Après plus de deux décennies au Français, où elle a, tant de fois arpenté les planches, Cécile Brune sort de sa cage dorée, se réhabitue à une liberté retrouvée. Dirigée par son comparse du Cons’, Stanislas Nordey, la comédienne s’approprie avec fougue la langue de Claudine Galea dans Au Bord, réveillant le redoutable démon du théâtre qui l’habite depuis son enfance. Majestueuse artiste !
Il fait beau, le soleil est à son zénith en ce début de mois de juin. Les premières grosses chaleurs rendent la capitale difficilement respirable. A deux pas de la place d’Alesia, dans un café cosy en bord d’avenue du Général Leclerc, la Brune, comme on dit des grandes comédiennes, celles qui ont su par leurprésence unique, leur jeu, un je ne sais quoi de plus, se faire un nom, nous a donné rendez-vous. Sourire et cigarette aux lèvres, tenue décontractée, elle s’avance d’un pas rapide. Cheveux blonds frisés remontés légèrement pour dégager sa nuque, maquillage appuyé juste ce qu’il faut, à peine visible, elle lance de sa voix rauque, si singulière, si reconnaissable, un bonjour joyeux, léger. Le charme opère.
En toute convivialité
En peu de temps, une belle connivence s’installe. Bien sûr, on s’est déjà croisé. On a échangé en de rares occasions quelques banalités, mais jamais nous n’avions pris le temps de parler de son métier, de sa carrière, de cet engouement passionnel et passionné pour le plateau, pour le théâtre, pour la langue. Très vite, les mots coulent, roulent. Paris, ses voitures, leur klaxon, sont déjà loin, nous sommes au calme, au cœur du Cantal, où la comédienne, d’origine normande a grandi. « Mes parents étaient enseignants à Aurillac, petite ville de province, où à l’époque à part le théâtre municipal, il n’y avait que peu de choses, confie-t-elle. J’ai donc tout d’abord ressenti la magie de l’art dramatique, de la comédie via la télévision, les émissions telles que Théâtre de Toujours. Tous les samedis à 17h, étaient ainsi proposées, surtout des classiques, Shakespeare, Molière, montés par la Comédie-Française, ou la Royal Shakespeare Company, le plus souvent. » Petit à petit, le virus s’installe. Il grandit imperceptiblement, nourri notamment par les récits maternels. « Ma mère a fait beaucoup de théâtre en amateur, raconte-t-elle, avant de devenir enseignante. Elle a même hésité un temps à en faire son métier. Son goût pour cet art, s’est forgé au TNP, où quand elle était étudiante en Khâgne, elle allait souvent. Elle a vu tout Gérard Philipe, tout Jean Vilar. »
Une vocation née dans les disques
Faute de pouvoir véritablement découvrir le théâtre « en vrai », c’est par le son, les voix, l’écoute de 33 tours achetés par sa mère, que Cécile Brune entre dans un monde qu’elle ne quitte plus. Elle lit beaucoup, s’attache à la langue, se laisse porter par le goût des textes. « Je m’amusais beaucoup, se souvient-elle, à m’enregistrer sur des petites cassettes. Je prenais beaucoup de plaisir à entendre les voix des grands acteurs, tel Jean-Louis Barrault, Philippe Noiret, à reprendre à ma manière les textes qu’ils disaient notamment dans la collection Le Petit ménestrel. C’était un exercice que j’adorais faire. D’ailleurs pour être sûre d’être tranquille, je mettais sur la porte un panneau « Ne pas déranger ». » De déménagement en déménagement, malheureusement, la comédienne n’a rien gardé de tout cela. Elle a, toutefois, le souvenir chevillé à sa mémoire, de la fameuse tirade de Ruy-Blas dite par Gérard Philipe, « Bon appétit, messieurs ». « La manière dont il dit ces mots, raconte-t-elle, est tellement fascinante à l’écoute, je n’avais que l’audio à l’époque, que je l’ai apprise à douze ans. Je la répétais à l’envi en imitant le comédien, sa voix, son phrasé, sa prosodie. » D’autres textes remontent à la surface. Avec une joie qui éclaire d’un éclat brillant, joyeux ses yeux bleus, l’actrice prend plaisir à en réciter quelques morceaux choisis, à repenser à son adolescence, à rêver.
