Aussi à l’aise et flamboyant dans Arne Lygre monté par Braunschweig que dans Shakespeare adapté par Célie Pauthe, Glenn Marausse est un homme-orchestre, un comédien caméléon. Gueule d’ange, look rebelle, il se glisse prochainement, fin juin, au CDN de Normandie-Rouen, dans la peau d’un homo introverti particulièrement savoureux dans le double portrait en creux de Guillaume Dustan et de Nelly Arcan, monté par l’excellente Jeanne Lazar.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Il y en a deux auxquels je pense et qui me sont chers. J’étais enfant. Le premier, c’est dans les hangars du Royal de Luxe. On aurait dit un cabinet de curiosités, tout ce qui avait été utilisé par le Royal dans leurs précédents spectacles étaient entreposés là. Des accessoires, mais surtout des machines ! La machine à marcher comme les Égyptiens, une moto-wc, une machine à tartiner (on s’asseyait devant une petite installation type rideau rouge de théâtre et derrière il y avait toute une machinerie qui grillait le pain, l’amenait devant un pot où un couteau étalait de la confiture dessus… !). Pour un enfant c’était merveilleux, j’aurais pu rester des mois entiers dans cet entrepôt.
Le deuxième souvenir, j’étais encore plus jeune, il y avait en banlieue de Toulouse un endroit magique qui s’appelait Les Jardins de Demain. C’était un parc qui s’étendait plus ou moins sur un hectare, où des artistes de land-art du monde entier étaient invités à créer une œuvre sur le parcours de ballade du parc. Dans mes souvenirs, c’était fabuleux. Le soir, les gens se retrouvaient à l’entrée où c’était guinguette, avec concerts, repas, verres…
Ces deux souvenirs sont une rencontre avec l’art, quel qu’il soit, et le vivant, c’étaient les gens qui gravitaient autour !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je crois que le déclencheur a été au lycée. Ma mère m’a toujours poussé à faire du théâtre, ma famille a toujours cru en moi. Mais ma mère m’a vraiment aidé à mettre du concret sur l’énergie qui m’animait (m’anime). Petit, j’aimais être au centre, faire rire, j’ai toujours adoré le rire. Celui des autres, mais aussi le mien. Et quand il a fallu que j’entre au lycée, j’ai pris l’option premier théâtre. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, j’avais dû voir une pièce au collège… Mais c’était coefficient 6 au bac ! Je n’ai pas hésité. Et grâce à ça, j’ai découvert un monde nouveau et j’ai surtout découvert que j’étais plutôt bon, mais que c’était un vrai travail. Canaliser tout ce qu’on a d’énergie dans une pratique.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Comme je disais juste avant je n’ai pas eu l’impression d’avoir choisi, mais j’ai la sensation que les choses se sont faite un peu comme ça. Pour ma famille, c’était une évidence, mais pour moi ça n’a pas été le cas au début. Quand les choses sont devenues plus concrètes après le lycée, là, j’ai commencé à me poser des questions, à avoir peur de l’avenir, me demander si j’allais y arriver, si j’avais le niveau, ce que je devais faire, etc. Et plus mon parcours avançait plus je m’épanouissais. Tout ce vivant, c’est très important pour moi. J’ai besoin de ça. Ça me maintient debout, ça me permet de garder les étincelles dans les yeux que j’avais quand j’étais enfant. Pour moi, ce métier, c’est une nécessité. En même temps, je dis ça alors que j’adorerais devenir menuisier, fabriquer des choses, se servir de mes mains. En tout cas le rapport à la création est là…
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
En sortant du conservatoire de théâtre de Nantes, j’ai été embauché sur Le Tartuffe que mettait en scène Monique Hervouët de la compagnie Banquet d’Avril. Elle avait donné deux cours avec le conservatoire, dont un sur Molière. La rencontre s’est faite comme ça. Et s’en est suivi trois ans de tournée avec ce spectacle et cette équipe incroyable. Je jouais Damis. Ça a été un moment très important dans ma vie. Je connais plus ou moins certain.e.s des comédiens.nes et ces gens-là m’ont fait énormément grandir. Aussi bien dans la vie que dans mon rapport au théâtre. Ils m’ont aidé à prendre certaines décisions, comme celle de tenter le concours des écoles nationales. C’est la première fois que je jouais en tant que comédien professionnel et j’ai eu la chance incroyable, à vingt ans, de jouer dans des villes que je ne connaissais pas, boire des verres tous ensemble, partager quelque chose de fort.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
