À la Tempête, au cœur de la Cartoucherie, c’est l’heure de la réouverture. Clément Poirée, son directeur, revient sur ces mois de fermeture, sur la crise sanitaire et sur l’espoir de raviver la flamme du théâtre encore groggy. Accueillant à nouveau, depuis peu les spectateurs, il rêve à une saison prochaine riche, foisonnante et vibrante.
Vous êtes à la direction du Théâtre de la Tempête depuis 2017, cela représente quoi pour vous ?
Cela représente, avant tout, une grande aventure humaine. La Tempête est un endroit très important pour moi, car j’y ai découvert le théâtre auprès de Philippe Adrien, qui m’a associé très tôt à ses créations. J’y ai aussi créé mes spectacles. À cette époque, même si j’y passais beaucoup de temps, je ne m’occupais pas du tout de la vie du théâtre. En prenant la tête du lieu, j’ai appris un nouveau métier qui enrichit celui de metteur en scène. La Tempête est un endroit toujours en mouvement, où les choses évoluent constamment. C’était particulier pour l’intermittent que j’étais de découvrir la permanence. Le théâtre est l’endroit de la rencontre, de la confluence, entre les spectacles en répétitions dans nos différents espaces la journée, et entre les acteurs, les œuvres et le public lors des représentations. Chaque soir, il y a toujours une émotion à accueillir des spectateurs qui vont vivre un moment partagé autour d’une proposition artistique et, je dirais même, activement participer à cette création. Depuis quatre ans, je me donne à fond, ainsi que toute l’équipe de la Tempête qui accomplit un formidable travail au quotidien. C’est une chance extraordinaire pour un directeur de tenter d’animer jour après jour ce lieu magique, insuffler une âme à ce vieux bâtiment militaire qui a vécu bien des aventures et qui va fêter l’année prochaine ses cinquante ans de théâtre. C’est un bonheur !
La saison 2020-2021 a été traversée par la pandémie et la crise sanitaire, comment avez-vous vécu cela ?
Cela a été un long hiver pour toute une corporation constituée d’artistes, de techniciennes et techniciens, d’admistratifs, de journalistes et de spectateurs ! Nous étions dans une belle dynamique et tout s’est arrêté. C’était extrêmement difficile, même si l’on est dans une position privilégiée, celle des théâtres subventionnés. Notre fonctionnement a été assuré par les pouvoirs publics. Mais nous sommes un lieu de création et d’accueil de compagnies indépendantes. La spécificité et la richesse du paysage théâtral français réside dans la vivacité de celles-ci. Et ces compagnies indépendantes ont extrêmement souffert de cette crise. À part les périodes de confinement strict, le théâtre, bien que fermé au public, est toujours resté ouvert, vivant. On a essayé de faire notre possible pour soutenir les compagnies. Néanmoins, la situation reste préoccupante car nous nous retrouvons devant un embouteillage, entre ceux qui n’ont pas encore pu jouer et ceux qui s’apprêtent à créer. Cela risque de laisser des gens sur le bas-côté. Paradoxalement, cette crise a aussi réaffirmé avec force que le théâtre ne commence qu’au moment où il y a des gens dans la salle. Les spectateurs eux-mêmes en ont maintenant, je crois, pleinement conscience. Cette prise de conscience a été très palpable dès la réouverture. On sent le désir commun de renouer le lien.
C’est ce que vous venez de faire en repoussant vos dates de fermeture estivale…
Dès le 19 mai, on a essayé de renouer avec les spectacles et les spectateurs. Et cela se passe bien ! On a repoussé le calendrier jusqu’au 10 juillet. Ainsi, on retrouvera déjà deux spectacles : Hamlet, mis en scène par Gérard Watkins avec Anne Alvaro dans le rôle-titre (à partir du 29 juin) et Élémentaire (à partir du 26), un spectacle que j’ai mis en scène, écrit et interprété par Sébastien Bravard et que j’aime beaucoup ! On est conscient que l’enjeu, c’est l’après. C’est pour cette raison que l’on a eu envie d’avoir une fin de saison foisonnante. Après ce si long hiver, on rêve de s’engager dans un infini printemps ! Les gens sont heureux d’être là, de ressortir le bout de leur nez et je pense que cela peut durer. Malgré les nuages qui se sont amoncelés au-dessus de nos têtes, et cela bien avant la crise sanitaire, je pense qu’il y a en nous cette envie de refleurir. Les théâtres, comme l’art en général, ont un rôle à jouer aussi modeste que fondamental. Et ça, c’est joyeux ! On est là pour être émus. C’est notre vocation. J’aime la définition de Vinaver : émouvoir, c’est créer un très léger déplacement dans l’âme. Cela peut être par le rire, par l’étrange, par beaucoup de choses qui nous aident à respirer !
La programmation 2021-2022 a dû être un casse-tête !
C’est le cas pour tous les théâtres ! Dans les situations de crise on en revient à des questions très simples. La première c’est pourquoi abandonner des spectacles, prévus dans la saison 2020-2021, alors que nous les aimons énormément et que nous n’avons pas pu assouvir notre envie de les présenter au public ? Parce qu’il faudrait passer à la suite ? Parce qu’après un an seulement ils seraient périmés ? C’était difficile à accepter. Donc, nous sommes partis de la nécessité du report de tous les spectacles déprogrammés. Ce qui représente l’équivalent d’une saison complète, soit 12 spectacles. Par ailleurs, pour que notre corps de métier ne se retrouve pas étouffé, pour que des spectacles ne soient pas jetés à la poubelle avant d’avoir été créés, il nous a semblé tout aussi essentiel de maintenir dans la programmation des nouvelles propositions. Il nous a fallu nous démultiplier. Du coup, nous proposons une saison beaucoup plus nourrie. Un vrai feu d’artifice ! Ce qui demande une réactivité énorme ! On va avoir 19 spectacles. On réduit un peu les durées d’exploitation – trois semaines au lieu de quatre. On table à fond sur l’appétit des spectateurs qui auront plaisir à être sollicités après un si long jeûne. Ce sera une saison un peu folle mais que je trouve passionnante avec énormément de propositions diverses.
Et vous allez ouvrir la saison avec votre création au titre étonnant de Catch !
Et oui, je fais du Catch ! Cette envie, un peu furieuse, de scène et de retour aux fondamentaux, s’incarne chez moi dans un spectacle qui propose de vivre une soirée de catch théâtral, avec popcorn, boissons, circulation libre, ring, musique, maître de cérémonie, commentateurs. Une grande purgation des passions festive avec cinq autrices et auteurs, Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey, Anne Sibran, qui ont eu la curiosité, la folie ou la bonté, d’écrire chacun des matchs qui vont voir s’affronter des grandes figures archétypales de notre temps. On va essayer d’épancher nos passions sur un ring. Une grande célébration païenne du faux !
Marie-Céline Nivière
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Crédit photos © Morgane Delfosse et Pierre Planchenault