Comédienne ou rien
Caractère déjà affirmé, Cécile Brune a su dès ses treize ans qu’elle voulait être actrice, fouler les planches, jouer. « À l’école, se souvient-elle, j’étais la seule à dire haut et fort que j’allais monter à Paris pour devenir comédienne. Dans cette démarche, ce désir, j’ai toujours été accompagnée par mes parents. Ils m’ont toujours soutenue, m’ont permis de quitter l’Auvergne à la condition que je fasse des études en parallèle, ce que j’ai fait en lettres modernes à la Sorbonne. » Après avoir passé le concours de cours Florent, très vite, elle commence à travailler, rejoint, en 1985, la distribution du Cid, avec Jean Marais, Jean-Louis Barrault et Francis Huster, qui monte la pièce au Rond-point. « Avec Emmanuelle Devos, Isabelle Nanty, alors assistante, raconte-t-elle, nous étions vraiment des bébés. On n’avait même pas vingt ans et Francis a tenu à ce que nous jouions en alternance avec Martine Chevallier et Jany Gastaldi, déjà comédiennes confirmées, les grands rôles – j’étais l’infante. Quel folle équipée, mais aussi quelle expérience. » C’est le début d’une obsession, d’une addiction qui est toujours aussi prégnante. Encore aujourd’hui, cette sensation unique d’être là et de pas être là, d’entrer en scène, de ne plus être soi, cette sorte d’apesanteur, de rêves éveillés, l’habite, fait vibrer tout son être. « Je est un autre, comme dit Rimbaud, phrase que me répétait Michel Bernardi au conservatoire, raconte-t-elle, c’est devenu une sorte de mantra afin de donner, de transmettre la langue du poète. »
Rencontre avec Stanislas Nordey
Entrée au conservatoire dans la foulée, Cécile Brune fait son chemin. Elle fait de belles rencontres, notamment celle de Stanislas Nordey, lors d’un atelier autour de l’œuvre de Pasolini, où il lui confie un rôle principal dans son adaptation de Bête de style. « Après ce laboratoire, raconte-t-elle, nous avons emmené le spectacle au TGP. C’était une très belle expérience. Malheureusement, nos chemins se sont séparés, car très vite j’ai été rattrapée par le Français, où je suis rentrée en 1993, sur une proposition de Jacques Lasalle, alors administrateur. »
La Comédie-Française
Après avoir hésité un temps, Cécile Brune entre sous les ors de la Comédie-Française et file direct à Avignon pour jouer Mathurine dans Dom Juan. « J’avoue que le rôle ne m’intéressait pas forcément, explique-t-elle. J’aspirais à d’autres choses, plus étoffées. Mais c’était à prendre ou à laisser. C’était comme un galop d’essai. Une fois dans la maison, les textes se sont présentés, les opportunités ont permis d’étoffer ma palette de jeu, de personnages. Et puis, j’avais cette envie de tenter l’expérience de la troupe. J’ai donc dit oui. »
Des textes
Multipliant les expériences, faisant la connaissance de nombreux metteurs en scène, découvrant de nouvelles plumes, la comédienne devient en 1997, la 494e sociétaire du Français. « Avant d’évoquer cette période, j’aimerais beaucoup revenir sur une rencontre incroyable qui m’a permis d’appréhender les textes classiques explique-t-elle. J’ai eu une chance incroyable, J’ai beaucoup travaillé avec Christian Rist, qui était spécialiste des vers. J’ai fait beaucoup de stages avec lui, sur notamment la manière de dire les alexandrins, et tout particulièrement ceux de Racine. Il fait partie pour moi des grands passeurs que j’ai croisés, qui m’ont nourrie, formée. » Passant du classique au contemporain avec Aisance, Cécile Brune se balade dans les arcanes et les couloirs du Français. Elle butine, se passionne, grandit. Elle aime découvrir et se confronter à d’autres langues, celle de Edward Bond, de Dea Loher, entre autres. « J’aime cette possibilité d’aller d’un style à un autre, d’un univers à l’autre, d’une époque à une autre, souligne-t-elle. Tout comme un orchestre, on doit travailler notre instrument qu’est notre voix, notre corps. On doit pouvoir changer de registre, d’écriture, de langue. C’est l’essence même de nos métiers. »
