la pièce, la vie à travers la caméra, Cyril Teste manie la vidéo, le noir et blanc, la couleur, avec subtilité comme toujours, même si en ces temps de manque, on aurait peut-être aimé plus de vivant que de vivant filmé. Loin d’être futile, son utilisation de l’image, parfaitement maîtrisé, permet une mise en abyme du théâtre, de l’art en général. Formé aux Beaux-arts, il a le sens du détail, du geste. La vidéo est ici tel un tableau en élaboration, faite de coups de pinceau, de touches, de zooms, de flou artistique. Elle sert le propos, en morcèle habilement les nuances.
Une émotion distillée parcimonieusement
Unifiant les interprétations dans une forme de monotonie, d’épure à la limite de l’absence de jeu, Cyril Teste dose très subtilement les émotions. Dans ce bal nostalgique, un peu triste, un peu moribond, seule Arkadina, figure emblématique du théâtre, semble être vivante, posséder l’art d’exprimer ses sentiments. D’un regard légèrement humide, d’une paupière tremblante, d’une lèvre juste pincée, elle vibre aux côtés des fantômes, du passé, du présent et du non futur. Retenant la bride de ses comédiens, il distille ainsi sobrement troubles, émois et garde pour l’acmé finale la charge sensible, les larmes, le serrement des cœurs.
Ouvrant la 35e édition du Printemps des Comédiens, la très attendue Mouette de Cyril Teste, particulièrement chamboulée dans son processus créatif par la pandémie, fait son œuvre. Elle hante nos pensées, nos réflexions. Rien n’est immédiat, elle agit avec le temps.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
La mouette d’après Anton Tchekhov
Printemps des Comédiens
Théâtre Jean-Claude Carrière
Domaine d’O
Montpellier
Jusqu’au 13 juin 2021
Durée 2h00
Tournée
Du 25 au 30 juin à la MC93 à Bobigny
Traduction Olivier Cadiot
Mise en scène de Cyril Teste
Avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly,Pierre Timaitre, Gérald Weingand
Collaboration artistique : Christophe Gaultier et Marion Pellissier
Assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier
Dramaturgie : Leila Adham
Scénographie : Valérie Grall
Création Lumière : Julien Boizard
Création vidéo : Mehdi Toutain-Lopez
Images originales : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier
Création vidéos en images de synthèse : Hugo Arcier
Musique originale : Nihil Bordures
Ingénieur du son : Thibault Lamy
Costumes : Katia Ferriera
Assistée de Coline Dervieux
Direction technique : Julien Boizard
Régie générale : Simon André
Crédit Photos © Simon Gosselin