Perchée, ingénue, jeune première décalée, Jeanne Lepers attrape la lumière, irradie de sa présence singulière, les plateaux. Fiancée à l’ouest ou mère dépassée par les événements dans LOVE, LOVE, LOVE de Mike Bartlett, la jeune comédienne à la longue silhouette foulera les planches du Printemps des Comédiens du 18 a 19 juin 2021, dans la belle et puissante adaptation d’Un Ennemi du peuple d’Ibsen par Jean-François Sivadier. Campant les jeunes filles éthérées et protectrices, elle donne intensément la réplique à Nicolas Bouchaud et Agnès Sourdillon.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Le vent.
Non, je rigole. Adolescente quand j’allais voir des spectacles, j’avais envie de pleurer surtout aux saluts, pas spécialement pour la pièce mais parce que ça avait l’air tellement génial comme métier.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne, auteure et metteuse en scène ?
J’ai commencé le théâtre enfant, au centre de loisir. Mes parents et grands parents venaient, prenaient des photos, applaudissaient. Je crois que ces moments très narcissiques, mais aussi avec beaucoup d’adrénaline, m’ont marquée. Et souvent, j’essaye de me souvenir de ces sensations enfantines, de peur et d’excitation, avant de monter en scène, ou même en répétition. Comme si monter un spectacle, c’était comme préparer une grosse bêtise.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le vent donc. mais je n’ai aucun souvenir de la pièce. Je me souviens que ma mère me regardait. La maîtresse devait être en coulisse pour nous indiquer les mouvements.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Bien sûr un Ennemi du peuple, mis en scène par Jean-François Sivadier. Pour l’équipe artistique et technique incroyable, ultra généreuse. Et pour les confrontations avec les publics dans les différents théâtres, villes. C’est une pièce qui attise la rencontre entre l’œuvre et les spectateurs et cela fait que nous aussi acteurs, nous sommes au spectacle, en train de regarder comment le public réagit à la pièce d’Ibsen.
J’adore travailler avec Yordan Goldwaser et l’accompagner dans sa recherche. Que ce soit sur Les Présidentes de Werner Schwab ou La Ville de Martin Crimp ou en ce moment une lecture d’OVNI de Viripaiev. J’ai l’impression que l’on tisse depuis des années avec délicatesse notre petite communauté d’art.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Adrien Guiraud et Kristina Chaumont qui interprétaient André et Rilsieux dans la pièce Les Premiers que j’ai écrite et mise en scène l’année dernière. J’ai écrit cette pièce autour de la possibilité d’un duo amoureux, pour eux. Et nous avons partagé durant trois ans les questionnements, les vertiges et les joies de ces personnages. C’était comme une mission, nous portions la bonne parole (on en était persuadés en tout cas), mais c’était une parole de théâtre, faite de trous, de maladresses, de silence et de fulgurances. C’était comme faire de la poésie en chair et en os. C’est une des plus fortes expériences de ma vie. Ce sont mes amis aussi.
Et puis en ce moment, je travaille à l’adaptation théâtrale du conte érotique Juvenia de Nathalie Azoulai. Cette création est le fruit d’une intuition de Nathalie : il y a quelque chose à chercher dans la rencontre entre nos deux subjectivités, qu’une génération sépare. C’est passionnant d’entrer dans les pas de quelqu’un, tout en cherchant quel est le point chaud pour moi. Où est-ce que ça vibre. Il ne s’agit pas d’être fidèle à l’autrice, mais d’être curieuse avec elle et d’entrer en dialogue, donc potentiellement en contradiction. Une contradiction joyeuse.
Et dans tout cela, il y a Julien Gallée-Ferré, à la ville comme à la scène, comme on dit dans le métier. Il est danseur et chorégraphe, et cette rencontre oriente mon travail vers une attention plus grande pour le mouvement – la danse de Griezmann que je fais dans un Ennemi du peuple, je lui ai piqué dans 10000 gestes de Boris Charmatz – je lui pique plein de truc en fait.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Pendant le premier confinement, au bout d’un moment, je me suis mise à lire tout haut des textes pour moi et – bon, c’est un peu la honte – ça m’a fait pleurer. Je me suis rendue compte que ce rapport avec un texte, la sensation de résonance de ma voix, faire travailler les muscles du visage, de la bouche, le souffle et proférer une parole faisait en fait partie de mon hygiène de vie et que l’arrêt brutal de l’activité constituait un manque.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La littérature, les blagues, observer les gens autour de moi.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Enfantin.
« Akunamatata » est mon mantra avant d’entrer en scène.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
whaou.
heu… le ventre ? C’est quand même assez sexuel tout ça.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Bjork.
Bonnie Banane
Bourvil
Que des gens en B
Et aussi Catherine Germain et François Cervantes.
Mais à vrai dire, je ne me pose pas vraiment la question de cette manière, car j’ai remarqué que si l’on cultive son endroit à soi, les bonnes rencontres se font. c’est un peu bateau de dire cela, mais je réalise qu’effectivement, mon métier est fait de rencontres humaines, d’entraide, de confiance que l’on se donne les uns les autres. Donc ce n’est pas des noms que l’on vise genre « j’aimerais travailler avec tel ou telle personne ».
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Une chorale d’animaux
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Une chorale d’animaux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen traduit par Eloi Recoing paru chez Acte Sud-Papiers, en librairie dès le 6 mars 2019
Mise en scène de Jean-François Sivadier
Odéon – théâtre de l’Europe
Reprise les 18 et 19 juin 2021 au Printemps des Comédiens
Love, love, love de Mike Bartlett
Mise en scène de Nora Granovsky
Comédie de Picardie
Crédit photos © DR, © Jean-Louis Fernandez, © Pierre Nouvel