C’est difficile de choisir un seul coup de cœur. Il y a quelques années, il y a eu le spectacle incroyable Germinal de Antoine Defoort et de Halory Goerger. Des gens sur scènes qui fabriquent un monde à partir du rien, du néant. Ils apprennent à communiquer, à s’organiser, etc. C’était terriblement intelligent, extrêmement bien écrit, très très drôle. Un vrai coup de cœur théâtral. Mais je ne pourrais pas ne pas citer Le Sorelle Macaluso d’Emma Dante. Un spectacle magnifique, d’une réelle puissance émotionnelle. Aucun décor, seulement des acteurs.rices qui nous donnent un moment de pur théâtre. On voit les images, on est transporté, on voit les fantômes, on les ressent autour de nous. C’était fabuleux. J’en parle aussi parce que j’ai eu la chance de travailler avec elle quand j’étais à l’école. On avait fait un stage de 2 semaines dans son lieu, La Vicaria à Palerme. François Cervantes aussi possède cette magie créatrice, de convoquer les fantômes. Je ne peux pas non plus laisser de côté le Richard III et le Hamlet d’Ostermeier qui m’ont scotché. Ou le travail de Castellucci qui créait ce que je ne pensais pas pouvoir être possible au théâtre.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Les plus belles rencontres sont celles qui vous surprennent. Aussi bien en amour qu’en amitié. C’est quand on arrive à se laisser aller totalement. Quand on accepte l’inattendu, l’imprévu. J’ai évidemment plusieurs personnes en tête, mais je les garde pour moi.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Cette question me fait rire, surtout vu ce qu’on traverse depuis un an avec les couvre-feux, confinements, interdictions en tout genre. Clairement, je fais ce métier pour son rapport à l’humain, aux rencontres, à l’inhabituel, au vivant. J’ai une chance incroyable de travailler, déjà, avec des équipes différentes, sur des textes fascinants, sur des supports différents aussi parfois. Ça m’oblige à me réinventer souvent. À affiner mon regard. Je me retrouve souvent face à moi-même. Parce qu’on ne travaille pas tout le temps dans ce métier. On n’a pas de rythme propre et défini. Et comme pour tous.tes celleux qui travaillent dans l’art, qui ont un rapport avec l’art, la sensibilité et/ou l’énergie sont quelques fois difficiles à canaliser. Et sans moyens d’expression tels que ces métiers artistiques, on serait vite perdu…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Comédien, c’est un métier que j’aime puisque je peux et dois me nourrir de ce qui m’entoure. « Tout est théâtre ». Je n’aime pas cette phrase. Parce que je ne suis pas comédien quand je ne suis plus dans un théâtre, dans une coulisse, dans une salle de répétition, devant un texte. Je suis Glenn. Et ce que j’aime, c’est comment je vais aborder une proposition textuelle ou non dans le travail. C’est le cheminement qui se passe en moi à ce moment-là. Ce qui est inspirant, c’est le regard de l’autre, forcément puisque seul, je peux difficilement travailler. C’est le regard et l’énergie de mes partenaires, qu’ils soient au plateau ou non. Ce qui est inspirant, c’est l’énergie qui circule dans un silence de concentration, d’écoute. Ce qui est inspirant, c’est un groupe de personnes qui se réunissent autour d’une seule et même chose et essayer de trouver une respiration commune.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Le plateau, c’est un lieu incroyable. C’est un espace vertigineux, avec ses bons et ses mauvais côtés. À chaque fois que je dois jouer, j’essaye de creuser dans une direction particulière (peu importe ce que je dois jouer.) et c’est la détente. Arriver à trouver la bonne respiration, la détente parfaite, celle où on est prêt à bondir. C’est des années de travail et je sais que je n’y arriverais pas. Mais j’espère au moins m’en approcher le plus possible. Il y a des jours, je me sens envahie de peur et d’autres pas du tout. Ensuite, c’est ce que tu en fais, comment tu gères ça.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Ce désir, il est dans les tripes. Les émotions fortes, elles se ressentent là.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Jean-François Sivadier, Antoine Defoort et Hélory Goerger, Julie Duclos, avec des copains.ines à moi, le théâtre belge aussi et plus particulièrement Eléna Doratiotto et Benoît Piret qui ont mis en scène Des Caravelles et des Batailles.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’adorerais investir un lieu en friche et participer à la création d’un spectacle « monstre » qui serait à la fois les répétitions et le spectacle. Sous forme d’écriture de plateau. Avec une équipe monstre elle aussi.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Une œuvre qui réunirait un peu de mélancolie, de tristesse, avec pas mal de touches de couleurs chaudes, mais surtout beaucoup de folie.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jamais je ne vieillirai, mise en scène de Jeanne Lazar
Création à Huis-clos au CDN de Normandie-Rouen
Présentation pro au Festival Dire de la Rose des Vents
en tournée le mardi 22 et mercredi 23 juin 2021 à 20h au CDN de Normandie-Rouen
Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare
Création à huis-clos au CDN de Besançon Franche-Comté
Nous pour un moment d’Arne Lygre
Mise en scène de Stéphane Braunschweig
Odéon – théâtre de l’Europe
Crédit portrait © Camera Portra
Crédit photos © Glenn Marausse © Mona Darley, © Caroline Ablain et © Elizabeth Carecchio