Après une formation musicale, Jann Gallois entre dans la danse à corps perdu en 2000. S’inspirant de la philosophie bouddhiste qui l’accompagne depuis longtemps, la danseuse et chorégraphe déploie une gestuelle qui extériorise une quête profonde, intérieure. Avant d’investir fin septembre, Chaillot-Théâtre national de la Danse, elle crée le 30 juin prochain, son dernier solo, Ineffable, à l’occasion de la 41e édition de Montpellier Danse.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
En cherchant bien, il y a plusieurs bribes de souvenirs qui me sont remontés, un concert de mon père quand il était encore à l’Ensemble Intercontemporain (je ne regardais que lui) et un spectacle de marionnettes en ombre chinoise dans une toute petite salle.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question, les choses se sont faites presque naturellement, comme une évidence. Je pense que c’est justement parce qu’il y avait une grande nécessité intérieure que la question de me lancer ou pas dans une carrière artistique ne s’est jamais posée en moi. Je me suis laissée poussée par les intuitions et les rencontres que ma vie m’a apporté.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseuseet chorégraphe ?
J’ai l’impression de ne pas avoir vraiment eu à choisir. Plus que le désir de danser, j’ai très tôt ressenti le besoin de m’exprimer, de montrer ce qui me semblait beau, moche et surtout de partager mes questionnements qui restaient sans réponse. Cette expression s’est manifestée par la danse, mais cela aurait très bien pu se faire par une autre forme d’expression artistique. En ce sens, c’est peut-être plutôt la danse qui m’a choisie !
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Mes premiers pas en tant que danseuse professionnelle se sont faits sous la direction du chorégraphe Sébastien Lefrançois dans la pièce Roméos et Juliettes. J’avais 19 ans, aucune expérience de la scène et je devais endosser le rôle de Juliette, j’en garde un souvenir à la fois merveilleux et terrible. Merveilleux, car je découvrais la vie d’artiste en compagnie, l’esprit de famille avec les autres danseurs que j’admirais avec des yeux d’enfant, les tournées en France et à l’étranger, les multiples rencontres, l’adrénaline qui nourrissait mon corps chaque soir de spectacle, etc… Mais c’est un souvenir aussi terrible, car j’avais l’impression d’avoir été catapultée beaucoup trop tôt sur le devant de la scène. Je souffrais d’un cruel manque de confiance en moi, je ne me sentais pas capable de répondre à ce que Sébastien Lefrançois attendait de moi et il me le faisait bien comprendre… J’ai mis beaucoup de temps à me sentir légitime d’être là où j’étais.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La démo de Phax lors du Juste Debout en 2005.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Chaque nouvelle création est une nouvelle aventure à traverser avec de nouveaux danseurs, une nouvelle équipe. Toutes ces rencontres ont jusqu’à présent été aussi belles les unes que les autres.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il me permet de sans cesse remettre en question des évidences afin de mieux les comprendre. La complexité du savoir vivre-ensemble, comment de rien, on arrive à un tout. Il me permet aussi d’approfondir l’union de mon corps et de mon esprit en repoussant toujours les limites de ce que je pense avoir acquis et essayer d’atteindre une fusion parfaite même très brève.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Le paradoxe. Cette incohérence d’un monde qui veut tout ce qu’il y a de meilleur, le plus vite et le moins cher possible. Notre contresens à tous, qui nous fait aspirer au bonheur tout en créant sans cesse les causes de souffrance. Cette ignorance face aux raisons pour lesquelles nous sommes là, ici et maintenant, face à notre nature profonde et à la façon dont les choses existent réellement. Ce sont tous ces paradoxes qui m’allument et me poussent à créer. Je pense que tant que ce monde continuera de connaître la souffrance, la création artistique sera toujours présente pour essayer d’une part de nous apporter des moments de répit, et d’autre part nous permettre d’y trouver certains éléments de réponse.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Assez simple, elle est là et elle m’invite parfois à monter dessus. Bien évidemment, au début, je ne la voyais pas comme cela, j’ai traversé de nombreux rapports très différents à la scène depuis la fascination la plus puérile jusqu’à l’aversion la plus terrible. Ce chemin m’a progressivement amené aujourd’hui à la considérer avec autant de respect que de détachement. La scène est pour moi le temple du XXIe siècle où les artistes en sont les moines. Il y a quelque chose de sacré et de magique dans le fait de se retrouver en communion avec une audience pour assister à un acte artistique.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Pile au milieu du buste, en plein dans le cœur.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais beaucoup rencontrer un jour Rui Horta et pourquoi pas imaginer une forme de collaboration. Un de mes rêves d’adolescente était d’être invitée à danser à un concert des Daft Punk, bien que le duo se soit éteint ça reste encore un rêve.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
La création d’une pilule de paix !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Le sacre du printemps de Stravinsky pour sa charge émotionnelle allant du tiraillement le plus viscéral à la douceur la plus simple, et pour avoir accompagné une grande partie de mon enfance lorsque j’écoutais mon père jouer cette pièce.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ineffable de Jann Gallois
Montpellier Danse
Studio Bagouet
Agora Cité internationale de la Danse
34000 Montpellier
du 30 juin au 2 juillet 2021
Cie BurnOut
Chorégraphie, scénographie, costume et interprétation – Jann Gallois
Ingénieur son – Julien David aka « Léo »
Lumières – Cyril Mulon
Réalisation scénographie – Nicolas Picot et Cédric Bach
Regard complice – Frédéric Le Van
Crédit portrait et photos © Gaëlle Astier-Perret