Au Vieux-Colombier, la détonante Camille Bernon et son complice Simon Bourgade, s’emparent, avec une fougue par trop foisonnante, de la fable dystopique, sombre et antifasciste du Sud-Africain J.M. Coetzee. Le pari est osé, louable et profondément engagé. Le résultat, brouillé par trop d’effets, emporte sur le fil la mise. La virtuosité des comédiens du Français, portée par le jeu incroyable de Didier Sandre, y est pour beaucoup.
Dans le hall du Vieux Colombier, entièrement rénové, les spectateurs se pressent. Dans quelques minutes, les portes de la salle vont se refermer. Le voyage vers un étrange monde va pouvoir débuter. Attachez vos ceintures, les jeunes metteurs en scène Camille Bernon et Simon Bourgade, qui nous avaient enchantés avec Change me, il y a trois ans à la Tempête, nous embarquent aux confins d’un désert, d’un empire colonialiste, où des hordes de « barbares » menacent l’équilibre autocratique établi.
Quand t’es dans le désert
Dans une petite ville frontalière, loin de civilisation, du monde, un magistrat (extraordinaire Didier Sandre) plutôt humaniste, tente de maintenir la paix entre colons et autochtones. L’arrivée d’un colonel (troublant Stéphane Varupenne) ambitieux, pervers et sournois va changer la donne. Persuadé d’agir pour le bien de l’Empire, de le protéger d’un risque d’invasion, l’homme vêtu de rouge, à l’allure spartiate, persécute les pauvres paysans du cru, des indigènes dont le seul crime est de ne pas être nés du bon côté. Les considérant comme des barbares sans foi ni loi, ils les torturent, les pourchassent forçant leur nature pacifiste, les obligeant à entrer en guerre.
Théâtre expérimental
S’emparant des mots du prix Nobel de littérature de 2003, J.M. Coetzee, Camille Bernon et Simon Bourgade signent un spectacle total, qui emprunte à différents arts, que ce soit vidéo ou plastique, effets et mises en espace. Bosseurs, fins limiers, visionnaires, ils touchent juste dans leur manière de ciseler le jeu des comédiens du Français. Malmenant brutalement Didier Sandre, ils réveillent la puissance de son jeu, sa présence solaire sur scène. N’arrivant pas à opter pour une ligne claire, un parti pris unique de mise en scène, les deux comparses expérimentent, tâtonnent, multiplient les pistes quitte à brouiller au long cours le message. Encore en rodage, en quête d’un idéal scénique, toujours en processus créatif, c’est leur marque de fabrique, leur manière de faire, ils explorent différents esthétismes, pour mieux saisir le spectateur, lui faire entendre les dangers du fascisme, d’une norme trop rigide, du refus systématique de la différence.
Un casting cinq étoiles
Enchaînant les tableaux, dont certains saisissent d’effroi – la joute verbale et sibylline entre le jeune officier interprété par l’épatant Christophe Montenez et le vieux et digne magistrat que campe Didier Sandre – , d’autres sont d’une beauté à couper le souffle – La tempête de neige -, Camille Bernon et Simon Bourgade s’appuient sur une distribution au cordeau. De Suliane Brahim aux deux petits nouveaux de la troupe, Elissa Alloula et Clément Bresson, en passant par Stéphane Varupenne, Didier Sandre et Christophe Montenez, la troupe de français démontre une nouvelle fois son excellence, sa capacité à s’adapter à transcender une mise en scène, un texte. C’est toujours un plaisir, de les voir jouer, incarner différents personnages. Rien que pour eux, le voyage en dystopie est nécessaire.
Absolument pas figé, le travail plein d’audace, d’inspirations multiples, des deux jeunes metteurs en scène devrait s’épurer et gagner en puissance au fil des représentations. En attendant les barbares devrait ainsi révéler toute sa noirceur, faire écho au risque du repli sur soi qui gagne nos sociétés, réveiller nos consciences à la veille d’élection déterminante pour notre pays.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
En attendant les barbares d’après J. M. Coetzee
Théâtre du Vieux Colombier
Comédie-Française
21 rue du Vieux Colombier
75006
jusqu’au 3 juillet 2021
durée 2h15 environ
Adaptation et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade asssités d’Angèle Peyrade
Avec Stéphane Varupenne, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, Élissa Alloula, Clément Bresson et Étienne Galharague
Traduction de Sophie Mayoux
Scénographie de Benjamin Gabrié
Costumes de Gwladys Duthil assistée d’Anaïs Heureaux
Lumières de Coralie Pacreau
Vidéo de Guillaume Gherrak et Jérémy Oury
Musique originale et son de Vassili Bertrand
Maquillages d’Ondine Marchal
Crédit photos © Vincent Pontet, Coll. Comédie-Française