Des rencontres
Après 25 ans au Français, la comédienne a eu la bonne fortune de travailler avec un grand nombre de metteurs et metteuses en scène, que ce soit Dan Jemmett, Jean-Pierre Vincent, Julie Deliquet, ou son ami Denis Podalydès. « Je crois, se souvient-elle, que l’une de mes plus marquantes expériences, reste Les Fables de la Fontaine, montées par Bob Wilson. Il a une manière d’aborder son art quasi religieusement et ne cesse de côtoyer, d’interroger la dimension spirituelle du Théâtre. Plus récemment, j’ai aussi beaucoup aimé travailler avec Lilo Baur, que ce soit et sur le Garcia Lorca ou sur le Feydeau. Elle a un imaginaire qui se déploie au fur et à mesure des pièces, et qui, nous comédiens nous aspire totalement. Enfin, je ne voudrais pas oublier Alain Françon. Il y avait longtemps que je n’avais eu le bonheur d’être dirigée par un directeur d’acteurs, aussi précis, minutieux. Tout comme Lassalle l’était aussi, c’est bien plus qu’un metteur en scène, mais un véritable artisan du Théâtre ! un questionneur infatigable du texte, du verbe, -qualité que je retrouve aussi chez Nordey- avec cette capacité de se remettre en cause, de faire machines arrière toutes quand il sent que c’est mal engagé… c’est très impressionnant et très porteur.
»
Au Bord, un texte intime
Après son départ du Français en 2018, Cécile Brune prend des chemins de traverse, s’intéresse à des projets qui la poussent à toujours aller plus loin dans la manière d’incarner. Actuellement à Strasbourg, elle joue Au Bord, un texte puissant et introspectif de Claudine Galea, mis en scène par Stanislas Nordey. « C’est un monologue assez dense, explique-t-elle, enfin plus exactement un soliloque. L’autrice se parle à elle-même. Elle s’auto-questionne. ntrer dans l’intimité de Claudine, cela participe du même processus que d’entrer dans l’intime des textes dits « classiques » il s’agit d’incarner, de « donner chair » au verbe! Contrairement aux auteurs, le verbe ne meurt jamais ! C’est à chaque fois une renaissance, via le corps de l’interprète, que l’on joue Racine, Molière, ou Claudine Galea, à cette différence près qu’avec une autrice bien vivante, on a cette joie en plus de la rencontre ! » Convoquant les fantômes de sa vie, son ex-compagne, sa mère, cette soldate américaine tenant en laisse un homme nu, l’écrivaine donne à autrui son histoire, s’en détache. « C’est assez dangereux, vertigineux, souligne-t-elle. En tant qu’actrice, je ne peux m’emparer de ce texte, lui donner sa justesse qu’en plongeant dans des abysses sans fond. J’ai surtout été particulièrement séduite par la succession des « Je pense ». C’est la première fois que je vois une autrice montrer, écrire une pensée en marche. C’est profondément troublant et fascinant. C’est un challenge de tenir ces mots, cette écriture, toute seule, sans artifice. »
L’Aiglon de Rostand dans les tuyaux
En parallèle, elle vient de rejoindre l’aventure lancée par Maryse Estier depuis 2016, de monter l’autre monument d’Edmond Rostand, très rarement monté, L’Aiglon. La pièce devrait voir le jour à l’automne au théâtre Montansier à Versailles. Comédienne jusqu’au bout des ongles, Cécile Brune n’a pas fini de brûler les planches, d’explorer les comédies, les tragédies d’hier, d’aujourd’hui, de nous envoûter encore et encore.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Au Bord de Claudine Galea, autrice associée au TNS
Répétitions en mars 2021 au TNS
Reporté du 21 juin au 29 juin 2021
Crédit photos © Céline Nieszawer, © Jean-Louis Fernandez, © Christophe Raynaud de Lage et © Brigitte Enguerand