Dans le cadre du festival d’Anjou, dirigé par Jean Robert-Charrier, Catherine Hiegel donnera Les règles du savoir vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce, tout un programme dont elle nous parle avec un bonheur empreint des appréhensions de l’artiste qui se jette dans un seule-en-scène pour la première fois.
Écrit en 1995, donc au siècle dernier, s’inspirant d’un précis de bonnes manières datant de la fin du XIXe siècle, ce monologue égratigne les faux semblants éducatifs d’une certaine société. Un texte qui en ce XXIe siècle semble avoir encore des résonances ?
Catherine Hiegel : Bien sûr. J’ai la sensation que, dans une certaine classe, comme celle de la haute bourgeoisie, celle des puissants, cela est toujours présent. Lagarce s’est amusé autour de tout ce qui constitue les règles de la société moderne. C’est comme un jeu. Aujourd’hui, il y a toujours des gens pour qui le mariage religieux, le deuil doivent correspondre à des règles. Ce n’est peut-être pas codé de la même manière, mais cela existe. C’est ça qui est drôle.
Comment avez-vous abordé le personnage ?
Catherine Hiegel : D’une manière stricte ! C’est un personnage hermétique, comme une conférencière. Pas comme une Nadine de Rothschild, à qui, elle fait quand même penser ! Je pense qu’aujourd’hui, elle pourrait écrire des choses comme ça. Le bal des débutantes, les rallyes mondains existent toujours ! Lagarce montre le côté absurde, surréaliste que l’on peut atteindre lorsque l’on essaye de coder les relations humaines. C’est pour ça que cela va faire rire ! Enfin je l’espère. Le texte est une parabole de la vie qui part de la naissance à la mort. C’est une traversée humaine complètement folle.
C’est la deuxième fois que vous jouez un texte de Lagarce…
Catherine Hiegel : Oui, la première fois, c’était en 2005, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne dans une mise en scène de Joël Jouanneau. Mais je ne connaissais pas du tout ce texte, Les règles du savoir-vivre ! Il est très différent de ses autres œuvres. Il n’aborde pas les sujets qui lui sont chers. Il possède une autre couleur, quelque chose d’un peu fou, de décaler. Même le phrasé, la construction est différente. Ce qui ne veut pas dire que c’est plus simple à apprendre ! C’est un morceau. Je comprends pourquoi il est rarement joué !
C’est la première fois que vous vous retrouvez seule en scène, pourquoi ?
Catherine Hiegel : Vous en connaissez beaucoup de monologue pour une femme ! Moi, non ! En tout cas, j’espère ne pas en faire une habitude, car je trouve ça terrible. Il me manque le regard de l’autre ! Lorsque l’on joue avec un partenaire, on peut s’appuyer sur lui, échanger avant, après la représentation. Dis donc aujourd’hui le public, il était… des petits choses comme ça. Là, on est seul face à soi-même. Il y aura des parties lues et des parties dites, donc apprises par cœur. Ce n’est pas par facilité, c’est un choix ! Car le côté lecture publique a un sens avec l’idée de la conférencière. Tout dire par cœur serait une trahison par rapport à cela. Les parties sues s’insèrent comme des parenthèses dans lesquelles le personnage s’échappe avant de revenir à son propos.
Le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo est un complice de longue date qui vous accompagne dans cette aventure.
Catherine Hiegel : Je l’adore et je suis ravie de le retrouver. C’est le quatrième spectacle que nous faisons ensemble. C’est un bonheur. J’ai confiance lorsqu’il me dit : tu vas à droite, tu te mets à gauche, tu fais ci ou ça, parce que je sais qu’il a raison. Je l’écoute. Pour un seul en scène c’est un réconfort de l’avoir à mes côtés même si nous ne nous sommes pas vus autant que je l’aurais souhaité. La possibilité de faire le festival est arrivée tardivement, donc on a eu peu de répétitions. De plus Marcial est en même temps sur les répétitions du Richard III, où il reprend la mise en scène de Matthias Langhoff et interprète Richard, ce qui n’est pas rien. C’est un peu chaud, car c’est une création. D’ailleurs nous sommes la seule dans cette édition de ce Festival.
Comment ce projet vous est arrivé ?
Je crois savoir que c’est grâce où à cause de Vincent Dedienne qui a dit à Jean Robert-Charrier qu’il me verrait bien jouer ce texte. Jean me l’a alors proposé. J’ai lu, cela m’a plu et Jean m’a dit de suite, on va le faire ! Il est comme ça. Du coup, après ces mois de repos forcé, je me retrouve comme un sportif avec des courbatures mentales. Je dois faire des exercices ! Je ne vous cache pas que j’ai peur.
Et ensuite, une tournée ?
Je jouerais quelques semaines à Caen puis j’enchaînerai au Petit Saint Martin en octobre. Et en janvier on reprendra Avant la retraite de Thomas Bernhard que l’on n’a joué que 13 fois ! Je peux vous dire que cela nous a fait quelque chose d’être arrêtés en plein vol ! Y’a quelque chose d’obséquieux à cette situation. En tout cas dans cette période, avec cette ambiance politicarde, où le spectre du Front National rôde, cela va faire du bien d’entendre du Jean-Luc Lagarce et du Thomas Bernhard ! Faut secouer les consciences.
Marie-Céline Nivière
Les règles du savoir vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce
Cloître Toussaint – Angers
Festival d’Anjou
Jeudi 17 juin 2021 à 21h30
Durée 1h20
Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo
Avec Catherine Hiegel
Crédit photos © Jean-Claude Hermaize